Les faits - Le projet de loi de programmation militaire, présentée vendredi 2 août en conseil des ministres, contient des mesures particulières sur les services de renseignement. Ce texte devrait être examiné par le Parlement avant la fin de l'année.
Six services
La communauté française du renseignement se compose de six services. Trois dépendent du ministère de la Défense : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction du renseignement militaire (DRM) et la Direction protection et de la Sécurité de la Défense (DPSD). Un autre est rattaché au ministère de l'Intérieur, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) issue de la fusion de la DST et d'une partie des RG et qui va être rebaptisée DGSI (Direction centrale de la sécurité intérieure). Enfin, deux services dépendent du ministère des Finances, la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin (Traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins).
Les projets de loi sont comme les polices d'assurance : il faut les lire jusque dans les moindres détails. Ainsi, le projet de loi de programmation militaire 2014-2019 contient toute une série de «dispositions relatives au renseignement» qui ont peu à voir avec l'objet du texte. Or, ces neuf articles vont modifier de manière importante le cadre juridique dans lequel travaillent les six services français de renseignement (lire le hors-texte), celui-ci étant élevé au rang de «priorité majeure».
«Nous voulions un équilibre entre l'accroissement des moyens mis à la disposition des services et leur contrôle démocratique par le Parlement», explique-t-on dans l'entourage du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Principale mesure de ce projet de loi : l'accès à plusieurs fichiers, dont un nouveau qui va être créé sur le transport aérien, sera facilité. Il en ira de même avec les données de géolocalisation, alors la protection de l'anonymat des agents sera renforcée.
Le nouveau fichier, dit PNR (Passenger Name Record), sera mis à la disposition des services et sera alimenté par les compagnies aériennes. Il contiendra les données recueillies au moment de la réservation du vol et permettra donc d'anticiper les déplacements d'une personne surveillée. Tous les vols seront concernés, à l'exception de ceux en France métropolitaine. Les données de réservation contiennent une foule d'informations, par exemple, l'itinéraire complet, le moyen de paiement, parfois les préférences alimentaires, etc. A cet égard, le PNR sera beaucoup plus performant que l'actuel fichier des passagers aériens, qui ne contient que les données recueillies au moment de l'enregistrement et uniquement pour les vols extra-communautaires.
Ce PNR a suscité de vifs débats, tant entre les Etats-Unis et l'Union européenne qu'au sein de celle-ci. Après les attentats du 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont imposé à toutes les compagnies aériennes de délivrer ces informations à leur Department of Homeland Security (ministère de l'Intérieur), mesure qui a été contestée en Europe où seul le Royaume-Uni a emboité le pas aux Etats-Unis. Pourtant, ce système «semble avoir fait la preuve de son efficacité», estiment les deux députés Jean-Jacques Urvoas (PS) et Patrice Verchère (UMP) dans un rapport récent, qui plaide en faveur de ce type de fichier. En principe, une telle mesure doit faire l'objet d'une directive européenne, mais le Parlement européen est très divisé sur la question. En avril, sa commission des libertés civiles a ainsi rejeté une proposition de la Commission allant dans ce sens, alors qu'en séance plénière, le Parlement avait donné son accord de principe un an plus tôt. Ces atermoiements agacent à Paris où le gouvernement est décidé à passer outre, comme le précise le projet de loi qui crée ce fichier «par anticipation de l'adoption d'un projet de directive» européenne... Il s'agit, explique-t-on de source gouvernementale, de «démarrer» sans plus attendre «la préparation des traitements informatiques».
Autre mesure importante, l'accès aux fichiers existants sera facilité et élargi. Ainsi, jusqu'à présent, les services de renseignement ne pouvaient accéder à certaines bases de données - comme les fichiers voyageurs - qu'au nom de la lutte contre le terrorisme. Ils pourront désormais le faire dans le cadre de la «prévention des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation», une notion beaucoup plus large, définie par le code pénal, qui intègre jusqu'à «l'équilibre du milieu naturel» de la France ou «des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel». Par ailleurs, des fichiers dont l'accès était réservé à la police ou à la gendarmerie seront désormais ouverts à l'ensemble de la communauté du renseignement. En matière de géolocalisation des téléphones ou des ordinateurs portables, le Code des postes est précisé afin de garantir aux policiers ou aux gendarmes enquêtant sur le terrorisme l'accès aux données en temps réel.
Dernier point sensible, la protection de l'anonymat des agents. L'identité de plus de 10000 militaires et fonctionnaires civils, notamment ceux affectés dans les services de renseignement, ne peut être rendu publique, selon un arrêté adopté à l'origine pour la protection des membres du Groupement d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Si cette mesure s'impose aux médias, qu'en est-il de la Justice, lorsque ces personnels sont amenés à témoigner dans le cadre d'une procédure judiciaire ? Le cas n'est pas théorique. En 2009, deux jeunes militaires du Service Action de la DGSE se tuent lors d'un exercice de fabrication d'explosifs. Leurs camarades et leurs instructeurs sont convoqués par le procureur de Perpignan, mais tous ces personnels, formés pour des actions clandestines, servent sous des noms de couverture. Briefés par leur hiérarchie avant leur déposition, ils répondent tous : «Nom ? Durand. Prénom ? Paul...» Un compromis sera finalement trouvé. Si le projet de loi ne modifie pas ces règles d'anonymat, il prévoit que «auditions se dérouleront dans un lieu garantissant la confidentialité lorsque le déplacement de l'agent au palais de justice comporte des risques».
Ces "espions" juridiquement renforcés seront, en contrepartie, soumis à un contrôle plus étroit de la part du gouvernement et du Parlement. Le 10 juin, à la suite d'une réunion du Conseil national du renseignement sous la présidence de François Hollande, l'Elysée a annoncé la création d'une Inspection des services de renseignement pour le compte du pouvoir exécutif. Parallèlement, le Parlement voit ses pouvoirs élargis. Une Délégation, créée en 2007, assurait jusqu'à présent le «suivi» des services, elle sera désormais chargée de leur «contrôle», une première en droit français. Habilités au secret-défense, les députés et sénateurs membres de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR) verront leur pouvoir accru (lire l'entretien ci-dessous). Ils auront par exemple accès à des documents comme le Plan d'orientation national, qui fixe les priorités des services et pourront auditionner certains de leurs membres. Un modèle qui se rapproche de celui des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne.
Sources : [inconnu]