"C’était un de ces moments inexplicables où l’on se retrouve soudain complètement seul au milieu d’une foule, où le bruit est comme assourdi, où les corps trop serrés semblent s’écarter, devenir lointains et mystérieux, comme des acteurs sur une scène éloignée."
P.D James, Une folie meurtrière (A Mind to Murder), 1963.
L’intrigue
La clinique londonienne Steen de psychothérapie trie ses patients sur le volet, n’y entre pas le premier fou venu ! Pourtant, c’est cet établissement chic qui va défrayer la chronique après le meurtre de sa secrétaire administrative, Enid Bolam, détestée de tous, patients et collègues inclus, mais qui aurait-pu passer à l’acte, un vendredi soir dans la salle des archives au sous-sol ? Pour quel mobile ? Qu"est-ce que Mrs Bolam aurait-elle découvert qui pourrait ébranler toute la clinique au point de lui imposer un silence éternel, une paire de ciseaux dans le coeur et un fétiche sculpté serré comme un nourrisson ? C’est le charismatique et taciturne commissaire Adam Dalgliesh qui va devoir résoudre cette enquête où tous semblent innocents ou tous coupables…
Voilà une lecture que j’ai commencé à la fin du mois anglais et que j’ai laissé traîné, pas parce que ce roman est mauvais, mais plutôt à cause du contraire. J’ai d’emblée été marqué par l’habilité de P.D James à mettre en place son intrigue, à brouiller les pistes, avec très peu d’éléments. Confrontée à autant de facilités, j’ai voulu surement prolongé le plaisir pour retarder le dénouement final.
P.D James
Je n’ai découvert P.D James que très récemment, il y a un an, grâce à son roman dérivé de Pride and Prejudice, Meurtre à Pemberley qui attend d’être lu, sagement dans ma PAL. Toutefois, j’ai préféré découvrir cet auteur par un polar original, ancré dans son propre univers et non dérivé de l’univers d’une autre auteur, aussi géniale soit elle. J’ai encore beaucoup à apprendre de ce genre, mais Une folie meurtrière est l’un des meilleurs polars que j’ai lu, bien qu’il ne dépassera jamais dans mon coeur Le grand sommeil de Raymond Chandler.
Adam Dalgliesh (Martin Shaw)
J’ai découvert en préparant ce billet qu’Une folie meurtrière était la deuxième enquête du commissaire Dalgliesh, un personnage très récurrent dans une série de polars de P.D James et c’est une très bonne nouvelle, m’étant très attachée au caractère taciturne et à la perspicacité de cet inspecteur de Scotland Yard à l’âme plutôt torturé. Contrairement à Philip Marlowe, plus "vulgaire", Adam Dalgliesh fait partie de ces gentlemen detective par sa conduite presque décalée par rapport à l’époque (les années 60) mais aussi par sa personnalité et ses occupations. Le deuxième chapitre d’Une folie meurtrière nous plonge après la découverte du cadavre dans une sauterie organisée par la maison d’édition de Dalgliesh pour le deuxième tirage de son recueil de poésie. La fête et le rencard de Dalgliesh vont être rapidement avortés, appelé par le devoir de se rendre sur les lieux…
Si Une folie meurtrière est imprégnée des traditions policières, à l’époque où se situe l’intrigue, les méthodes policières et les idées toutes faites sur les enquêtes policières propagées par la culture, le genre est mis en abyme plusieurs fois pour décrire par exemple le comportement convenu des personnel présent sur le lieu du crime :
"Ils ont lu tous les meilleurs romans policiers. Personne n’a touché le corps, ils ne laissent entrer ni sortir personne et ils se sont tous réunis dans une seule pièce pour pouvoir se surveiller mutuellement. Vous feriez bien de vous dépêcher Adam, ou ils résoudront le crime avant votre arrivée."
Très vite, on assiste à un huit-clos la nuit du crime une fois les entrées et les sorties interdites, où chaque membre du personnel devient suspect, chacun s’épie, essaie sa petite théorie et cache des secrets qui pourraient ou pas avoir un lien avec l’enquête. Le long passage de l’interrogatoire est très crucial forcément, et fait lui-même partie du rituel attendu dans une enquête policière. Personnellement, ça a été le moment où j’ai le plus possible remuer mes méninges pour relever quelques indices, quels mensonges, quelques alibis ou mobiles mais c’est aussi à ce moment-là qu’on découvre en surface les principaux personnages ou plutôt les suspects.
