Erik Brynjolfsson, Andrew McAfee, Race Against the Machine: How the Digital Revolution is Accelerating Innovation, Driving Productivity, and Irreversibly Transforming Employment and the Economy, Digital Frontier Press, Lexington (Mass.), 98 p, 2011, 3,99 $ (Kindle Edition)
Essai sur l'emploi à l'époque de la production numérique par deux universitaires américains (MIT, Boston).
Le numérique détruit des emplois, en crée aussi mais moins, semble-t-il. La stagnation économique est contemporaine du développement de l'économie numérique aux Etats-Unis. L'argument principal de cet essai est celui de la "fin du travail" humain, et de son remplacement progressif par des machines : parmi les exemples évoqués à titre d'illustration, l'automatisation de la conduite automobile, l'automatisation de la traduction des langues naturelles, Watson jouant et gagnant Jeopardy!, l'assistance au diagnostic médical, le commerce et aussi, peut-être plus rappant, le recours aux robots par les usines de Foxconn (qui entre autres construisent nos appareils mobiles). Coupable donc l'automatisation provoquée par les nouvelles technologies numériques. Et le progrès technologique en cours n'en est encore qu'à ses débuts : les auteurs évoquent la loi de Moore sur la vitesse croissante des ordinateurs, l'amélioration vertigineuse des algorithmes de calcul des ordinateurs (pattern recognition notamment), véritables outils à tout faire ("general purpose technologies") qui affectent la plus grande partie des tâches effectuées dans les entreprises et les administrations et notamment les tâches d'information et de communication (ICT). Pour de nombreuses activité toutefois, la machine ne dépasse pas encore les humains : Alan Turing prédisait que dans 70% des cas, en 2000, les ordinateurs passeraient son test : on n'y est pas encore.
Dans leur diagnsotic, les auteurs soulignent l'inégalité croissante de la répartition des richesses produites par les technologies numériques (inégalités de revenus). La technologie numérique détruit des emplois, et surtout des emplois peu qualifiés ; elle crée des emplois très qualifiés, de plus en plus qualifiés provoquant une course continue entre formation et technologie. Enfin, le capital qui finance les machines est mieux rémunéré que le travail qui les fait fonctionner. Quelle dose d'inégalité une organisation sociale peut-elle tolérer ?
Solutions ? Mieux travailler avec les nouvelles technologies, innover dans les organisations, collaborer avec les machines : pour cela, il faut investir dans le capital humain, dans l'éducation scientifique et technologique, rassembler, organiser et faire travailler ensemble des savoir faire dispersés (crowd sourcing, micromultinationales, etc.). Le système scolaire et universitaire n'est plus du tout en phase avec l'économie contemporaine, avec les dispositions des étudiants ; il s'apparente plus à un parking, à une salle d'attente qu'à une entreprise éducative. Les technologies numériques affectent aussi l'organisation éducative : elle finiront par y détruire les emplois aussi. Parmi les recommandations des auteurs : séparer l'évaluation (certification) de la formation, développer l'éducation à l'entreprenariat, abaisser les barrières à la création d'entreprises, réformer le système des brevets, etc.
Tout cela, qui est évoqué à propos des Etats-Unis, ne manque certainement pas de pertinence pour la situation française.
Reste un point qui n'est pas abordé, celui des conditions de travail dans certains emplois créés par la révolution numérique : très bas salaires, absence de filet social, emplois précaires (cloud labor). Sur ces aspects préoccupants, voir l'article de Andrew Leonard, "The Internet's destroying work -- and turning the old middle class into the new proletariat", Salon, July12th 2013.