J'ai failli voir Sophie Calle dans son lit a Avignon (2)

Publié le 18 août 2013 par Lifeproof @CcilLifeproof

Suite de l'article du 20 août 2013.


Sophie Calle, "Douleur exquise, J-54 (Route)" 1984/99, photographie encadrée, 38,5 x 61 cm. Courtesy Galerie Perrotin, Hong Kong & Paris. © Adagp, Paris 2013

« Je ne me décris pas (...) c'est à vous de le faire… »

Aux questions d'interprétation de son œuvre, Sophie Calle n'a pas répondu, c'est mon job selon elle et, bien que je pense que ce soit intéressant d'avoir le point de vue de l'artiste sur son travail, elle n'a pas tort...

Mais qui est ou quoi est Sophie Calle ? La question « quoi » est atroce j'en conviens, Sophie Calle n'est pas une chose même si on reconnait sa "marque de fabrique" avec ses éditions, expositions, ce rapport entre l'image et le texte qui revient de manière incessante. Mais il s'agit avant tout d'une femme d'une soixantaine d'années qui, avant de se lancer dans une carrière artistique et d'inviter des inconnus à partager son lit, elle a été très engagée politiquement : féministe, elle accompagnait les femmes pour se faire avorter, elle a participé à la lutte pro-palestinienne su Sud-Liban, elle a été militante pour la gauche prolétarienne, etc. Je ne sais pas si on peut dire qu'il y a un art que l'on considérerait comme féminin et un autre qui serait typiquement masculin mais on pourrait le croire à la vue des problématiques de Sophie Calle qui accouche souvent d’œuvres intimistes qui partent et parlent d'elle-même. En effet, que ce soit avec Des Histoires vraies (l'histoire qui nous occupe ce jour), Douleur exquise, Doubles-jeux ou encore Prenez soin de vous, etc. c'est à des moments de son histoire, de sa vie que l'on assiste.


Sophie Calle à la BNF (au moment de l'exposition: Prenez soin de vous). Photo - Jean-Baptiste Mondino

Des journaux intimes, il nous arrive d'en lire, des autofictions sans doute aussi, sommes-nous voyeurs ? Les écrivains sont-ils exhibitionnistes ? On peut se poser les mêmes questions au sujet de Sophie Calle : s'exhibe-t-elle ? S'expose-t-elle ? En fait, le choix des mots est drôle puisqu'il s'agit des mots et des verbes liés aussi aux métiers des musées qui, eux-mêmes, créent des expositions (avec des artistes, des œuvres, etc.). Et, dans le cas de Sophie Calle, il s'agit d'une artiste qui, en créant, va chercher à s'exposer, donc s'expose-t-elle elle-même dans ses expositions ? Tout n'est-il qu'une question d'exhiber son nombril dans des exhibitions muséales, en galeries, dans une chambre, dans des livres ou autre ? Dans Douleur exquise, Sophie Calle nous raconte une de ses ruptures : dans la première moitié de l'ouvrage elle nous fait part de son périple au Japon et comment l'homme qu'elle aimait ni ne l'épouse, ni ne l'accompagne, ni même ne la rejoint au rendez-vous qu'ils s'étaient fixés avant son retour et la quitte ainsi ; dans la seconde moitié, elle confronte à son histoire, à la douleur ressentie, des douleurs d'autres personnes ce qui lui permet de relativiser et, à sa peine, de s'effacer progressivement. Cela, elle le partage dans un livre, une exposition : pourquoi ? Pourquoi décider de partager cette ou n'importe quelle histoire (même bien des années après que ça ait eu lieu) ? Peut-être parce qu'une douleur d'amour peut nous parler à tous et que partager un cheminement personnel permet de rendre compte qu'au fond il ne l'est pas tant, qu'un cœur brisé, ça se répare, que l'on n'est pas seul à ressentir cela. Et, même si chaque douleur ne peut se vivre qu'en privé, la rendre publique peut aider et peut permettre d'être soutenu(e) et pour ce rendu, il y a plusieurs façons de faire. Sophie Calle en a choisi un et, ce partage, il pourrait être intrusif parce que trop dans l'émotion, mais l'artiste met à distance, ne se laisse pas submerger par le pathos et ne nous noie pas dedans.

Sophie Calle guette et enquête, ce qu'elle expose ce sont ses investigations. Chaque idée a un chemin, un moteur et un but différents. Sophie Calle se fait le témoin de la vie à partir de la sienne ou de celle d’autrui dans ce qu’elle peut avoir de commun. Elle montre, démontre, décortique, cherche à comprendre, à appréhender et à se souvenir aussi mais en essayant d’éviter le pathos autant que possible. Merci Sophie Calle pour cette rencontre, par cet article, j'espère avoir fait une partie de mon job...

Les ouvrages de Sophie Calle sont édités par Actes Sud, elle est représentée par la galerie Emmanuel Perrotin à Paris.

Cécile.