La scène de l’interrogatoire dans Basic Instincts
Les premières pages du roman donnent tout de suite une mse en situation et se focalise sur un personnage en particulier, le Docteur Steiner qui somnole pendant la séance d’analyse d’un de ses patients. D’emblée, on sent beaucoup de tensions dans cette clinique de psychothérapie, particulièrement entre Steiner et la victime Mrs Bolam, pas forcément contenue ce qui dirige subrepticement le mobile du coté de rivalités ou de contentieux personnels, voire passionnels. Pourtant, très vite, la vie privée de Mrs Bolam apparaît plus plate que jamais : une simple dévote, célibataire, maniaque du rangement au vu de son appartement digne des maisons-témoins avec pour seule occupation un poste de cheftaine chez les scouts.
Mais, Mrs Bolam, par dessus tout, est une femme riche et la place de l"argent va être au centre de l’enquête. Là encore, rien de très révolutionnaire dans ce polar, et pourtant, c’est la grande simplicité de l’intrigue qui est l’une des grandes qualités d’un roman comme Une folie meurtrière. Tous les lecteurs de polars ont une imagination débordante, tous les scénarios semblent possibles alors quand on est confronté à trop de simplicités, on ne peut pas s’empêcher d’imaginer des difficultés supplémentaires inutiles pour pimenter l’enquête. L’une des armes du crime est particulièrement porteuse : quel rôle a joué le fétiche de bois sculpté par un schizophrène, retrouvé niché dans les bras de la victime ? Quand on découvre que son propriétaire a un alibi, l’imagination ne peut que fuser. Vraie piste ou fausse piste, à vous de le découvrir !
Pourtant, derrière les histoires d’héritage, de liaisons entre médecins ou même du vol d’une modeste donation une semaine avant les faits, tant que le commissaire et le lecteur est dans le noir complet, autant de simplicité ne saute pas aux yeux directement ce qui renforce le suspens. Une fois sorti du schéma en huit-clos, on retrouve chaque protagoniste chez lui, dans l’intimité, sans qu’aucun suspect ne se trahisse. Si les ficelles simples de l’intrigue ne gène pas le plaisir de la lecture pendant une bonne partie du roman, le dénouement et la transition vers la chute finale nous les révèlent en pleine figure. Même Dalgliesh s’en rend compte une fois le crime résolu : tout était trop facile et aurait pu être réglé bien plus tôt en suivant quelques instincts. Si aux yeux de tous, l’enquête est un succès, pour lui, en expert, elle a un arrière-goût d’échec. Et le lecteur et Dalgliesh ne peuvent être que d’accord : même si Une folie meurtrière demeure une bonne lecture, parfaite pour se détendre avant ou après s’attaquer à de la littérature beaucoup plus indigeste, la chute tombe un peu à plat . Au lieu de jouer les lecteurs attentifs et les inspecteurs en herbe, on est rapidement relégué à la passivité, recevant les informations, les faits et le mobile sans réel entrain.
A force de compter sur la simplicité, le lecteur finit par s’ennuyer un peu. J’aurais aimé qu’un mystère plane, que quelque chose échappe à l’enquête au lieu de sceller le dossier comme des pros, sans quelque bavure. Même pour l’assassin, même en anticipant ses intentions au moment où on le suit dans son intimité, rien ne sort de son profil, de ses motivations que de vulgaires intérêts. Si ce meurtre est si bien pensé, calculé à l’image du geste presque chirurgical qui a tué Mrs Bolam, une paire de ciseaux en plein coeur,aucune place n’est laissée à la presque dissection de son cerveau de meurtrier. En situant un meurtre dans une clinique psycho thérapeutique, on s’attendrait à plus de psychologie, même à un travail de profileur. Et si le cerveau de l’affaire est vraiment tordu, on ne laisse pas vraiment au lecteur le temps de le découvrir.
"- A quel génie pardonnerait-on un crime comme celui de *** ? Michel-Ange ? Velázquez ? Rembrandt ?
- Bah, fit son chef avec aisance, si nous devions nous poser cette question, nous ne serions pas policiers."
Mais peut-être que ce n’est pas le propre des polars de discuter du cerveau ou de la psychologie des meurtriers. peut-êtr que c’est au lecteur de jouer les enquêteurs et les analystes.
Comment se procurer Une folie meurtrière ?
Une folie meurtrière de P.D James
Le livre de poche – 315p.
(VO : A Mind to Murder)
1e contribution au challenge "Thrillers & Polars" organisé par Liliba.
1/8
2e contribution au challenge British Mysteries chez Lou et Hilde
2/6
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