Pierre Belzeaux (Paris, 1922-2005),
Campagne photographique à Angoulême, c.1961
L'objet est austère, comme pour ne pas détourner l'esprit de l'essentiel. L'ouvrir, c'est, dès les premières pages, se trouver face à la présence, toujours un peu intimidante, d'une légende. Alors que les Éditions Stéphane Bachès ont décidé, avec un courage que l'on ne peut que saluer, de faire revivre la mythique collection Zodiaque grâce à laquelle plusieurs générations ont découvert les beautés de l'art roman, en ont rêvé avant de partir, livre en mains bien souvent, à leur rencontre, elles publient, en guise d'introduction à une aussi audacieuse entreprise, ce Monument livre qui nous invite, en pénétrant dans ses coulisses, à lever un coin du voile sur une aventure tout autant spirituelle que patrimoniale.
La revue Zodiaque est née en mars 1951 et c'est trois ans plus tard, en 1954, qu'allait être lancée une série d'ouvrages qui
devait rencontrer durablement la faveur du public. Intitulée La Nuit des temps, ses 88 volumes s'échelonnent sur plus de 40 ans, jusqu'en 1999, rendant compte principalement de l'architecture
et de la sculpture romanes, plus occasionnellement de la peinture, tout d'abord dans les limites du territoire français avant de commencer à s'intéresser, dès 1958, à d'autres pays d'Europe. Au
cœur de cet ambitieux projet, un homme, le moine bénédictin Dom Angelico Surchamp (né en 1924) qui fit de l'atelier du Cœur-Meurtry de l'Abbaye de la Pierre-qui-Vire (Yonne) le centre d'une
ré-appréciation de l'art roman.
L'un des point forts de ce Monument livre, dont il faut souligner également le soin apporté au choix d'une
iconographie tout aussi séduisante, voire émouvante, que pertinente, est de n'être jamais tenté par l'écueil de l'hagiographie. Certes, la passion qui anime certains des auteurs est perceptible
et apporte d'ailleurs à l'ensemble un dynamisme de fort bon aloi, mais le recul critique est également bien présent, s'attachant notamment à montrer quelles ont pu être les limites du propos de
Zodiaque, notamment du fait de la ténacité de ses présupposés idéologiques. Ce point est remarquablement mis en lumière par Philippe Plagnieux qui s'attache à démontrer combien Dom Surchamp put
donner de l'art roman une image idéalisée et donc irréaliste,
Au moment où La Nuit des temps et Zodiaque s'apprêtent à renaître au travers d'un emblématique Bourgogne romane, il me semble essentiel de se plonger dans ce Monument livre pour comprendre de l'intérieur ce que fut réellement une entreprise sans laquelle notre regard sur l'art roman ne serait certainement pas ce qu'il est aujourd'hui. Mieux connaître ce qui fut et nous est présenté avec un très louable souci d’objectivité permettra sans doute également de mieux mesurer les innovations de la nouvelle mouture des ouvrages qui, tout en exploitant le fonds photographique original, propose des textes entièrement refondus. Parfaite introduction aux volumes à venir, le Monument livre fait définitivement et magnifiquement entrer le Zodiaque originel dans l'histoire.
Illustrations complémentaires :
N.B. : les trois clichés utilisés dans cette chronique, tirés de Zodiaque, le monument livre, le sont avec l'aimable autorisation des Éditions Stéphane Bachès.
Jean Dieuzaide (Grenade-sur-Garonne, 1921-Toulouse, 2003), Dom Angelico Surchamp enlevant les poussières dans le cloître de Gérone, Catalogne, juin 1959 © Jean Dieuzaide
Jean Dieuzaide, Dom Angelico Surchamp devant le portail de Moissac, avril 1959 © Jean Dieuzaide
Accompagnement musical :
Pièces extraites des Graduels de Laon (Bibliothèque municipale, ms. 239, Xe siècle) et de Gaillac (Paris, Bibliothèque nationale de France, ms. Lat.776, XIe siècle) :
1. Qui confidunt in Domino – Trait
Montes in circuitu eius – Verset
(Brigitte Lesne, voix)
2. Alleluia
(Anne Guidet, Lucie Jolivet, Anne Quentin, Catherine Schroeder, voix)
Letatus sum – Verset
(Anne Quentin, voix)
Stantes erant – Verset
(Lucie Jolivet, voix)
Discantus
Brigitte Lesne, voix & direction