Madame Nicole Bricq, la Ministre française du commerce extérieur a pu déclarer récemment qu’elle comptait « s’investir fortement pour favoriser les échanges » avec le continent africain. Elle a en effet réagi après la publication des chiffres du déficit commercial français, la « France » accusant un petit solde négatif vis à vis du continent (0,1 Md’€), même si ses exportations y sont en croissance (+2,8% par rapport au premier semestre 2012). Le « problème » ? Les importations en provenance d’Afrique ont crû de 5,6%. A cette occasion la ministre a aussi jugé le déficit commercial français, qui se réduit, d’« encourageant ». Importations en hausse et creusement du déficit commercial seraient des maux nationaux. On s’habitue à ce type de discours, mais est-il si évident ?
Le déficit commercial « français » est passé de 5,7 milliards d’euros en mai à 4,4 milliards : est-ce vraiment une bonne nouvelle ? Voilà en réalité un bon exemple de la manière dont nous devons être prudents lors de l'utilisation d'indicateurs simples, voire simplistes. Et comment les hommes et les femmes politiques peuvent facilement nous « embrouiller » quand il s'agit d’économie ...
Un déficit commercial n'est pas systématiquement mauvais en soi.
Beaucoup ont tendance à penser qu'une réduction du déficit commercial est toujours une bonne chose parce qu'ils pensent que nous vivons dans un monde de « Nous contre Eux ». Ils confondent les intérêts producteurs de quelques industries exportatrices et les consacrent « intérêts nationaux », et oublient un peu rapidement les intérêts des consommateurs que nous sommes. C'est un héritage de la pensée mercantiliste, qu’il faut écarter.
D’abord, et notamment dans l'économie mondialisée d'aujourd'hui, « les importations font les exportations ». En raison de la fragmentation de la division du travail entre les différentes entreprises et individus à travers la planète, nous avons un « commerce de transformation » : les importations sont utilisées comme intrants pour les exportations. D’où : davantage d’importations aujourd'hui peut signifier davantage d’exportations l'année prochaine (compte tenu du décalage dans le processus de la production nationale).
Plus généralement, davantage d’importations peuvent être nécessaires pour alimenter la croissance domestique (même si elles ne se transforment pas en exportations). Les importations ne sont pas une plaie : elles sont l’expression d’une volonté d’échanger. Plutôt que cela soit par exemple une entreprise française qui achète à une autre entreprise française, elle achète à une entreprise marocaine. Quelle différence ? Il y a dans les deux cas une création de valeur par l’échange, avec des gens satisfaits. Et c’est bien tout ce qui compte.
Comme le rappelait l’économiste classique Frédéric Bastiat, nous devons toujours être très prudents avec les mesures macro-économiques qui tendent à cacher des processus microéconomiques. Il faut nous assurer de regarder « dans la boîte noire ». Nos politiciens présentent volontiers les exportations comme un gain et les importations comme une perte, et tout déficit commercial comme une «perte nationale » nette. La pensée mercantiliste a la vie dure.
Si l’on regarde le déficit commercial français « réduit » nous voyons que les exportations n'ont augmenté que légèrement, de 0,5% ; le principal moteur de la réduction du déficit commercial est le fait que les importations ont diminué de 2,6%. Est-ce une bonne nouvelle ? Sans doute pas. Ce n'est pas le signe d'une économie saine, quoiqu’en pense une ministre du commerce extérieur. Cela signifie que nous pouvons acheter moins de l'étranger. Le rapport de la Direction générale du Trésor – Pôle commerce extérieur est d’ailleurs assez explicite : « Ce repli s’inscrit dans le cadre d’une consommation et d’investissements domestiques peu dynamiques. L’amélioration du solde est donc aussi le reflet d’une conjoncture interne encore peu dynamique ».Et sur le dernier semestre, les choses sont encore pires : les exportations ont diminué de 1,2% et les importations de 3,1%.
Enfin, il est important de revenir sur l’aspect du « soutien aux échanges » dont parle la ministre. Cette politique se résume souvent, notamment dans les relations avec l’Afrique, à tenter de soudoyer les gouvernants locaux pour passer des contrats avec des grandes entreprises françaises, plutôt que d’autres nationalités. Ce type de politique active, arme de la « diplomatie économique », encourage en réalité la corruption et le capitalisme de copinage. Il empêche la reddition des comptes au niveau local.
Est-ce à dire qu’il ne faut pas se préoccuper de compétitivité à l’international ? Non. Cependant, le meilleur soutien aux entreprises à l’international consiste à alléger leur fardeau en termes de démarches administratives et impositions diverses, ainsi que faciliter leur croissance en permettant, dans la responsabilité, l’inventivité des financements. Soit tout le contraire de la politique française.
Emmanuel Martin, analyste sur www.LibreAfrique.org, le 12 août 2013.