Sophie Calle. Photo : Yves
Géant
Il y a quelques mois j'ai eu un mail du rédacteur en chef de la revue en ligne Inferno pour qui j'écris aussi. En gros ça disait : voudriez-vous faire quelque chose sur le festival d'Avignon pour le premier numéro de la revue version papier ? J'ai fait gloups, les metteurs en scène cités étaient tous trop gros pour moi et mon statut de débutante dans l'écrit sur le théâtre (notez bien : trop grand mais un filet de bave pendouillait au coin de la bouche, ça donnait envie !). Bref, après m'être rendue sur le site du festival, j'ai fait la proposition suivante : Sophie Calle. Pourquoi elle ? 1. c'est de l'art contemporain et je suis plus à l’aise ; 2. j'aime son travail ; 3. c'était un véritable défi !
Retour sur un marathon.
Avant de sonner... Photo: CR.
Au moment où j'écris ces mots, je suis dans le train pour Avignon, je pars en vacances mais c'est aussi le dernier jour où Sophie Calle autorise le public du festival d'Avignon à entrer dans sa chambre de l'hôtel La Mirande, je n'aurais donc pas le temps de m'y rendre : la dernière entrée a lieu à 20h30, fermeture à 21h, mon train arrive théoriquement à 21h08, trop tard donc. Mais à quoi bon avoir des regrets ? En faisant cette proposition puis cet article, j'ai eu la possibilité d'avoir le beurre (le projet franchement bandant), l'argent du beurre (la rencontre avec et chez l'artiste), il ne manquait que les cuisses de la laitière dans son lit à Avignon... Qu'est-ce qui est le mieux ? Tout le truc avant, non ?
Après plusieurs allers-retours avec des attachés de presse (de sa galerie et du festival), Sophie Calle a accepté que je la rencontre en banlieue parisienne chez elle fin-avril. Je suis arrivée à Paris le lundi soir puis il y a eu le retour chez moi le mardi soir après avoir retravaillé mes questions, surmonté mes angoisses, fait l'interview, retrouvé l'usage de mes jambes, visité l'exposition Ron Mueck à la fondation Cartier pour l'art contemporain (on vous en parle une prochaine fois !), repris le train et commencé à retranscrire l'interview: marathon. Il a ensuite fallu finir ladite retranscription, autant dire des heures à ne plus quitter le même fauteuil, à n’écouter que sa voix, à pester contre moi-même parce que je ne tape pas assez vite... Une fois cela fini, je suis passée à la phase de réécriture et à la partie où il faut faire des coupes franches avant de lui envoyer tout cela pour qu’elle relise, réécrive, valide. Puis, il y a eu la demande de visuels à la galerie, l’écriture des introductions et infos complémentaires, d’une mini-bio (non-utilisée) et il y a la libération avec l’envoi du tout afin que ce soit maquetté. Enfin, vient l’angoisse de la publication : est-ce que ça va être bien ?
Sophie Calle, un projet pour Avignon.
Sophie Calle Room 3A, Lowell Hotel, New York, 2011. Courtesy Galerie Perrotin, Hong Kong & Paris. © Adagp, Paris 2013
Pendant les cinquante minutes qu'a duré l'entretien, nous avons parlé du festival d'Avignon, de sa participation l'an passé, de son projet pour l'édition 2013, de ses (re)publications chez Actes Sud, de sa manière de créer, de son travail, etc.
Ainsi, Sophie Calle est allée au festival d'Avignon pour la première fois en 2012 à l'invitation des programmateurs Hortense Archambault et Vincent Baudriller pour y présenter son exposition Rachel, Monique dans l'église des Célestins. Afin d'accompagner l'exposition, elle a fait la proposition suivante : lire le journal de sa mère, celui qui lui a été remis après son décès et cela pendant tout le festival sans savoir ce qu'elle allait y découvrir ni même quel pourrait être ce qu'elle ressentirait en lisant les mots de sa mère.
