"La véritable humilité est d'abord une décence, un équilibre"
C'est Georges Bernanos qui disait ça il y a 65 ans.
Je crois que c'est vrai.
Il allait mourir presque tout de suite après. À 60 ans. Pour avoir révelé ce secret des Dieux.
Cet été, comme les étés précédents, afin que Punkee ne devienne pas aussi végétale que son grand frère, nous l'avons inscrit à un camps de vacances qu'elle affectionne particulièrement. Chaque matin donc, je la reconduisais à 8h50 où tous les groupes quittaient un service de garde et ceux qui n'y adhéraient pas (comme nous) se rejoignaient dans un grand gymnase afin que les animateurs prennent le temps de les organiser, fassent les clowns, coordonnent déjà un peu et s'amusent avec les jeunes avant le départ d'une belle journée d'activités.
Parmi la structure de regroupement, après l'appel au micro d'un animateur aux jeunes de se regrouper et quelques blagues improvisées que j'aurais aimé lui écrire, il y avait chaque matin une chanson, accompagnée d'une chorégraphie, généralement 100% féminine. Des chansons populaires pour plairent aux ti-culs entre 5 et 11 ans et les embarquer dans le dégourdissement.
Parmi les animatrices: Spoutch. Un nom d'animatrice qui venait seconder sa coupe de cheveux, son genre et son tempéremment. Spoutch est lesbienne. Elle a le profil de ce que certains appellent "la boutch". Elle a une coupe de cheveux de type kiwi, elle est parfaitement hyperactive et très très très physique. Sa seule manière de bouger et de se placer dans l'environnement est épuisante pour celui qui ne fait que la regarder se mouvoir. Elle se tourne la tête comme on dévisserait vivement le bouchon d'une bouteille de bière. Elle joue au hockey et on la devinerait agressive au jeu. Elle a toutefois TOUJOURS un sourire de plâtré au visage. Elle dégage beaucoup beaucoup beaucoup d'énergie, peut-être trop, se logeant (vivement) sur la limite de gober l'air de ses contemporains. Elle m'étouffait dès le deuxième jour. Et SPOUTCH! elle apparait partout. Dans toutes les chorégraphies bien entendu, même celle du mercredi où il n'y avait que deux filles sur scène qui dansaient sur la Compagnie Créole. J'ai même cru que certaines s'étaient désistées pour ne pas se faire bouffer leur air par Spoutch.
Je revenais à la maison et simplement à la regarder 5 à 6 minutes, j'étais déjà plus fatigué. Je m'imaginais incapable d'être en sa compagnie plus de 10 minutes si j'avais eu à travailler en sa compagnie. Mais d'un autre côté je me disais qu'il était fort agréable de prendre acte que dans mon pays, on pouvait s'afficher tout à fait librement et sans danger par rapport à son orientation sexuelle. Enfin au Québec, parce que dans le Royaume de Stephen Harper ce n'est pas tout à fait pareil.
Le jeudi, elle est apparue avec un bandage au genou. Une blessure dans le courant de la semaine paraît-il. Une connerie qu'elle aurait faite. Elle a dû tenter de monter le mur d'escalade dans la nuit ou quelque chose du genre. Pas capable de rester en place, je vous dis, plus active que les petits. Plus la semaine avançait et plus je la trouvais...amochée. Comme toujours un peu plus vidée de l'énergie du jour précédent. Comme si elle s'était trop donnée de jour en jour et que, malgré ses pas plus de 24 ans, elle manquait peu à peu de carburant. On voyait de plus en plus de paupières sur ses yeux pas maquillés.
Le vendredi, c'était remise de prix et les parents étaient conviés. Elle était sur scène et tenait des enveloppes de diplômes à remettre à certains jeunes. Elle semblait tomber dans la lune constamment et elle vascillait sur place. Elle a carrément fermé les yeux à trois reprises devant tout le monde! On nous aurait dit qu'elle avait des symptômes post-commotion cérébrale que je l'aurais tout à fait cru. Peut-être étais-ce aussi le cas.
Elle était passée de trop active à trop inerte.
Trop.
C'était le mot qui venait à l'esprit en la côtoyant.
Je n'ai jamais pas su grand chose de plus sur Spoutch et au fond ce n'était en rien de mes affaires, elle ne s'occupait pas du groupe de ma fille.
Mais je l'ai revue à l'aéroport 5 jours plus tard.
C'est là que j'ai su qu'elle jouait au hockey, elle avait sa poche et était en compagnie de coéquipières qui partaient pour un tournoi. C'est là que j'ai aussi vu une autre fille l'embrasser sur la bouche mollement. Comme on quitte une amoureuse pendant un temps, un peu triste. Spoutch avait de telles cernes au visage qu'on aurait pu croire qu'elle était battue. Elle avait probablement pleuré beaucoup.
J'ai eu l'impression en 10 jours d'avoir été témoin d'un cycle chez elle. Sans même la connaître.
Découverte à "high", puis quittée à "very down".
Je ne sais pas si elle a réussi à se remonter là-haut dans cet avion.