My Dark Angel – Chapitre 36

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete
Elijah

La douleur aiguë et corrosive s’estompa d’un ordre bref proféré par Marcel et que je perçus vaguement au travers du bourdonnement qui emplissait mes oreilles. Elle ne disparut pourtant pas complètement. Si le vampire restait prudent, il n’était toutefois pas du genre à expédier ce genre d’exécution qui le mettait au centre de l’attention de ses sbires. Il aimait se donner en spectacle, prolonger le supplice de ses victimes et je savais parfaitement qu’il ne m’épargnerait aucune de ses simagrées. L’ancien esclave devenu vampire avait été à bonne école et n’avait finalement rien à envier, malgré son « jeune âge », à son originel de créateur. Ce bref répit qu’il m’octroya me permit de reprendre mon souffle mais je restais incapable de me relever comme si un poids énorme s’abattait sur mes épaules. Je levai les yeux alors qu’il s’accroupissait pour se mettre à ma hauteur et me narguer sans vergogne de son éclatant sourire qui éclairait son visage à la peau sombre. Son regard noir, en revanche, ne me donnait que peu d’espoir sur le sort qu’il me réservait. Il ne pouvait certes pas me tuer mais les sorciers qu’il soumettait mystérieusement avaient sans conteste le pouvoir de me faire subir le même sort qu’ils avaient réservé à notre père.

— Je n’arrive pas à croire que tu aies été assez stupide pour te faire avoir de cette manière par ce flic. C’est une date à mettre dans les annales…

Marcel se redressa, balayant du regard l’assemblée de vampires qui s’étaient approchés et nous encerclait, et écarta les bras comme un orateur qui s’apprêterait à prononcer un discours capital.

— Le brillant Elijah, celui à qui nous devons la mort de beaucoup des nôtres, celui qui déjouait nos projets…, commença-t-il sur un ton grandiloquent, manipulé par de vulgaires humains et tout cela… pour une femme.

Il acheva sa harangue en arborant une expression piteuse et exagérée et partit dans un éclat de rire très vite imité par ses condisciples. Il me tournait autour comme un oiseau persuadé que sa proie ne pourrait pas lui échapper.

— Prisonnier de ton propre corps pendant quelques siècles dans la fange du bayou devrait te permettre de bien ressasser ta bêtise et pleurer ta belle. Paix à son âme…

Je fulminai intérieurement. A deux mètres de moi, les deux sorciers gardaient leur regard fixé sur moi, guettant le moindre de mes gestes et prêts à m’infliger à nouveau leur sort si je m’avisais de bouger. Mais je n’en avais que faire. Je n’entendais que le cri de révolte de mon amour propre malmené par cette séance d’humiliation dont Marcel se repaissait. Je rassemblais le peu de force dont je disposais et qui, si elle ne suffisait pas à vaincre les vampires qui m’entouraient, serait grandement suffisante pour  blesser les humains qui me maintenaient au sol par leur magie. Mes doigts se crispèrent et se refermèrent sur les graviers. Je ne leur laissai pas le temps d’anticiper mon geste. L’impact des minuscules pierres que je projetai sur eux eut l’effet de balles qui les fit s’effondrer au sol dans des hurlements que les éclats de rire des vampires ne couvrirent qu’un bref instant. Ils turent presque aussitôt comme une seule voix réduite au silence. Enfin libéré de l’emprise de la magie, je pus enfin me relever. Avant que Marcel ne réalise que ses sorciers n’étaient plus en mesure de lui garantir une relative sécurité ou que ses vampires ne puissent intervenir, je l’acculai contre le socle de béton de la statue qui ornait le centre du square. Quand je plongeai ma main dans sa poitrine, ses yeux se révulsèrent et son souffle s’étrangla dans sa gorge. Je sentais son cœur que je tenais serré entre mes doigts palpiter de plus en plus rapidement.

— Dis-leur de partir ou je t’arrache le cœur sur le champ, lui intimai-je alors que les vampires s’étaient avancés dans un mouvement parfaitement synchrone vers nous.

