Emblème de la Cité de La Rochelle pendant sa sécession effective d’une décennie. La devise « Pour Christ et le Roi » témoigne de la conception abstraite qu’épousaient les huguenots sur le pouvoir civil : celui-ci ne repose pas en la personne du roi, mais dans la Couronne et le Droit.
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Ce n’était pas sans raison que les catholiques appelaient ce texte « Loi fondamentale de la République des Églises réformées de France et de Béarn ». Suite aux agressions impunies (temples brûlés, pasteurs expulsés, fidèles molestés) menées contre les réformés à Lyon, Dijon, Bourges et Moulins (Auvergne) en 1616-1619, ainsi que l’annexion forcée du Béarn calviniste par la royauté catholique en 1620, l’assemblée politique de La Rochelle en 1621 ne se bornait point à des respectueuses remontrances, à d’innocentes requêtes pour le maintien des privilèges religieux. Les huguenots, en présence du système catholique, avaient besoin d’une organisation plus précise, d’une formule de gouvernement plus applicable. Ils jetèrent les yeux sur la Hollande, sur le système fédératif de la Basse-Allemagne, où chaque province avait sa souveraineté ; ce fut donc un mélange d’indépendance féodale et de constitution républicaine. Sept cercles devaient désormais diviser la France ; le Béarn formait une division à part ; le duc de Bouillon était créé généralissime des armées huguenotes ; chaque province avait un conseil particulier sous un chef qui pouvait commander les batailles pour le salut de l’armée. Ce chef disposait de toutes les charges militaires ; il avait auprès de lui un conseil représentatif où assistaient trois députés de l’Assemblée générale ; le chef pourvoyait au gouvernement des places de guerre. Pourtant ce n’était que par l’Assemblée générale que pouvait se traiter la paix et délibérer la guerre ; auprès de chaque armée devait être un ministre prédicant ; point de blasphèmes dans les rangs de la milice sainte. Il fallait renoncer à la vie lubrique, aux femmes mondaines qui seraient bannies du camp sous peine de la hart (pendaison). La fraternité devait présider à tous les rapports des capitaines et des soldats ; tout pillage, tout trafic était interdit ; la revue et le paiement des gens de guerre devaient avoir lieu en présence des magistrats et des ministres ; le labourage serait protégé, les meuniers des villes exempts de tous logements de guerre. On mettait la main sur tous deniers royaux, tailles, taillons, aide et gabelle, pour pourvoir aux besoins de l’armée des fidèles. Les biens de l’Église catholique étaient confisqués, et les revenus appliqués aux mêmes dépenses, à la solde des ministres du saint culte. Ce vaste règlement n’était rien moins qu’un système général d’administration, qu’un gouvernement à part ; il fut arrêté le 10 mai, signé par le président, les adjoints et les secrétaires de l’assemblée. En voici des extraits.
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L’Assemblée Générale des Églises Réformées de France & Souveraineté de Béarn
[...] Après une si longue attente & retenue, estant avec un indicible regret contraints de recourir aux moyens naturels & légitimes, pour les exposer aux violances & oppressions, & pour conserver en tant qu’en elle est l’authorité du Roy & de les Edicts [Édit de Nantes de 1598 renouvelé à contre-coeur par la monarchie en 1614], par liberté de Ieurs consciences & seureté de leurs vies, mesme d’esviter en tant que faire se pourra les désordres, confusions & inconveniens que la licence de la guerre peut apporter, & pour reallier ; mectre & retenir en bon ordre toutes les forces que peuvent estre en chascune Province, a faict & arresté l’ordre & règlement general qui s’ensuit, par toutes les Provinces. Lesquelles ladicte assembée a estimé estre à propos de deviser en huict despartemens, & en chacun d’iceux eslire & establir un chef general pour commander soubs l’authorité de sa Majesté à tous ceux de ladicte Religion, & y exercer leurs charges & pouuoir selon quil est contenu auxdicts reiglemens.
I. En chasque Province ou faire se pourra, seront commis les Conseils en la forme qu’ils sont a prefent establis , & les députez Consuls s’assembleront toutesfois & quantes que les affaires de la Province le requerront.
