Pirandello, Six personnages en quête d’auteur (challenge Piplo)

Par Mademoizela

Introduction

Pirandello est né en 1867 et mort en 1936. Ecrivain sicilien qui s’essaie à la poésie, au théâtre et au roman. Toute son œuvre repose sur le rapport de la réalité par rapport à la fiction, de la crise identitaire et existentielle de l’être humain. Pirandello est un adepte de la mise en abyme, élément-phare de six personnages en quête d’auteur.
Dans cette pièce, nous avons à un premier niveau les personnages de la pièce que nous lisons (Le Directeur, Le Régisseur, les comédiens, etc) qui mettent en scène une pièce de Pirandello. A un second niveau, interviennent des Personnages qui n’existent qu’en tant que tels (Le Père, La Mère,…). Pour résumer, les personnages du premier niveau sont fictifs dans notre réalité mais réels dans la fiction alors que ceux du second niveau sont fictifs dans notre réalité et fictifs dans la fiction. Là où Pirandello brouille les pistes c’est lorsqu’il s’autoréférence : notre vrai Pirandello, en traversant le miroir, devient alors un Pirandello fictif puisqu’il est le dramaturge dont l’œuvre est représentée par les personnages. Pirandello réel écrit une pièce que nous lisons dans laquelle il apparait en tant que dramaturge fictif: voilà toute la mise en abyme représentative du pirandellisme.

I.   La notion de personnage

Dans cette pièce, Pirandello nous amène à réfléchir sur la notion de personnage. Il s’agit d’un être fictif fait d’encre et de papier qui n’a aucune consistance dans notre monde et qui dépend de son dramaturge. Le personnage représente un être humain avec ses qualités, ses défauts, ses forces et ses failles. On a souvent affaire à des personnages-types. Dans cette pièce : on a le personnage de la Mère qui possède toutes les caractéristiques de la veuve éplorée. Ce personnage ne saurait être autre chose, c’est le rôle que lui a assigné le dramaturge en la créant.Ce qu’il y a de surprenant dans cette pièce et le titre l'explicite largement, c’est que les personnages ont gagné leur autonomie : ils se meuvent sur la scène, apparaissent alors qu’ils sont fictifs.Comme ils sont personnages, ils ne jouent pas, ils sont ainsi ; contrairement aux comédiens qui les représentent et qui les incarnent, ces derniers jouent un rôle, jouent à être ces personnages.Ici encore, le miroir a tourné. Les comédiens réels dans la fiction (mais fictifs dans notre réalité) imitent ces personnages fictifs. Ces personnages fictifs n’ont d’autre réalité que leur propre fiction car la représentation de leur réalité représentée par les comédiens n’est pour eux qu’une fiction puisque ceux-ci jouent un rôle.
« Ce qui pour vous est illusion à créer est au contraire, pour nous, notre seule réalité. »

II.   La crise identitaire

L’expression « jouer un rôle » dans cette pièce est à prendre au premier degré dans la mesure où on a affaire à une pièce de théâtre. Cependant, Pirandello mène une réflexion sur l’être humain et sa capacité de jouer des rôles et utiliser toutes ses facettes dans sa réalité. Selon les circonstances, l’être humain se plait à jouer à être quelqu’un d’autre que ce soit pour plaire, pour séduire, pour arriver à ses fins… Lors d’un premier rendez-vous amoureux, chacun joue un rôle d’excellence pour ne pas déplaire. On joue une sorte de comédie pour ne montrer que ses bons côtés. Il serait rare lors de ce rendez-vous initial qu’une jeune femme vienne en jogging- basket, cheveux gras et jambes non épilées et que l’homme vienne en bleu de travail ou en short-tongs. Les hommes vont se noyer sous des litres d’après-rasage, de parfum et les femmes vont se planquer derrière une coiffure sublime et se cacher sous des couches de maquillage. On joue à se plaire ou du moins à ne pas se décevoir.
La crise identitaire chez Pirandello va permettre la quête de soi, la recherche de son véritable « moi ». Qu’est-ce que l’identité ? Un nom ? Des caractéristiques humaines ? Une conscience de soi ? Son statut dans la société ? Sa place dans la famille ? Son rang hiérarchique professionnel ?La question que pose Pirandello est véritablement : Qu’est-ce qui fait que je suis moi ?Cette crise identitaire est visible dans sa pièce dans la mesure où il n’y a aucun nom de personnage ; Chacun est défini par son statut, sa fonction (Le Directeur, La jeune Première, Le Père, La Mère, etc) En revanche, le seul nom qu’on trouve est celui de Pirandello lui-même comme s’il affirmait sa prise de conscience de lui-même, sa quête d’identité résolue.

