Foie gras & aiguillettes de canard fumés à la fève tonka, pain d'épices et bacon croustillants

Par Eric Bernardin

Comme souvent chez moi, tout part du vin. Le Dom Ruinart rosé 1990 est un champagne composé à 90 % de chardonnay et 10 % de pinot noir. Agé de 23 ans, je l'imaginais plutôt sur les épices, le grillé, avec un peu de fruit et beaucoup de vinosité. Le foie gras, déjà testé à plusieurs reprises avec des champagnes évolués, me semble tout indiqué. La version "multicoques" aurait probablement pu convenir. Ou même la pressée de foie gras au ris de veau qui avait magnifiquement accompagné la Grande cuvée de Krug. Mais là, vue que c'était un rosé, je voulais une touche de fruit rouge. La framboise me paraissait une piste intéressante. Elle devait toutefois rester discrète.

J'avais aussi envie d'explorer la piste du fumé. Mais un fumé doux, presque sucré. Il existe un type de sciure qui donne ce type d'arôme (hickory), mais je préférais utiliser les moyens du bord. J'avais fait en 2006 des pétoncles fumées à la fève tonka et le goût était très subtil. Ca me paraissait une bonne piste. J'ai eu des échanges à ce sujet avec Frédéric Panaïotis, chef de cave de Ruinart qui m'a rassuré en me disant que j'étais sur la bonne voie avec le foie gras et le fumé. Il m'avait écrit que ce champagne se prêtait bien aussi au pigeon. Ca me paraissait assez tentant de mêler pigeon et foie gras, mais bon, ça augmentait un peu trop mon budget global. C'est pour cela que j'ai finalement choisi les aiguillettes de canard, à la chair tendre et "sucrée" comme le pigeon (même si un peu moins fine et subtile)

Préparation

Trois jours avant

Le foie gras a d'abord été saupoudré sur toutes ses faces avec un mélange sel / sucre muscocado/fève de tonka rapée finement, puis il a été filmé et a macéré une nuit au frigo, avant d'être fumé à froid à la fève tonka durant 30 minutes. J'ai en effet acheté une "pipe Aladin" qui fait de la fumée à froid. Il suffit d'envoyer dans un récipient hermétique où se trouve le foie et d'obturer totalement.

Les aiguillettes ont macéré 30 mn dans un mélange de gros sel et sucre roux (2/3 sel, 1/3 sucre), puis ont été rincées, séchées et fumées 5mn à la tonka.

J'ai ensuite fait un gros boudin avec le foie gras (déveiné) où j'ai inséré les aiguillettes, je l'ai bien serré dans un torchon et je l'ai fait cuire 30 mn à 55 ° dans un bouillon de canard au chou rouge.

(celui-ci a été fait avec des manchons de canard, des oignons, et du chou rouge ciselé. Tout a d'abord été revenu dans de la graisse de canard, puis couver avec un mélange d'eau, de jus de chou rouge obtenu à la centrifugeuse et de fond de veau pour corser un peu. Le tout a mijoté une heure à couvert, puis a été filtré).

Après refroidissement, le foie gras a été enrobée dans des fines tranches de speck. puis il a été filmé et a reposé 3 jours au frigo.

La veille au soir

J'ai émincé du chou rouge, je l'ai saupoudré de sucre et de sel, et je l'ai laissé reposé 30 mn en mélangeant de temps en temps. Puis je l'ai rincé à l'eau claire, égoutté,  puis arrosé d'un "vinaigre de framboise" de ma composition. J'ai filmé l'assiette et laissé ainsi jusqu'au lendemain.

(Pour le vinaigre, il faut mixer 250 g de framboise fraîche,  3 cl de vinaigre balsamique blanc et 1 pincée de guar ou de xanthane pour la tenue. Mixer le tout et filtrer à la passoire fine pour éliminer les pépins. C'est ce vinaigre que vous retrouvez autour de l'assiette)

Le jour même

Le pain d'épice est passé au four 10 mn à 200 °. Puis il faut attendre qu'il refroidisse. Il devient alors croustillant. Il n'y a plus qu'à hacher au couteau. Ca re-ramollit assez vite avec l'air ambiant. Donc soit vous le faire 20 mn avant le service, soit il faut le conserver sous-vide jusqu'au moment de servir. Le bacon a été poêlé à sec jusqu'à ce qu'il commence à se déssécher. Là aussi, il faut attendre qu'il refroidisse un pour qu'il devienne croustillant (réflexion identique sur la conservation).

J'aurais voulu du pain viennois pour poser mon foie gras, sauf qu'il a été impossible d'en trouver chez les trois boulangers où je suis allé. Je me suis donc servi de tranches de baguettes qui ont été poêlées sur une seule face (pour que le reste de la tranche soit moelleux).

On avait donc un bel équilibre sur le plat : fondant/croustillant et croquant du chou, doux/acide, fruité/fumé... Le champagne était assez marqué par les notes de grillé/fumé, d'orange sanguine, mais aussi d'épices, de fruits confits, avec aussi une petite touche de fruits rouges (framboise/groseille). la bulle était d'une rare finesse, et la matière était très ample et moelleuse, épousant la chair du foie gras. En même temps, il avait toujours une superbe droiture qui tranchait avec le gras du foie. Superbe accord.