En 2013, elle est revenue mais avec un projet qu'elle a qualifié de plus léger et ludique, en effet sans doute que moins d’affect y était rattaché que lors de sa précédente participation au festival. Ainsi, entre le 15 et le 19 juillet 2013, Sophie Calle a pris ses quartiers dans la Chambre 20 de l’hôtel La Mirande à Avignon et y a reçu le public tous les jours jusqu’à 21h. Cette performance, elle l’avait déjà faite en 2010 au Lowell Hotel à New York mais sa chambre était ouverte en permanence nuit et jour ce qui n’était pas envisageable à Avignon.
Pour cette performance, Sophie Calle a pris comme point de départ ses Histoires vraies qui est à la fois une exposition et un livre qui est réédité et augmenté régulièrement (la dernière en date : juin 2013 aux éditions Actes Sud). Cet ouvrage est symptomatique de l’œuvre de Sophie Calle qui, depuis le début de son travail artistique mêle photographie et récit, ainsi elle n’a jamais fait de photos sans histoires, ni écrit de romans sans photographier. Ça avait commencé avec Les Dormeurs en 1979, projet dans lequel elle invitait des gens à dormir une nuit dans son lit et, en parallèle, elle fit le récit de ces rencontres. Dans ses Histoires vraies, elle met en parallèle une photographie et une histoire qui lui est arrivée et ce sont certaines de ces histoires que le public était invité à découvrir dans sa chambre d’hôtel. Mais, alors que dans le livre, elle présente des photographies, pour la performance, elle montrait les objets ou des ersatz desdits objets : pour Le rêve de jeune fille, elle ne pouvait pas montrer son dessert (la glace, ça fond), mais plutôt ce dernier en plastique, la plus belle vue ce ne sera pas la vue de sa chambre, mais plutôt une vue de la fenêtre de l'hôtel La Mirande avec le texte devant, en fait, quand le véritable objet existe, c'est celui-ci qu’elle utilise (sa robe de mariée par exemple), quand il n'existe pas, elle montre autre chose qui lui permet ainsi de raconter l'histoire.
Et plus encore…
Sophie Calle, Voir la mer, éditions Actes Sud, 2013, couverture du livre
Comme dit plus haut, nous n’avons pas parlé que de cela : j’avais axé l’interview sur le festival d’Avignon (c’était la commande) mais pas uniquement. En effet, son œuvre, bien que reposant sur un principe photo-texte et pouvant souvent être taxé d’intimiste, est riche et diversifié, son actualité estivale tout autant. En outre, nous avons abordé son processus de création, le fait qu’elle ait des idées, qu’elle les range dans un coin et qu’elle va en sélectionner et utiliser certaines qui, d’un point de vue plastique et intellectuel, peuvent donner quelque chose d’intéressant. Quand elle a la chance d'avoir une idée, elle va là où cette dernière l’emmène, que cette idée parte d’elle-même et de son vécu comme c’est le cas avec ses Histoires vraies, Douleur exquise ou encore Prenez soin de vous ou que ce soit sur les autres comme pour La mer (édition juin 2013), Les aveugles ou encore Souvenirs de Berlin-Est et Les Fantômes (réédition juin 2013 pour ces deux derniers). C’est ainsi qu’elle m’a parlé de deux projets liés à la ville d’Istanbul et initiés quand cette dernière était capitale européenne de la culture en 2010. Quand elle a vu qu'Istanbul s’appelle la ville des aveugles, une vieille idée est revenue à la surface et, bien qu’ayant déjà fait un autre projet sur les aveugles n'ayant jamais vu, elle a trouvé un autre axe, en a fait une exposition et une édition qui regroupe les projets de 1986 (Les aveugles), 1991 (La couleur aveugle) et 2010 (La dernière image). Et là, elle a raconté les biens heureux hasards de la vie, les idées qui semblent arriver par miracle ce qui a été le cas pour La mer qu’elle a eu en lisant un article qui parlait des gens qui n’avaient jamais vu la mer à Istanbul. Pour la réalisation de ce projet, elle a opté pour la vidéo plutôt que la photographie. En effet, comment rendre compte de ces regards émerveillés ou autre que peuvent avoir les gens quand ils sont face à cette vaste étendue d’eau ?
Suite et fin de l'article le 22 août 2013.
Cécile.