L’ordre que leur lança Marcel les dissuada de poursuivre dans cette voie, même si aux regards que certains s’échangeaient, la perspective de prendre la place de leader semblait les avoir effleurés. De discrets sourires relevèrent le coin de leurs lèvres. Ils reculèrent non pas pour lui garantir la vie sauve mais pour me laisser finalement faire de leur chef ce que bon me semblait. La fidélité de la cour de Marcel n’était apparemment plus aussi incontestable. A notre retour à La Nouvelle Orléans, trente ans auparavant, il était alors le maître incontesté de cette ville. Pas un vampire ou sorcier ne se serait avisé de le trahir. Klaus et moi avions été seuls pendant longtemps face à cette armée que seuls quelques sorciers aux pouvoirs mystérieusement bridés avaient tenté de braver. Les choses avaient de toute évidence changé depuis mon départ. Pas étonnant dans ces circonstances que le vampire ait cherché à redorer son blason en s’alliant avec un humain pour neutraliser un originel. Une preuve de son pouvoir – ou de sa stupidité. Tout était question de point de vue. Je me demandais bien ce qui poussait Klaus à garder cet arrogant jeune vampire encore en vie au lieu de le tuer. Cela lui aurait été aussi aisé que cela l’était pour moi à cet instant même. Je tenais dans mon poing serré son cœur. Il me suffisait d’un simple geste pour en finir. L’idée commençait à faire doucement son chemin. Il s’en rendit compte. Ses yeux s’écarquillèrent et un son plaintif lui échappa lorsque la pression que j’exerçais s’accentua.

— Ne le tue pas, m’intima une voix qui surplomba le cercle des vampires.

Elle devait leur être aussi tristement familière qu’à moi puisqu’à peine s’était-elle fait entendre qu’une partie d’entre eux se volatilisa à la seconde. D’autres irréductibles, en revanche, restèrent plantés là à regarder s’avancer ce groupe bien plus nombreux qui emplissait l’allée centrale jusqu’à ce que, finalement, ils décident d’écouter leur raison et de disparaître à leur tour.

— Je me demandai justement pourquoi tu le laissais encore se pavaner au lieu de le tuer, répondis-je à l’adresse de mon cher frère en lâchant prise.

Marcel s’effondra à mes pieds, une main pressant sa poitrine dont la plaie béante se refermait déjà. Il adressa à peine un bref regard à son créateur, qui s’avançait lentement les mains dans le dos comme s’il faisait une simple balade nocturne, avant de prendre le même parti que ses hommes et fuir.

— J’ai encore besoin de lui. Mais surtout le voir se démener autant pour te flanquer dans une boîte et te jeter à l’eau était particulièrement amusant, répliqua-t-il en arborant un sourire sardonique. Dommage qu’il ait échoué d’ailleurs.

Là, en revanche, ce fut moi qui ne vis pas le coup venir. Il me planqua si violemment contre le socle de la statue que je crus bien que le cheval en bronze d’Andrew Jackson qui nous surplombait allait s’effondrer sur nous. La lame de la dague qu’il m’enfonça sans ménagement non loin du cœur m’arracha une plainte dont il se délecta sadiquement. Une douleur cuisante se propagea dans ma poitrine alors qu’il enserrait mon cou de son autre main. Curieusement, je n’avais pas imaginé nos retrouvailles autrement. C’était devenu un classique dont je me serais bien passé ce soir-là.

— Donne-moi une bonne raison de ne pas achever ce qu’il a commencé ? me souffla-t-il au visage.

— Parce que si c’était ce que tu voulais, tu ne me poserais pas une question aussi cliché et tu aurais visé juste, répliquai-je difficilement tant ses doigts d’hybride revanchard s’enfonçaient dans mon cou.

Sa mâchoire se crispa et une grimace de contrariété lui échappa avant qu’il ne retire brusquement la lame et ne me lâche. Il se recula d’un pas pour me toiser avec un mélange d’indécision et de contrariété de ne pas avoir été jusqu’au bout de ses projets. Il se tourna soudain vers ses vampires qui regardaient la scène avec perplexité et pointa la dague dans leur direction d’un geste impatient.

— Disparaissez ! leur intima-t-il.

Je ne connaissais aucun d’eux et ils devaient, eux-mêmes, se demander qui pouvait être cet inconscient qui narguait ainsi leur chef et pourquoi ce dernier m’avait épargné.

— Sale traître ! Je devrais t’enfoncer cette dague dans le cœur et te donner en pâture aux alligators ! fulmina-t-il.

Je regardai l’extrémité de cette arme, seule capable de neutraliser un originel, en me demandant si finalement ce ne serait pas une bonne chose. Tant qu’elle resterait fichée dans mon cœur, je n’aurais pas à affronter une réalité qu’il m’était encore inconcevable d’admettre.

— Fais-le ou laisse-moi partir mais par pitié épargne-moi un discours sur la loyauté et le sens de l’honneur étant donné que tu ignores la signification de ces deux mots, répliquai-je.

