A propos de Jeune et jolie de François Ozon
Marine Vacth
A Paris, Isabelle, 17 ans, découvre par hasard la prostitution et y prend goût. Commence alors pour elle un engrenage qui l’amène à mener une double vie, entre mensonges et secrets, éveil à la sensualité et apprentissage accéléré du sexe et de ses plaisirs…
Décidément, la carrière du prolifique François Ozon ne cesse de surprendre. Elle prend surtout un tour inattendu voire déstabilisant avec ce qui constitue son quatorzième long-métrage depuis Sitcom (1998).
Ecrit par le réalisateur de Dans la maison lui-même, Jeune et Jolie raconte, au fil des quatre saisons et d’autant de chansons, les tribulations sexuelles d’une adolescente à la beauté aussi envoûtante que mystérieuse.
Qui est cette Isabelle, jeune et très belle femme au sourire à la fois énigmatique et provocant ? Le film commence en été, dans le Sud, là où l’adolescente passe ses vacances en compagnie de son frère, de ses parents et d’un couple d’amis. C’est là qu’Isabelle, encore timide adolescente, connaîtra sa première relation sexuelle avec un Allemand de passage. Une relation frustrante, dépourvue de plaisir.
La suite, c’est le retour à Paris, et la spirale de rencontres avec des hommes mûrs qui la payent pour coucher avec elle. C’est dans cette prostitution, dans cette « location » de son corps aux plus offrants, qu’Isabelle (excellente Marine Vacth, faux air de Laetitia Casta) prend paradoxalement confiance en elle et s’affirme en même temps qu’elle découvre son corps (un peu rapidement, certes) et éprouve du plaisir. Des premiers émois sexuels qui l’amènent à une jouissance qu’elle aimerait répéter à chaque rencontre, sans se soucier ni imaginer le danger, la perversité voire la violence physique dont les hommes qu’elle rencontre pourraient être capables. C’est bien connu, « on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », comme Rimbaud le lui rappelle lors d’un cours magistral à Henri IV.
Géraldine Pailhas et Marine Vacth
Avec distance et précision, Ozon observe et décortique la double vie d’Isabelle. Dans un style réaliste voire parfois quasi-documentaire, il suit au fil des saisons et des innombrables « passes » la jeune femme tout en essayant, comme nous, de percer son insondable mystère, de mettre à jour l’étrangeté de ce personnage éminemment romanesque, de comprendre les complexes rouages psychologiques qui l’animent. Tout comme dans Le refuge et Dans la maison, l’influence (au sens propre) de la littérature est omniprésente dans Jeune et Jolie, qui adopte souvent le point de vue du jeune frère d’Isabelle, aussi intrigué, perplexe voire interloqué (choqué ?) que nous.
Johan Leysen et Marine Vacth
Si jeune et jolie s’appuie sur le thème de la prostitution estudiantine, largement éprouvé depuis le téléfilm de Michael Ray Rhodes, Joanna, escort girl (1996) jusqu’aux récents Elles avec Juliette Binoche et Sleeping Beauty, c’est surtout l’influence de Truffaut que l’on sent planer sur le film, avec L’argent de poche en ligne de mire mais plus encore le magnifique portrait de femme qu’il avait su tirer de La femme d’à côté avec Fanny Ardant.
Qu’est-ce qui fait marcher Isabelle ? Quelles sont les raisons réelles qui la poussent à se prostituer alors qu’elle semble issue d’un milieu plutôt favorisé ou qui ne semble pas souffrir de problèmes d’argent majeurs en tout cas ?
Soucieux de donner, tout comme nous, un sens à la quête sexuelle désespérée d’Isabelle, Ozon évite néanmoins les écueils de la complaisance ou de la fascination pour un personnage féminin qu’il observe plutôt avec bienveillance et une certaine forme de compassion.
Que cherche Isabelle ? Un abandon d’elle-même dans le sexe ? Peut-être après tout qu’elle aime les hommes beaucoup plus âgés, qu’elle y cherche un père, ce que son attachement tout particulier à Georges (Johan Leysen) semble particulièrement dénoter. Une piste pour saisir la jeune femme ?
Pas si sûr, tant la jeune femme gardera jusqu’au bout son mystère, égrenant les expériences sexuelles en tout genre avec des dizaines d’autres hommes. Et puis, peut-être que c’est un jeu qui n’a pas de sens après tout. Un jeu qui l’enivre et qu’elle aime parce qu’ils la dépassent tout simplement. L’enivrement, c’est bien ce dont il s’agit. La perte de soi, l’abandon, et le rejet de son milieu petit bourgeois parisien, d’une mère divorcée (très bonne Géraldine Pailhas) qu’elle ne supporte plus voire qui la dégoûte avec ses leçons de morale alors qu’elle-même trompe Patrick, le beau-père d’Isabelle.
Dans toute cette misère sexuelle et affective, c’est à Georges et à Patrick qu’Isabelle s’attachera le plus. Patrick justement, joué par un inénarrable Frédéric Pierrot, qui parvient à dédramatiser le film, à l’empêcher de tomber dans le solennel tout en lui donnant une touche comique avec ce personnage de beau-père cocu et touchant, un brin passif pour ne pas dire dépassé par les évènements.
L’humour est aussi l’apanage d’Ozon. Un art et une intelligence qui n’érigent certes pas Jeune et jolie au rang de chef-d’œuvre, car victime de certaines faiblesses ou maladresses (les plans d’enfilade où des lycéens récitant tour à tour du Rimbaud paraissent un brin inutiles) et de baisses de régime ou de tension comme dans la scène de la soirée estudiantine, desservie (cette fois) par la musique de Françoise Hardy, mais participent à ce beau portrait dramatique (merci aussi aux superbes compositions de Philippe Rombi) d’une femme de son temps (comme le personnage joué Isabelle Carré dans Le refuge), tout en sobriété et en élégance. Un portrait d’une femme malgré tout bien de son temps, très incarné et émouvant et qui doit aussi beaucoup à l’extraordinaire prestation de sa jeune comédienne. Quant au mystère sur la personnalité et d’Isabelle et sur ses réelles motivations, ils resteront entiers jusqu’au bout….
http://www.youtube.com/watch?v=m9lLtOxlQDY
Film français de François Ozon avec Marine Vacth, Géraldine Pailhas, Frédéric Pierrot… (01 h 34)
Scénario de François Ozon :
Mise en scène :
Acteurs :
Dialogues :
Compositions de Philippe Rombi, musiques additionnelles de Françoise Hardy :