par Pelletier Jean (son site) sur Agoravox
Réforme des retraites : les français ont déjà beaucoup donné…
Alors que Jean-Marc Ayrault s’apprête à conduire une nouvelle réforme des retraites aux vues du rapport Moreau et des mises en garde du Comité d’Orientation des Retraites (COR) sur l’accroissement du déficit qui fait craindre un « trou » de l’ordre de 20 milliard d’euros d’ici 2020, si rien n’est entrepris, peut-être faut-il rappeler les efforts qu’ont fournis les français depuis une vingtaine d’année.
Ils ont été considérables, tous les « curseurs » agissant sur les retraites ont été déjà actionnés par les gouvernements successifs promettant à chaque fois que c’était la dernière. Il y a eu quatre grandes réformes, dont l’ampleur permet de mesurer combien les français qui partent aujourd’hui à la retraite ont perdu. Le système est complexe et compliqué :
- La durée de cotisation, à savoir les trimestres nécessaires pour obtenir sa retraite dite » à taux plein »,
- L’âge légal de départ à la retraite, qu’il est loin le temps en 1982 où François Mitterrand ramenait l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans…
- La mise à la retraite d’office, longtemps à disposition des employeurs pour se débarrasser de leurs salariés ayant atteint l’âge légal et le nombre de trimestres a été supprimée par Sarkozy,
- L’éventuel alignement des régimes du public et du privé, qui présentent encore aujourd’hui des écarts importants au profit exclusif du secteur public. Il y a tout un débat … sur le sujet,
- Les régimes spéciaux, véritables citadelles où les avantages s’accumulent et narguent le reste de la population. Le plus bel exemple est celui des députés 1 300 euros net/mois pour chaque mandat de 5 ans. C’est le régime qui présente le meilleur rapport qualité/prix. On y compte les salariés d’EDF, de la Banque de France, de France Télécom (aujourd’hui Orange)…
- Le montant des cotisations aussi bien salariale que patronale, c’est un levier puissant, le préféré des syndicats, mais c’est la ligne rouge à ne pas dépasser pour le patronat, risque de baisse de la compétitivité,
- Le nombre des meilleures années retenues pour le calcul de la retraite, c’est une véritable retraite de Russe qui s’est ainsi engagé sur les 20 dernières années,
- La pension de réversion, c’est ce qui est dû ou pas au décès, elle est versée sans conditions de ressources dans le public, elle est subordonnées dans le privé à un plafond (bas) des ressources du conjoint survivant,
- Les différents avantages « boostant » les retraites : l’abattement de 10% pour frais professionnel (Une curiosité), le bonus de 10% pour avoir élevé 3 enfants…
- La Contribution Sociale Généralisée (CSG), celle-ci est de 7,5 % pour les salariés, alors que pour les retraités elle oscille entre 3,8 et 6,6 %, elle a l’avantage de toucher tous les revenus y compris ceux du capital.
- Le principe d’indexation des pensions, celui-ci a considérablement fluctué ces 20 dernières années
- Distinguer les actions qui relève du régime dit « général » la retraite de la Caisse Nationale Assurance Vieillesse (où le gouvernement a son mot à dire) du régime des retraites complémentaires gérées directement par les syndicats de salariés et les représentants du patronat.
Tout cela pour dire à la fois la complexité du dossier, le rôle qu’y jouent directement l’état mais aussi les syndicats et le MEDEF.
En 1993, c’est Balladur qui s’y colle le premier.
Il n’ose pas s’attaquer aux régimes des fonctionnaires, c’est donc le secteur du privé qui ouvre le bal avec un allongement conséquent de la durée de cotisation pour obtenir sa retraite à taux plein, on passe carrément de 37,5 à 40 annuités. Et oui, pour tous ceux qui aujourd’hui sont à 41,5 annuités, l’effort a été dantesque et l’on parle d’aller jusque ‘à 42,43 voire 44 annuités !!! Mais Balladur actionne un autre curseur : celui de l’indexation des pensions, fixée jusqu’alors sur les salaires (depuis 1983), elle passe sur les prix, moins avantageux à l’époque. Et enfin le tir de mortier : le calcul des pensions ne se fait plus sur les 10 meilleures années mais sur les 25 … L’impact est sévère, les économies sont substantielles, mais c’est le début de la dégringolade pour le niveau de vie des retraités… les trente glorieuse sont loin. Un rapport de la CNAV estime la perte de pouvoir d’achat à plus de 6%.
Alain Juppé, un petit tour et s’en va…
Deux ans plus tard le Premier ministre de l’époque Alain Juppé tente en 1995 d’aligner la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle du privé, ramenée précédemment par Balladur de 37,5 à 40 annuités. Le Bazar est général, les grèves s’étendent, les cortèges des manifestants enflent pour relever le défi de Juppé lancé aux manifestants. Il s’y casse les dents et doit remiser son projet de réforme. Les syndicats ont démontré leur capacité d’agir dans la fonction publique. Sous Balladur les salariés du privé n’ont rien pu faire et les syndicats se sont révélés impuissants … sous Juppé ils ont montré leur puissance. Depuis cette fracture subsiste, elle s’est même agrandie.
2003, François Fillon s’attaque à nouveau au secteur public.