II. Le Chef général commandera, conduira & exploitera l’Armee générale & autres forces & Armées joinctes & unies, aux lieux & endroits ou le bien des affaires requerra qu’il sera treuvé, & avec lesdictes forces pourra assieger, où faire assieger, Villes, ou Chasteaux, y donner assaults, les prendre par force ou composition, livrer journées & bataille, & généralement faire toutes autres entreprises & exploits de guerre que ledict General iugera estre bon expedient, avec les autres chefs de son armée.
X. Ne pourra estre faict aucun traicté de treisve, ou de paix, que la délibération ou conclusion n’en soit prinse en l’assemblée générale, ou ledict general ou les chefs généraux desdictes Provinces seront priez d’assister en personne, ou par leurs députez, ausquels cas & pour ce faict seulement lesdicts députez auroyent voix deliberative en ladicte assemblee.
XII. Tous les Chefs, Capitaines, & Soldats, promettront d’observer les reiglemens, tant Militaires que de justice & finance, sur les peines portées par iceux.
XIII. D’autant que les gens de guerre doivent plustost servir d’exemple de vertu, & honnesteté, que non pas de desbordement & dissolution, Tous Chefs, Capitaincs, & Soldats, seront exortê d’user de vray Chrestien, & sage desportement en leurs actions, afin que Dieu en soit honnoré par bonnes vie & conservation, un chacun ediffié en toutes pietez.
XIV. Et pour cette fin, tous les chefs de gens de guerre, tant de Cavalerie que infanterie, seront exortés d’avoir (en tant que faire ce pourra) des Pasteurs ordinaires pour faire leurs presches, & prières aux iours ordonnez, & seront tous chefs, Capitaines & Soldats, subiets à l’ordre & discipline Ecclesiastique, suivant les reiglemens & pollice de ce Royaume.
XV. Et parce que le vice le plus fréquent qui est parmy les gens guerre est les reniements & blasphemes qu’ils font à tous propos contre les commandemens de Dieu & ordonnances de nostre loy, tant ancienne que moderne, au escandale de tous les bons Chrestiens. Et est deffendu & prohibé à tous, & de quel estat & condition qu’ils soyent, de iurer, & blasphemer le nom de Dieu, pour qu’elle cause & occasion que ce soit, à peine de payer un teston par le soldat qui aura blasphemé, & un escu par le gentilhomme & Capitaine, & doubler tousiours selon qu’ils se treuveront en la mesme faute. Et en cas d’obstination & perseverence en leurs blasphemes, seront cassez & emprisonnez.
XVI. Est tres expressement deffendu à tous lesdicts gens de guerre, sans exception de personne, mener vie lubrique & scandaleuse, tenir ou conduire soit en la ville ou aux champs lesdictes compagnies, & vendre aucune femme, sur peine de la vie, & aux femmes d’estre punies corporellement suivant l’ordonnance.
XXIV. Est expressement deffendu à tous Capitaines, soldats, & gens de guerre ayant receu solde, prendre aucuns vivre sans payer leurs hostes, ou voller, sur peine d’estre punis comme larrons & volleurs, & ce tant qu’ils seront en pays d’amy contribuable.
XXX. Et afin que l’agriculture & labourage puisse estre librement continué sans aucun empeschement, ne sera loisible de prendre le bestail servant au labourage, les arrois, lits, & habillemens des paysans hommes & femmes, de quelle religion qu’ils soyent. Ne pourront aussi prendre lesdicts paysants prisonniers, sinon pour les deniers sur eux imposez, ny estre arrançonnez, ny mal traitez, sur peine de la vie, & restitution de tout ce qui auroit esté prins, avec reparations des iniures & interests à ceux a qui auroyent esté faicts.
Faict & arresté en ladicte assemblee generale tenue en la ville de la Rochelle le Lundy dixiesme May, en l’année 1621
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Source : L’Assemblée protestante de la Rochelle rêve d’une république sous la royauté [Histoire-Passion]
Grand Temple de La Rochelle, prouesse architecturale pour l’époque, élevé en 1577, affecté au culte romaniste en 1629, brûlé en 1687.