Un abattement soudain tant physique que moral me tomba dessus comme un poids mort. J’appuyai l’arrière de la tête contre le socle de béton et me passai une main lasse sur le front. Le sort des sorciers et la cendre de chêne blanc qui recouvrait la lame de la dague m’avaient affaibli. Je ne cherchais même pas à le lui dissimuler ou à donner le change. Il me considéra, les sourcils froncés, comme si j’étais un inconnu qu’il peinait à reconnaître.

— Qu’est-ce qui t’arrive?

Je mis quelques secondes à répondre. Mon esprit confus se refusait catégoriquement à élaborer un quelconque mensonge ou une stratégie pour qu’il me laisse partir.

— Elle est morte…, finis-je par avouer.

Ces mots étranglés m’avaient échappé et furent des plus douloureux. J’espérai seulement que Klaus ait la décence de m’épargner ses sarcasmes. Cela m’était difficile à admettre mais j’avais besoin de me confier pour une fois à mon frère malgré tout ce qui s’était passé entre nous et en sachant parfaitement qu’il ne cautionnerait jamais ce genre d’histoire. Il resta indécis un moment sur l’attitude à adopter avant de décréter :

— Ne restons pas là. Viens.

Il s’engagea sans m’attendre dans l’allée, enjambant le corps des deux sorciers étendus au beau milieu et qui disparaîtraient avant le lever du jour. Le lendemain, le square s’emplirait à nouveau de touristes et de familles qui ne se douteraient jamais de ce qui s’était déroulé dans ce jardin aux parterres entretenus et fleuries. Quelques plants écrasés au pied de la statue tout au plus. Aucune trace : un schéma bien rôdé. Nous n’étions que des fantômes agissant dans l’ombre, laissant derrière nous des traînées de cadavres anonymes ou non qui parfois resurgissaient pour nous hanter comme Amanda Delanay. J’avais eu la bêtise de croire au cours de ces deux décennies qu’il pouvait en être autrement mais ce n’était qu’une illusion et Angel avait payé cher le prix de mon aveuglement. J’avais ruiné sa vie dans le but de me sentir un tant soit peu humain. C’était une erreur qui ne se reproduirait plus.

J’emboitai le pas de Klaus jusqu’à la sortie du parc. Nous avions des années de non dits à rattraper et pourtant nous gardâmes le silence tout au long du chemin. Je le sentais crispé et sans doute furieux. J’avais quitté la Nouvelle Orléans sans un mot ou une explication. Je l’avais fui comme on fuit un ennemi alors qu’il était le seul être dont je me sois toujours senti proche malgré nos divergences et les trahisons que nous étions infligés l’un l’autre au cours des siècles. Il me conduisit jusqu’à Garden District. Nous nous engageâmes dans une large rue bordée de vastes demeures aux architectures aussi raffinées qu’étonnantes d’inspiration italienne, grecque ou espagnole.

— Bienvenue dans mon humble demeure ! s’exclama-t-il en s’arrêtant devant l’une d’entre elles.

La discrétion et la mesure n’étaient pas dans le tempérament de Klaus et sa maison était à l’image de son propriétaire. Au milieu d’une pelouse verdoyante s’élevait une immense façade parcourue d’une coursive soutenue par de larges et imposantes colonnes. Les volets sombres qui encadraient les hautes fenêtres tranchaient dans la blancheur des murs.

— Jolie bicoque, concédai-je avec un certain amusement.

Je crus apercevoir l’ombre d’un sourire lorsqu’il poussa la grille de fer forgée et finement ciselée qui encerclait la propriété. Sa rancune à mon égard n’était peut-être pas aussi vivace que je ne l’avais craint. Il devait se sentir bien seul lui-aussi dans cet endroit, entouré de personnes uniquement là pour obéir et le servir. Méfiant et suspicieux, Klaus n’avait jamais excellé dans les relations sociales. Pas plus que moi finalement. Quand on voyait comment se soldaient toutes nos tentatives pour nous ouvrir un tant soit peu aux autres, il était aisé de comprendre pourquoi nous nous obstinions à garder les autres à distance. Klaus, également, avait eu son lot de déceptions et de désillusions. Nous avions au moins cela en commun.

