Chaque année fin août, Monceaux sur Dordogne célèbre le veau sous la mère. Véritables Tanguy des près, ces veaux de 3 à 4 mois n’ont alors encore bu que du lait – comme nous, ils toucheront à l’herbe à l’adolescence. Cette alimentation mamellaire est l’incontestable garantie d’une viande délicieusement tendre et d’un rose très pale, couleur qui en terre de socialisme pourrait en faire grincer plus d’un.
Tandis que sur les plages du bord de mer, le bétail vacancier engraisse, la population de ce village corrézien d’habitude plutôt (très) restreinte, s’accroît soudainement d’une centaine de nouvelles têtes au museau humide et à l’oeil brillant. La transhumance est rodée. Venus des quatre coins du département, éleveurs et acheteurs recréent le temps d’une matinée un tableau de la vie quotidienne du 19e. Emma Bovary, c’est moi.
L’attelage est devenu mécanique et les chevaux sont passés sous le capot, mais les gestes sont toujours les mêmes. Dès sept heures du matin, le ballet des camionnettes – bébé (tail) à bord – anime doucement la place du village tandis que les stands des GAEC locaux et autres promoteurs de l’élevage raisonné prennent place. Ici comme à la porte de Versailles, l’agriculture tient salon.
Tenus par leur licol, les veaux sont pesés, nettoyés, brossés, puis alignés dos au soleil de façon à présenter leur meilleur profil aux juges de cette version bovine de Miss Camping que Geneviève de F. n’aurait pas reniée: pas de risques que ces Limousines posent dans Entrevue. Mais qu’on ne se méprenne pas, l’affaire est sérieuse. Dans quelques minutes, et par des critères totalement étrangers aux néophytes, ces veaux seront examinés, reniflés et tâtés dans les règles. On leur soulèvera la paupière pour attester de la blancheur de leur oeil, on leur tirbouchonnera la queue pour vérifier leur réactivité. Un signe de tête ou un chuchotement des hommes en noir suffira alors à ruiner les espoirs des moins aptes.
Mais pour les meilleurs, un prix d’excellence ou un premier prix viendra récompenser le travail de l’éleveur et ses 250 kg de bonheur: un ruban pour la bête, un week end à Paris pour l’homme, mais surtout la fierté d’une profession pour un savoir faire unique. Parce qu’elle le veau bien.
Les cinq plus belles bêtes seront alors mises aux enchères. 48, 49, 50… Attention, ici, on offre au kilo de viande et en francs (nouveaux, tout de même). Ce n’est pas par snobisme ou ultra conservatisme, mais pour des questions pratiques, "parce que bon, avec les centimes, on s’en sortirait pas…". Allô Bruxelles? Non mais allô quoi!
La compet’, c’est bien, mais ça creuse. Faire honneur au veau sous la mère passe aussi par l’exploration de la chaîne alimentaire en aval histoire de distinguer le frais du veau et l’inverse aussi. En parfait républicain immatriculé 75, Parigot, tête de veau – on a donc commencé par la tête et pris place au banquet. Il était déjà bien 8h30 et les salopettes kaki se pressaient, ticket repas à la main, salière et poivrière dans les poches ("souvent, ils n’ la font pas assez relevée"), sourire et commentaires aux lèvres: "Moi, ce que je préfère, c’est les oreilles". Veau mieux entendre ça que d’être sourd, mais quand même…
Pour nos papilles moins aventureuses, on s’est ensuite tourné vers la Confrérie locale des mangeurs de veau, dont les rituels sont au moins aussi secrets que ceux des loges de la rue Cadet. Portant la cape et le chapeau, ils écoulent gentiment au soleil leur produit phare: le boulettou, sorte de doubitchou de chair à saucisse de veau agrémentée de vin blanc, d’échalote et de piment d’Espelette (pas très corrézien, mais passons) roulés dans la chapelure et frits a la plancha. On a essayé par tous les moyens de connaître la recette exacte, sans succès. Si la quête du Graal est encore loin, la quête du gras est pourtant bien là.
Point noir de cette matinée, notre échec répété à deviner le poids de Blanchette, 3 semaines et 4 pattes, et a gagner le-dit veau (allez, dites un prix?). Devant cette défaite, nous avons décidé de rebrousser chemin vers nos vertes prairies. L’année prochaine, on aura révisé notre manuel du parfait éleveur corrézien, tête de chien.
Où: derrière l’église, Monceaux sur Dordogne
Quand: le 3ème jeudi d’août. Si c’est la plein lune, ça tombe encore mieux
Avec qui: Hubert le Maire, le cousin George, Stéphane Le Foll, José Bové, de passage.
A vos pieds: des sabots
Dans votre ipod: Veau d’or, vaudou – Johnny Halliday