Payer la redevance a au moins un mérite : réveiller le libéral qui sommeille en chacun de nous.
Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse.
Face à la redevance, nombreux sont ceux qui tiennent un discours limpide : chacun devrait payer pour ce qu'il consomme. On regarde les chaînes publiques, on écoute la radio, on paye, on ne les regarde pas et on ne les écoute pas, on ne paye rien. C'est l'évidence même. Mais payer pour ce qu'on consomme – la vraie justice finalement – revient à payer pour soi ! C'est l'horreur individualiste ! La fin de la redistribution et de ceux qui l'organisent ! La fin du clientélisme ! La fin de la coercition fiscale ! La fin du socialisme ! La fin des haricots ! La fin de tout !
L'enjeu dépasse la simple notion de redevance. Face à un exemple qui pourrait faire tache, les politiciens débattent. Dans les travées du Parlement, la Commission des transports et des télécommunications (CTT) du Conseil national décide de ne pas suivre l'avis du Conseil Fédéral et de créer une exception à l’obligation générale. Question de principe. Les rares individus à ne posséder ni télévision, ni radio, ni connexion Internet ni smartphone (les personnes kidnappées ?) auraient le droit de signer une déclaration de non-possession les libérant de l'obligation de payer.
C'est une étape comme une autre dans un débat qui ne fait que commencer, le nouveau projet de redevance devant voir le jour en 2015. Mais sur le sujet, le chroniqueur Eric Felley se fend d'un commentaire valant le détour dans un article du Matin. Il donne un bon aperçu de la soif d'étatisme qui imprègne le milieu de la presse. On y lit ainsi ce morceau de bravoure collectiviste :
En Suisse, indirectement, tout le monde paie pour les CFF, même ceux qui ne prennent pas le train. Tout le monde paie pour les routes, même ceux qui n’ont pas de voiture. Dans la même logique, tout le monde devrait payer pour le service public audiovisuel, mais plus sous la forme anachronique de la redevance, qui frappe le milliardaire comme l’employé.
Quelle logique ? La logique de l'injustice ? Invoquer l'automobile – le diable incarné – est une figure de style convenue pour attirer l'adhésion, mais notre journaliste fait erreur. Les automobilistes payent bien plus de taxes qu'ils ne coûtent à la collectivité. Ce n'est pas la même chose des transports publics, trains en tête (et recevant d'ailleurs une bonne partie de la manne soutirée aux automobilistes) pour lesquels les Suisses payent même sans acheter de billet.
Admirons la dernière phrase, l'anachronisme décerné par le visionnaire. Le milliardaire vs. l'employé ! Le riche nabab contre l'humble travailleur, il faut sacrifier l'un d'eux, choisissez ! Quelle vision moderne en effet ! Mais quid de la durée passée par les uns ou les autres devant la télévision ? Emporté dans la lutte des classes, Eric Felley – "le jazzman, le peintre, l'écrivain, le poète, accidentellement devenu journaliste mais sûr de ses talents, se sentant investi d'une mission : celle de vivre la grande aventure de l'intérieur, d'occuper l'écran pour laisser s'épanouir son génie naturel" disait de lui Le Temps – perd le sens de la réalité, et probablement tout contact avec le sol.
Et arrive au paragraphe sur les solutions :
Supprimer la redevance, soit. Mais par quoi la remplacer ? La TVA est déjà tellement sollicitée qu’à Berne on préfère la garder pour autre chose. Le mieux, pour assurer l’avenir de la SSR, serait de lier le financement du service public à l’impôt fédéral direct. Cette solution serait non seulement plus populaire mais surtout nettement plus égalitaire.
Aïe. Quel manque d'imagination ! Le commentaire s'intitulait pourtant "Il faut supprimer la redevance !", mais les meilleurs titres cachent parfois des navets... Car le problème est moins dans le financement des réseaux publics que dans leur légitimité.
Bien qu'il ait ses adeptes, l'impôt et ses variantes, comme la conscription ou les taxes, sont des mécanismes coercitifs profondément injustes. On répète régulièrement que ces maux sont un sacrifice nécessaire à la vie en société ; il n'en reste pas moins que pour rester vivables, les douleurs doivent être réduites au minimum. Quelle est exactement la mission de service public de la Société suisse de radiodiffusion et télévision ? Diffuser les Experts en prime-time ? Les matchs de foot internationaux déjà disponibles sur d'autres chaînes ?
Au mois de mai, dans le cadre de sa politique des médias, l'UDC avait déjà interpellé le Conseil Fédéral sur ce point essentiel : encaisser 1,2 milliards de francs par an de redevances pour entretenir vingt chaînes de radio et de télévision diffusant du divertissement en permanence est-il vraiment indispensable ? Si oui, fermez le ban et payez votre redevance avec le sourire, cet argent vient de vos poches.
En se concentrant sur les meilleurs moyens de faire payer les autres plutôt que sur la justification de la facture, Eric Felley se trompe de débat ; à sa décharge, il n'est pas le seul. Pour prendre le problème par le bon bout, il faut commencer par décider précisément de la mission de service public de la SSR. La redevance ne doit payer que cela. Le reste de la grille des programmes relève de l'argent que la régie parvient à collecter au travers de ses recettes publicitaires.
On devine que cette approche diminuera bien plus l'addition que le désir secret de faire payer les autres sur des prétextes hypocrites. Il n'y a pas assez de riches en Suisse pour s'acquitter d'une redevance annuelle de 1,2 milliards de francs. Mais les étatistes sont nombreux à Berne, tous partis confondus. On peut donc s'attendre à des discussions sur les moyens de faire payer la facture plutôt qu'une remise en question du montant de celle-ci. Hélas.
Personne n'aime payer la redevance mais elle a au moins un mérite : réveiller le libéral qui sommeille en chacun de nous !
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