L’intérieur de la maison était à l’image de son extérieur : un mélange de raffinement et de luxe ostentatoire un peu dépassé. Les murs du salon dans lequel il me fit pénétrer étaient recouverts de tableaux de maîtres. Klaus s’avachit dans l’un des canapés de cuir et m’invita d’un geste à prendre place devant celui qui lui faisait face. A peine étions-nous installés qu’une jeune femme entra chargée d’un plateau sur lequel reposait une carafe de cristal contenant un alcool ambré. Elle le déposa sur la table basse entre nous deux et resta un moment indécise. Elle interrogea Klaus du regard. Ce dernier hocha simplement la tête en guise d’acquiescement. Elle vint s’asseoir à mes côtés et me présenta spontanément son poignet déjà marqué par de nombreuses cicatrices. Elle devait avoir une vingtaine d’années tout au plus, des cheveux plus blonds que ceux d’Angel. Son regard bleu me fixait sans vraiment me voir. Elle était belle, sans conteste. Tout à fait le genre de femme qui plaisait à Klaus et dont il avait fait son jouet.

Devant mon hésitation, elle avança son poignet de mes lèvres. Je finis par m’en emparer. Sa main se crispa lorsque j’enfonçai doucement mes crocs dans sa chaire. Son sang chaud avait un goût délicat. Je le sentis se propager dans chaque parcelle de mon être, me redonnant une énergie mise à mal par les évènements de la soirée. Sans même le regarder, je devinais le sourire satisfait de Klaus devant cette scène. Lorsque je la lâchai, elle se releva comme si de rien n’était, tenant son poignet ensanglanté contre elle et sortit sans un mot. Une automate silencieuse et obéissante, elle n’était rien de plus.

— Qui est-ce ? demandai-je quand elle eût disparu dans le hall d’entrée.

— Une pauvre fille dénichée dans un bar un soir. Très utile, m’expliqua-t-il comme s’il parlait d’un quelconque robot ménager.

Il surprit le regard débité que je tentai de dissimuler en baissant la tête. Il décolla alors le buste du dossier et s’accouda à ses genoux.

— Tu as l’air d’avoir oublié une des règles de base, Elijah.  Les humains sont avant tout notre moyen de survie. Un vampire qui s’entiche d’une vulgaire humaine, c’est comme un homme qui tomberait amoureux de son sandwich : c’est malsain et pas naturel.

Je restai de longues secondes bouche bée en ne cherchant même pas dissimuler ma consternation devant cette comparaison improbable. Je préférai ne pas ne répliquer. Cela n’en valait même pas la peine. Klaus avait des idées bien arrêtées sur le sujet. Le faire changer d’opinion était un combat que je ne me sentais pas la force d’entamer. Une autre question me taraudait. Je commençai à croire que tous mes faits et gestes étaient connus de tous et cela m’agaçait prodigieusement.

— Comment es-tu au courant ? l’interrogeai-je.

—  J’ai quelqu’un dans l’entourage de Marcel qui me renseigne. Ce petit con arrogant est trop fier pour se méfier, m’expliqua-t-il.

— Les chiens n’engendrent pas des chats, raillai-je.

Il me fusilla du regard avant de reprendre :

—Quand tu étais ici, on te craignait et on te respectait. En quelques années seulement, tu es devenu un pantin ridicule aux mains d’humains qui te manipulent sans même que tu t’en rendes compte. C’est pathétique. Tu me fais honte, conclut-il.

Je fronçai le nez d’agacement. Il n’avait foncièrement tort. Je détournai le regard pour le perdre dans l’âtre d’une cheminée monumentale.  Un feu y crépitait, chassant l’humidité du soir sans pour autant réchauffer la grande pièce. Klaus respecta mon silence pendant de longues secondes.

— Reviens à mes côtés comme avant, me proposa-t-il soudain. Reprends ta place.

Sa proposition me prit complètement au dépourvu et était des plus inattendues. Je le regardai avec surprise, cherchant sur son visage une quelconque trace de sarcasme ou d’entourloupe à venir. Mais je n’y vis rien de tel. Il avait l’air des plus sincères.

— Aide-moi à découvrir quelle est cette arme grâce à laquelle Marcel bride les pouvoirs des sorciers de cette ville, continua-t-il.

J’étais à la fois stupéfait et indécis. La perspective de replonger dans cette guerre complètement vaine m’était des plus désagréables. Mais elle ne semblait pas être la seule motivation de Klaus. La solitude avait toujours été son pire fardeau. Il la craignait plus que tout autre chose. Il était seul tout autant que je l’étais dorénavant maintenant que j’avais perdu la seule chose qui me rattachait à une vie presque normale.

—Je dois d’abord retourner à New-York, finis-je par répondre après un long moment de réflexion.

— Pourquoi ? se scandalisa-t-il en levant les mains au ciel comme si je venais de lui asséner la pire des absurdités. Tu n’as plus rien à faire là-bas !

