Jean Chauma, auteur d'Echappement libre, a en effet placé sur un banc révélateur, de l'avenue des Champs-Elysées, le début et la fin d'un braqueur.
Dans ce roman noir, publié il y a quelque deux ans, un héros du grand banditisme, Sébastien Desnoy, alias le Mammouth, se raconte.
Il raconte d'abord comment le jour de sa fugue le monde s'est séparé, pour lui, concrètement en deux camps, celui des caves et celui des voyous.
Ce jour-là, il est au bout de ses quinze ans, à Paname, dans le tout juste après-mai de l'année 1968.
Il commence par déambuler sur les grands boulevards, par voir des films où Delon, Gabin, Belmondo, Ventura sont à l'affiche, puis des films interdits aux moins de 21 ans, à Pigalle. Il entre ensuite dans un Prisunic. Au rayon jouets il vole "une mauvaise réplique du pistolet automatique Luger P08".
Sans préméditation, faisant trembler son corps, avant d'arriver à son esprit, l'idée saugrenue lui vient de braquer une boulangerie-pâtisserie avec ce jouet à amorces:
"Dès ce jour je sus que c'était possible, je sus que je pourrais recommencer quand je le voudrais."
Après avoir tout flambé, pris sans payer un magnifique repas dans un restaurant, il s'enfuit en courant et termine sa course sur un banc de l'avenue des Champs-Elysées, où il dort du sommeil du voyou, le méfait accompli.
Il a fui ses proches, plus particulièrement sa mère, couverte de maris, abusive, dans tous les sens du terme, y compris sexuel. A son réveil, il emboîte ses pas dans ceux de Frédéric, qui tient le restaurant Le Laurent, qui l'embauche et dont il devient le jeune amant.
Trois ou quatre ans plus tard, il le quitte pour devenir serveur au Cercle de la Marine, chez Mattei.
Tueur présumé, à juste titre, du député Breuil (pour rendre service à Mattei), il fait quatre cinq ans de prison et est libéré sur un non-lieu. Mais ce n'est pas la dernière fois qu'il fera de la prison... qui n'est pas l'école du crime, qui n'est d'ailleurs l'école de rien:
"La prison n'apprend rien, elle ne fait que renforcer le monde fantasmagorique du délinquant, du criminel."
L'emprisonnement n'est-il pas insupportable sans les fantasmes?
Trente-cinq après sa fugue, Sébastien se retrouve sur un banc semblable à celui où, devenu voyou, à part des autres, il s'était endormi, sur la même avenue, mais, cette fois, une balle dans le côté droit.
Sentant la vie s'échapper de lui, il se penche sur son passé en dialoguant avec une belle passante, aux cheveux blancs coupés à la garçonne, qui le connaît de réputation, qui l'aime, comme cela, gratuitement, et qui veut l'aider tout simplement parce qu'il en a besoin, même pas parce qu'elle l'aime:
"Si j'avais su que tant de choses étaient gratuites, j'aurais pas fait voleur." lui confie-t-il.
Sébastien, lui qui n'a été jusqu'alors qu'un instrument - ce qui lui faisait prendre forme et sens -, apprend d'elle l'essentiel. Il n'a rien à faire, rien à ajouter au fait d'être. Il lui faut "juste profiter du don d'être vivant.".
Il s'est fourvoyé:
"Ce n'est pas d'avoir fait le truand qui ouvre le Paradis, mais le repentir, l'éveil à l'autre."
Seulement, comme il ne perçoit toujours pas de Paradis, il se rend compte, grâce à la belle inconnue, qu'"il existe quelque chose d'aussi exaltant c'est d'être."
Jean Chauma dresse le portrait psychologique d'un braqueur qui ne l'est pas devenu par calcul ou par choix, dont le regard n'était pas exercé à voir, qui ne savait que ressentir, qui s'est "retrouvé un jour avec cette sorte de don négatif, cette possibilité de faire".
A ce braqueur il aura fallu attendre d'être proche de la mort pour devenir lucide sur sa vie, qu'il croyait être la vraie vie parce qu'il en jouissait.
Le banc aura été le révélateur, le commencement et la fin.
Jean Chauma parle en connaissance de cause. Aussi faut-il l'écouter. Et peut-être s'asseoir comme Sébastien sur un banc, sans attendre, cependant, qu'une belle inconnue vienne apporter de l'aide...
Francis Richard
Le banc, Jean Chauma, 112 pages, BSN Press