Retour en Sarkoland : impressions soleil levant…

Publié le 27 avril 2008 par Lgb

Rien de tel que dix jours de vacances sans presse, sans radio, sans internet, sans téléphone et aussi loin que possible des médias français, pour se purger de la médiocrité politique ambiante et se dégager de la propagande qui nous agresse jour après jour.

Oui, mais… le retour est toujours plus brutal qu’on ne l’avait prévu.

Descente de l’avion. L’agression est immédiate, instantanée, glaçante: le Président a parlé. Le président a changé de style. Le président n’a pas changé de politique. Le président est fort, beau, efficace, intelligent, en photo, riche, débling-blinguisé, efficace, humain (il reconnaît ses erreurs), surhumain (il fait tout, voit tout, comprend tout). Affiches dans l’aéroport, journaux dans les stands, radio, télé, discussions dans les escalators: tout parle de lui, comme si la France n’existait que par lui, avec lui et en lui (comme on dit).

Sans mentir, ce matraquage affolant produit une impression inimaginable sur un esprit désintoxiqué, et conduit nécessairement à se demander si les médias français ne sont pas, tout simplement, devenus fous. Sarkozy est le premier sujet dont on entend parler dès que l’on touche le sol. Pas sa politique. Pas la colère que ses réformes déclenchent. Pas leur totale ineptie. Pas l’état du pays.

Non: il s’agit de lui, simplement de lui et de sa manière d’être. La France, si l’on adopte, par un exercice de la pensée ou grâce à une absence prolongée, le regard d’Usbek, est devenu Sarkoland pour de bon. Et c’est un phénomène effrayant.

J’ai voulu remonter dans l’avion. Et puis l’édito assassin du journal de 12h30 sur France Culture, qui notait point par point toutes les absurdités proférées par Notre Président lors de sa prestation m’a remis les idées en place…

On constatera également que cette idolâtrie ne touche pas notre seul Président, mais également son entourage. Comme au bon temps de l’Empire romain, on flatte le Prince, mais sans oublier ses protégés. Quelques extraits, pour finir, qu’il convient de lire de la façon la plus naïve possible, tant ils traduisent l’état de sidération dans lequel se trouve la presse de ce pays face au gouvernement Sarkozy. Lisez ce qui suit: il s’agit d’un portrait de Rachida Dati publié par Le Figaro le 21 avril dernier. On y apprend que:

Symbole éclatant d’une intégration réussie, star omniprésente et médiatique du gouvernement, Mme la garde des Sceaux suscite rumeurs, fantasmes et jalousies. Mais, sous la critique, elle ne plie pas. On la croit affaiblie, elle avance. Guerrière.

Que Mme Dati est:

Un mystère, une forteresse, une citadelle.

Puis viennent quelques notations toutes d’objectivité et de pertinence politique:

Rachida Dati se détend, s’illumine. Pendant l’essentiel de la conversation, elle est restée sur ses gardes. Prudente. Méfiante. La vie est un combat. […] Mme Dati, en son palais ministériel, place Vendôme : taille de guêpe, silhouette adolescente, toute de noir vêtue.[…] Elle est un modèle. D’intégration; de mode, aussi. […] Derrière son bureau, frémissante et guerrière, elle paraît minuscule. […] Elle est armée pour durer et entend le faire savoir. Déterminée à agir, imperméable aux attaques, elle s’est fixé une ligne de conduite […].

Et l’on se demande alors si, dans une démocratie saine d’esprit, un quotidien national de grand tirage publierait un papier de ce type, sans une once d’analyse, dans un style démentiel où l’usage de l’adjectif a quelque chose d’urticant, et dont l’objet est purement hagiographique.

À dire vrai, il n’y a qu’un parallèle qui me vienne à l’esprit et qui égale ce genre de prose: le portrait que produisit un crétin, nommé Velleius Paterculus, qui s’essayait à cirer les pompes du puissant du jour. Extrait:

Homme d’une gravité sereine, il est actif sans paraître agir. Il ne réclame rien pour lui et par là même obtient tout. Toujours il se croit indigne de l’estime qu’on a de lui. Son visage est calme comme sa vie, mais son esprit est toujours en éveil.

Voilà qui sonne fort comme:

Son parcours est unique, son toupet insolent; sa chance programmée. Elle ne doit rien au hasard.

que l’on peut lire dans le Figaro.

Seul problème: Velleius Paterculus, le crétin susnommé, vivait dans les années 20 ap. J.-C., sous le règne de l’empereur Tibère. L’objet du cirage de pompe s’appelait Aelius Séjan. Il faisait régner la terreur avec une cruauté tout romaine.

Paterculus avait au moins l’excuse de la trouille.

Le journaliste du Figaro, lui, a simplement intégré la servilité ambiante, sans que la moindre contrainte soit nécessaire.

Bref, on quitte la France, on revient en Sarkoland. Ou alors on y était déjà, et on ne s’en était pas aperçu.

Et c’est bien là le drame…

Petite notule bibliographique :

- le numéro du Courrier International du 17 avril présente une anthologie des meilleures articles de la presse étrangère consacrés à la présidence Sarkozy. C’est là une lecture absolument indispensable à qui veut mesurer combien notre propre presse a l’échine souple et le neurone ralenti…

- un excellent résumé de l’intervention présidentielle chez Désir de revanche

- et deux bonne analyses chez Sarkofrance: ici et ici