— Oh si j’ai à faire ! Delanay ne s’en sortira pas de cette manière et je dois m’occuper d’…

Ma gorge se noua à nouveau douloureusement et je fus incapable de prononcer son nom. Je tâchai néanmoins de me ressaisir. Je devais garder l’esprit clair et détaché pour ne plus, cette fois, commettre d’erreurs.

— Mon avion décolle demain à l’aube. Dès que tout sera terminé, je reviendrai. Mais que tout soit clair entre nous : je ne te dois aucun compte. Je reviens auprès de mon frère, pas de ce despote tyrannique à l’ego surdimensionné que j’ai quitté il y a vingt ans.

Il sembla considérer mon offre avec une attention toute particulière et une mine des plus sérieuses. En apparence en tout cas.

— Nous ne voyons pas du tout de qui tu parles mais, dans notre grandeur d’âme, nous acceptons les termes de cet accord, me concéda-t-il avec des airs de grand seigneur.

~*~

Nous passâmes le reste de la soirée et une bonne partie de la nuit à discuter. Il me confirma ce que j’avais pressenti plus tôt au sujet de Marcel. Klaus avait peu à peu réussi à prendre l’ascendant sur la ville. Son expérience et sa réputation avaient convaincu les vampires de s’allier à lui. Toutefois, il lui restait encore cette énigme concernant les sorciers à résoudre et dont Marcel conservait farouchement le secret. Et pour cause, sans cette influence qu’il avait encore sur le monde magique de la ville, cela en serait fini de lui. J’écoutai avec intérêt le récit de mon frère qui cachait mal son impatience de me voir à nouveau près de lui. Lorsqu’il eût fini de m’exposer une liste impressionnante de projets dans lesquels il voulait m’inclure, il m’interrogea finalement au sujet d’Angel. Je ne répondis qu’à demi-mots pour commencer puis pressé par une envie grandissante de me confier à lui, je lui avais tout raconté dans les moindre détails. Il m’écouta jusqu’au bout sans m’interrompre.

— D’après ce que tu m’as dit, Delanay avait l’air très au courant de tout et n’a certainement pas pu agir seul. Il avait forcément quelqu’un pour le renseigner, constata Klaus après un bref moment de réflexion.

Je devais bien admettre que sa clairvoyance et surtout son objectivité m’auraient été des plus utiles ces dernières semaines.

— Effectivement, il me l’a d’ailleurs confirmé.

— Tu as une idée de qui cela peut être ?

— Il n’y a malheureusement pas trente six mille possibilités même si j’espère vivement me tromper, admis-je.

Je laissai ma tête retomber en arrière sur le dossier du canapé. Cette idée m’était tout aussi insupportable que la mort d’Angel. Je la repoussais depuis ma dernière conversation avec Delanay mais plus j’avais avancé dans le récit des évènements, plus elle se faisait vivace, apparaissant comme une détestable évidence.

— Tu as besoin d’aide pour régler ce problème ? me demanda Klaus.

Je répondis par la négative de la tête.

— C’est personnel, ajoutai-je.

Après des heures de conversation ininterrompue, le silence s’imposa entre nous. Le soleil n’allait pas tarder à poindre et je devais repartir. Ironiquement, cette idée ne me réjouissait pas. J’avais fui la Nouvelle Orléans et mon frère et je n’avais plus à ce moment-là aucune envie de m’en aller. Devoir affronter la réalité, apprendre ce qui lui avait fait subir, me rendre compte que celui en qui j’avais tout confiance m’avait poignardé dans le dos, tout cela était au dessus de mes forces. L’heure de mon vol approchant, je dus malgré tout prendre congé de Klaus avec la promesse de revenir dès que j’en aurais fini.

Dehors, une brume tenace englobait les bâtisses. La faible lueur de l’aube se devinait derrière ce rideau opaque qui semblait presque étouffer mes pas et les bruits de la ville. Cette quiétude un peu irréelle contrastait avec le torrent de pensées confuses que je contenais de plus en plus mal surtout maintenant que je me retrouvais à nouveau seul avec elles.

Mon téléphone portable se mit à sonner dans la poche intérieure de ma veste, mettant momentanément fin à ce combat perdu d’avance. Le numéro qui s’afficha sur l’écran m’était inconnu. Après une brève hésitation, je finis par décrocher mais je ne dis rien, attendant que mon mystérieux interlocuteur en prenne l’initiative. Lorsque j’entendis sa respiration saccadée à l’autre bout du fil, je crus à une illusion. Jusqu’à que sa voix tenue, presque inaudible, murmure mon nom.