III.   Le rôle du théâtre

Le théâtre, comme la littérature, n’est qu’un mode de représentation de la réalité.
Quel est le rôle du dramaturge : s’inspirer de la réalité pour la représenter ou bien imaginer un monde qui pourrait être cette réalité ?
Finalement, Pirandello soulève aussi la vanité du théâtre et de l’existence. Pirandello s’amuse une fois de plus à retourner le miroir en nous montrant que le personnage de fiction nous est supérieur dans la mesure où il est éternel. Il a beau être fictif, le personnage est une sorte de phénix qui renaît de ses cendres, un Sisyphe qui peut revivre à l’infini sa vie immuable de personnage ; contrairement à l’homme qui ne vit qu’une fois et qui ne peut rien revivre. Le passé de l’homme, une fois révolu, ne peut plus être récupéré et tombe dans l’oubli. Même si on peut revivre le passé par le mécanisme de la mémoire, il n’est pas palpable… Donc est-il réel ? Une fois le passé mort, il n’est que fiction.
« L’homme que vous étiez autrefois, avec toutes ses illusions, avec toutes les choses qui étaient en lui, autour de lui, telles qu’elles lui apparaissaient alors […], en repensant à ces illusions aujourd’hui envolées, à toutes ces choses qui maintenant ne vous « paraissent’ plus ce qu’elles « étaient », ne sentez-vous pas se dérober sous vos pieds non seulement les planches de cette scène, mais le sol, oui le sol, à l’idée que ce « vous » que vous croyez être en ce moment, que toute votre réalité présente est destinée, demain, à vous paraitre une illusion ? »
Le théâtre sert à cela : nous montrer l’éphémérité(je sais ce mot n’existe pas et il serait temps que Messieurs Larousse, Robert ,etc y remédient. Faisons entrer éphémérité dans le dictionnaire) de l’existence et sa fragilité.On peut faire aussi le lien entre le théâtre et la vie dans la mesure où l’homme ne jouerait qu’un rôle (déjà dit plus haut) et que sa vie serait fatalement écrite comme une pièce consigne la destinée des personnages. C’est une thèse que l’on retrouve dans Jacques Le fataliste clamant à tout va « Tout est écrit là-haut ». En ce sens, le dramaturge serait un démiurge, l’équivalent d’un Dieu : son image divine reflétée dans le monde d’ici-bas. Et le miroir a encore tourné…

Conclusion

J’adore le concept de mise en abyme. Cela nous invite à un effort de réflexion : nous ne sommes plus passifs puisque nous devons accommoder notre cerveau au niveau fictionnel. Cela nous permet aussi de repenser la frontière entre réalité et fiction, le vrai et le faux, l’être et le monde des apparences. La littérature n’est que le miroir de notre monde et non cette réalité. Pirandello fait tourner le miroir à l’infini  où réalité et fiction se font face, se reflètent pour mieux s’opposer. Il veut aussi nous montrer que l’être humain fait tourner son propre miroir selon son environnement et que l’homme passe son temps à jouer un rôle, endosser divers personnages, ne se montre rarement tel qu’il est. L’homme prend conscience de son existence et affirme son identité lorsqu’il fait tomber le masque et brise tous les miroirs.
Pourquoi ai-je acheté ce livre ? J’avais lu (et étudié) durant mon cursus universitaire le roman Feu Mattia Pascal de Pirandello. Ce livre m’a marquée à moins que ce soit le cours proposé par l’enseignante qui était d’une grande qualité. En tout cas, je me suis intéressée de très près à cette frontière entre la réalité et la fiction, à la différence entre la personne et le personnage, au thème du double et à cette fameuse problématique de l’identité, du nom : la personne a-t-elle une existence en dehors de son nom ?