Parmi toutes les visites sur mon site, la question qui ressort le plus souvent est "que gagnent les écrivains". Peu, que l'on en soit assuré !
Le très bon livre de Bernard Lahire aborde ce sujet à polémique. Un livre très réaliste qui devrait ôter des illusions à bien des aspirants écrivains, qui ne voudraient le devenir que pour des questions d'argent. Il résulte de toutes les recherches que l'on peut faire sur ce sujet, qu'il est très difficile de vivre de sa plume, les heureux élus sont rares, et encore, rien ne prouve que cela durera au long de leur vie. Ecrire est un besoin, une nécessité de passionnés un peu fous qui écrivent leurs rêves ou leurs aspirations, mais c'est tout un travail, long et fastidieux, qui reste très chronophage. Un rêve que chacun aime voir partagé, dont le premier revenu est humain, plus que financier et, la première satisfaction est de l'avoir écrit, de l'avoir conduit jusqu'au bout. Ce qui n'empêche pas l'auteur d'en doter encore et toujours, car même à la fin, au dernier mot, il se demandera s'il ne pouvait finalement pas faire mieux…
Quand on a la chance d'être édité, le premier salaire est le retour du lecteur, le reste n'est que cerise sur le gâteau, un petit plus appréciable, un bonus pour les vacances. Je l'ai déjà expliqué dans mes notes, les chances d'être édité sont très minces, celles d'être plébiscité par le grand public encore plus.
Peu d'écrivains vivent de leur plume, mais quasiment aucun d'entre eux ne renoncerait à sa passion Source France3.Fr
C'est une des leçons du livre que publie le 31 août 2006 Bernard Lahireaux éditions de La Découverte.
"La condition littéraire" est le fruit d'une enquête de trois ans auprès de 503 écrivains de la région Rhône-Alpes.
Pendant trois ans, le sociologue Bernard Lahire, professeur à l'Ecole normale supérieure, chercheur au CNRS, a enquêté auprès d'écrivains liés à la région Rhône-Alpes, où ils sont nés, résident ou sont publiés. Son livre décrit des auteurs confrontés aux difficultés matérielles, contraints à une "double vie" pour vivre leur passion.
Car le "métier" d'écrivain rapporte peu et souvent rien du tout. "Acteurs centraux de l'univers littéraire, les écrivains sont pourtant les maillons économiquement les plus faibles de la chaîne que forment les différents professionnels du livre", écrit Bernard Lahire.
10% seulement des écrivains en tirent leur moitié de leur revenu
42,5% des écrivains qui ont répondu à un épais questionnaire n'ont perçu aucun droit d'auteur dans l'année qui a précédé l'enquête (2003) et ces droits ont représenté moins de 10% des revenus de 28,1% d'entre eux. 10% seulement en ont tiré plus de la moitié de leurs revenus et le mieux loti est une exception avec plus de 79.000 euros de droits.
Pire encore, "les plus professionnels d'un point de vue littéraire, ceux qui mettent le plus d'art dans ce qu'ils font" sont ceux qui ont le moins de chances de vivre des revenus de leurs publications. D'où la nécessité d'un "second métier". Rien de nouveau, d'ailleurs. Honoré de Balzac était clerc de notaire et Guy de Maupassant, commis de ministère.
Les auteurs interrogés sont 49,2% à exercer une activité rémunérée, 49,4% en ont exercé une par le passé et 1,4% seulement n'en ont jamais exercé. Des "seconds métiers" le plus souvent liés à l'enseignement, l'écriture ou la culture (63,8% sont cadres ou exercent une profession intellectuelle). Mais on compte également 1,2% d'agriculteurs et 1,2% d'ouvriers. A l'opposé, Marc Lambron, normalien et énarque, Prix Fémina 1993, est maître des requêtes au Conseil d'Etat, et Yves Bichet, 14 titres, dont plusieurs chez Fayard et Gallimard, artisan maçon.
A partir de là, le temps dégagé pour écrire est la principale préoccupation de l'écrivain. Ceux du matin se lèvent à 04H ou 05H, ceux du soir y passent une partie de la nuit. En France, écrivain reste un métier d'homme (62,8% des auteurs interrogés), alors que l'on compte une majorité de femmes parmi les lecteurs, et les auteurs sont "avant tout issus des classes supérieures et moyennes".
Dans ce "jeu littéraire", Bernard Lahire distingue trois grandes figures. Ceux qui pratiquent la littérature comme un loisir. Ceux qui sont "pris au jeu", dont ils font "le moteur premier de leur existence" tout en conservant une activité rémunérée. Ceux, enfin, qui peuvent "gagner leur vie" en jouant, "joueurs professionnels dans le sens économique du terme".
Souvent décriés, les prix littéraires restent un élément essentiel. "Seuls, peut-être, les grands prix littéraires contribuent à stabiliser, au moins durant quelques années, la situation économique de l'écrivain en lui assurant un lectorat suffisamment étendu", résume Bernard Lahire.
"La condition littéraire" de Bernard Lahire, éditions de La Découverte - 619 pages