par Frédéric Vigne
J'aime le mois d'août finissant, les tiges des gentianes qui sèchent sur les estives, les myrtilles qui se ratatinent, les colchiques qui vont éclore, et plus bas les mûres qui deviennent un peu mollassonnes. On entend toujours les sonnailles et le milan noir tournoie encore pour quelques semaines. Les boules de foin sont encore dans les champs, très souvent, et les randonneurs arpentent les chemins en songeant que demain il va falloir repartir.
Oh, il y a encore des fêtes de village, tout ne s'arrête pas soudainement, mais néanmoins, quelque chose flotte dans l'air toujours chaud. La lumière du Soleil se fait plus oblique...et les hirondelles s'approchent des fils.
Et puis il y a la grande affaire du moment, dont tout le monde parle au village: l'ouverture prochaine de la chasse! Ah, la chasse, un droit arraché aux seigneurs par la Révolution et octroyé au bon peuple, qui a fini par se transformer en une oligarchie d'électeurs-lobbyistes dans les cantons ruraux.
Ca va pétarader jusqu'à la Toussaint, comme un ado qui découvre l'éjaculation, et puis ça va se calmer. La chasse est un loisir cher. Ce qui fait que certains ont vite l'idée de la "rentabiliser", la carte. Vous me suivez?
Revenons aux hirondelles. Elles vont se rassembler et partir, en même temps que la plupart des randonneurs. Les colchiques seront partout et les moutons continueront de paître jusqu'aux premiers frimas, afin d'économiser le fourrage d'hiver. On ne peut rien trouver à y redire.
La chaleur va peu à peu baisser, taper moins fort sur les crânes nus comme sur les bérets. Et c'est cette pente douce vers les veillées hivernales et l'odeur des
feux de bois qui embaume les vallées dont je veux louer les vertus.
C'est un moment où les choses deviennent plus calmes, la chasse exceptée. Le moment où les tensions peuvent trouver à s'apaiser. C'est aussi le moment où les décideurs enterrent les projets les plus polémiques, jusqu'à la saison prochaine.
Pyrénéens, mes frères, je vous propose de parler calmement, de nous dire les choses sans tabou mais sans agressivité. Pyrénéens, qui que vous soyez, d'où que vous veniez, de souche, d'adoption, de cœur ou de la roubignolle droite, parlez! Joignez-vous au débat! Il s'agit de NOS montagnes, de NOTRE massif!
Je refuse de me retrouver comme un Inuit qui voit sa banquise fondre à jamais sans pouvoir rien faire, son mode de vie millénaire devenir une curiosité ethnographique sur photo sépia!
Je refuse de voir un jour que tout a disparu, que ça s'est passé quand j'étais de ce monde, et que je me suis bouché les yeux! Nos glaciers vont mourir, la messe est déjà pratiquement dite! Dépêchez-vous de grimper à la Maladetta, à la Brèche (pour ce qu'il en reste), à Tuquerouye, à la Munia!
La neige, on continue à investir dedans, mais c'est temporaire.
Alors quoi, on regarde et c'est tout?
NON! Il reste l'âme des Pyrénées! Il doit y avoir ceux qui l'incarnent, les bergers d'estive, mais de vrais bergers, qui se comportent en bergers, qui font leur travail de berger! Et s'il faut payer un peu pour ça, qu'on paye! Rien n'est gratuit, surtout pas la liberté, surtout pas ce à quoi on tient.
Nous n'avons AUCUN droit sur les montagnes. Nous n'avons QUE des devoirs et des responsabilités.
Il y aura aussi, il faut bien l'admettre, des chasseurs. Non pas que ça me réjouisse, mais on ne peut pas manger que la confiture et laisser le pain, fût-il un peu rassis! Seulement il faut qu'ils soient sévèrement tenus en laisse! Et puis chez eux aussi, il y a des types bien, des types qui ne ferment pas la porte au dialogue.
Et il doit enfin y avoir, et là ça me fait VRAIMENT plaisir, une VRAIE vie sauvage. Que l'ours se développe, que le bouquetin des Pyrénées et le loup reviennent, qu'on arrête de tirer le grand-tétras ou d'accuser le vautour pour rien.
L'ensauvagement des territoires n'est pas une anomalie, c'est un partage de l'espace. Le fait de voir un renard pisser sur ses framboisiers n'est pas un crime sans pardon, c'est une banalité de la Nature. Il faut réapprendre à vivre avec ça, nous les créatures sous cellophane! Le monde n'est pas un gazon de lotissement, sinistre et uniforme! Le monde est foisonnant, et son anarchie n'est qu'apparente!
Pyrénéens de tous les pays, de toutes les classes sociales, unissez-vous! Unissez vos voix, ne les laissez pas se faire brimer par une poignée de caciques locaux qui ne pensent qu'à leurs prébendes, à leurs privilèges, à leurs petits pouvoirs!
Nous avons TOUS voix au chapitre! Ce ne sont pas LEURS montagnes, ce sont LES NOTRES!
Quand partiront les hirondelles, que l'odeur des champignons emplira les sous-bois et que les matins seront frisquets, il serait bon, à la veillée, de se rassembler pour parler et se dire les choses simplement. Même si on n'est pas d'accord. Il faut se parler, d'urgence!!!
Nos Pyrénées le méritent.
J'espère sincèrement qu'on sera tous à la hauteur."