Benjamin Fondane – Le monde se brise en morceaux

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Le monde se brise en morceaux, en une poussière d’êtres
parmi la lumière ancienne,
où es-tu donc qu’on te le montre
sordide étudiant, herboriste, alchimiste,
gros trafiquant de vide,
pendant que les planètes cousent leurs toiles d’araignées
aux commissures de ton œil ?
Le monde se brise en morceaux comme une boule magique
mais où sont-ils donc les poissons, les tessons
les géographies sensibles,
Les fleuves d’un côté, les sciences bâtardes de l’autre,
nous avons emporté avec nous tous les échantillons,
une mèche de chaque espèce,
l’amertume émouvante des grands regards humains,
un peu de poil de chaque chose,
un peu d’écume de chaque être.

La Terre déjà se retire avec ses métaux et ses feux.
Quelques têtes surnagent, mais c’est bientôt fini,
parmi la lumière ancienne.
Où sont à présent, Destruction, tes voluptés singulières,
les meurtres délicats de l’amour,
les cités bâties de viandes
la vie bâtie de loques,
les dieux dont on buvait le sang
et cette folie de gens qui cherchaient dans les chiffres,
comme penchés sur une eau sale,
une ligne à la main,
le poisson aux paupières ouvertes du néant ?

La mort chimique a tout balayé dans le vide
le monde se brise en morceaux sous le regard ancien,
holà les gars, faut vous grouiller,
faut enlever la passerelle,
que pleuve le Temps maintenant,
qu’elle rouille l’Eternité,
la vie est avec moi, une lampe de chaque vie,
j’ai une mèche de chaque vie,
née à la mort, enlevée à la mort,
promise à une seconde vie,
parmi la lumière ancienne.

Que périsse le monde !
J’ai d’autres chats à fouetter…

***

Benjamin Fondane (1898-1944) – Poème retrouvé parmi des brouillons de Titanic