L’ambition annoncée est « haute » le Premier ministre qui ne craint pas les mots, parle de « première réforme globale de notre système de retraite depuis l’après-guerre », Balladur a apprécié. La barre fixée est haute : combler le déficit à l’horizon 2020 : On verra depuis lors ce qu’il en est advenu de cette vantardise. Cette fois-ci, malgré les manifestations elle passera, il faut aussi dire que le revirement brutal de l’une des deux plus importantes confédérations ouvrières : la CFDT, n’y est pas pour rien. Elle y laissera des plumes, sa signature donnée à François Fillon au dernier moment suscitera une des plus graves crises qu’elle ait eu à connaitre, entrainant la démission de nombreux de ses militants. Cette action entrainera un bouleversement du paysage syndical par la création de nouveau syndicat comme SUD.
Cette fois l’alignement de la durée de cotisation des fonctionnaires et du privé est faite à 40 années pour tous, avec un horizon effectif à 2008. Pour le justifier on reprend à nouveau une ritournelle désormais bien connue : l’allongement de la durée de vie, du moins son espérance… Il lui faut aussi agir pour mieux le justifier sur le problème des séniors sur le marché du travail, avec une mesure symbole, la mise à la retraite d’office pour l’employeur passe de 60 à 65 ans … il est mis fin aux nombreux plans de préretraites extrêmement coûteux à la collectivité. Enfin une invention (classique) celle de la carotte une surcote pour tous les séniors acceptant de continuer à travailler, une fois atteint leur durée de cotisation.
Quel bilan de cette réforme du siècle ? La CNAV constate en 2008 que l’âge moyen de départ à la retraite a baissé entre 2003 et 2006 passant de 61,4 ans à 60,7 ans. C’est le début de l’enfer pour les séniors, alors que tous les discours concourent à vouloir augmenter leur temps de travail, ceux-ci sont massivement éjectés du monde de l’entreprise et ceci de plus en plus tôt. A cette époque on parlait de véritable difficulté pour un sénior de 57 ou 58 ans à retrouver du travail. Aujourd’hui on est tombé jusqu’à 45 ans !!!
2008, c’est le tour des régimes spéciaux.
L’angle d’attaque est rude, Nicolas Sarkozy ne veut rien lâcher. Les régimes spéciaux, ce sont certaines entreprises publiques ou professions qui bénéficient de facilités pour partir à la retraite plus tôt en raison de la dangerosité ou la pénibilité de leur travail. Notions qui, si elles avaient leur vertu il fut un temps, méritaient une révision. Citons un peu en vrac : la SNCF, EDF, la RATP, les mineurs, les marins, les instituteurs…. Cela pèse tout de même 5 millions de salariés.
Les régimes spéciaux se voient impactés, comme précédemment les fonctionnaires par une durée de cotisation relevée de 37,5 années à 40. Leurs taux de cotisation plutôt bas sont aussi augmentés. Enfin, nouvelle invention : la décote pour le salarié qui part à la retraite avant 65 ans et sans avoir le nombre de trimestres requis.
2010, on croyait cela terminé, mais Eric Woerth vint !
Comme rien n’y faisait et que le déficit continuait à croître, c’est Eric Woerth qui prit le taureau par les cornes en affirmant prendre les mesures radicales assurant un retour à l’équilibre en 2018… on verra ce qu’il en fut… Les plans sont de plus en plus fournis et les garanties sociales de plus en plus érodées :
- L’âge légal de départ à la retraite passe de 60 à 62 ans pour 2018 (échéance ramenée par la suite à 2017),
- A 65 ans un salarié pouvait bénéficier de la retraite à taux plein même s’il n’avait pas tous ses trimestres, il lui faudra désormais attendre 67 ans,
- Et comme il en faut un peu pour les fonctionnaires, leur taux de cotisation nettement plus bas que les salariés du privé est aligné de 7,85% à 10,55%,
- Et enfin la durée de cotisation est encore une fois (la troisième) mise à l’épreuve, elle passe de40 ans à 41 ans et un trimestre en 2013. Puis à 41,5 annuités en 2017 pour tous ceux nés en 1955.
Aujourd’hui… nous sommes encore à l’épreuve… la cinquième réforme celle de Jean-Marc Ayrault se profile. Il a pour lui l’histoire, il sait par quel chemins compliqué le régime des retraites est passé. Il connait tous les leviers sur lesquels il peut appuyer. Il en connait les avantages et les inconvénients. La crise pèse une fois de plus sur les décisions, le chômage est au plus haut, la compétitivité des entreprises françaises est mise à mal. Syndicats et patrons prônent des solutions radicalement différentes. Cela fait trois années déjà que les salaires dans la fonction publique sont gelés…
On dit les retraités d’aujourd’hui aussi aisé que les salariés… la rumeur court que cette fois-ci le gouvernement mettrait essentiellement les retraités à contribution… certes, mais les retraités de demain, comment impacteront ils ces mesures, ceux qui après le chemin de croix d’une perte d’emploi à 52 ans, ont connu le « trou à pauvreté » après la fin de leur indemnités chômage et arriveront à l’âge de la retraite avec non pas une décote, mais un véritable effondrement de leur retraite…
N’est-ce pas enfin ce problème majeur, celui de l’emploi des seniors français (ou plutôt celui du non-emploi) qui devrait être pris à bras le corps. Car la situation est en fait schizophrénique ; d’un mouvement on ne parle que d’augmenter le temps de travail pour suivre l’augmentation de l’espérance de vie, et d’un autre mouvement les entreprises se débarrassent massivement de leurs séniors…