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Hollande et le Livret A: Hold-up sur la vérité

Publié le 09 août 2013 par Letombe
Hollande et le Livret A: Hold-up sur la vérité

C'est le mélange des genres, la belle confusion, le grand n'importe quoi.

Pierre Duquesne, pour l'Humanité, livre un article à charge contre une récente décision du gouvernement, transférer 30 milliards d'euros des fonds collectés via le Livret A à d'autres activités de crédit bancaire que le financement de la construction de logements sociaux. Cette décision suivait une rencontre, la première depuis son élection, entre François Hollande et des représentants de la profession bancaire, à l'Elysée, début juillet.

L'accusation est simple, elle se lit ailleurs qu'à l'Huma: ce « détournement » « met en péril le financement des logements sociaux »; Hollande, qui aurait oublié que son « ennemi, c'est la finance », lui aurait « fait un joli chèque »; ces 30 milliards seraient un « joli cadeau aux banques, déjà épargnées par la loi bancaire ».

Lire un tissu d'approximations mensongères dans le journal fondé par Jean Jaurès, dont on vient de célébrer le triste 99ème anniversaire de son assassinat, est toujours agaçant.

Dix précisions contre une intox

1. Ce Pierre Duquesne là n'avait peut-être pas lu le rapport d'un homonyme remis le 19 septembre dernier augouvernement . Ce que l'augmentation du plafond de placement du Livret A (et du Livret de Développement Durable, ex-CODEVI) allait s'accompagner d'un transfert de fonds ainsi collectés vers le financement des PME. Inutile donc, quelques mois plus tard, de jouer à la surprise.

2. Les fonds collectés via le Livret A et livrets de développement durable s'élèvent à 343 milliards d'euros à fin décembre 2012 (dont 250 milliards sur le seul Livret A). D'un simple point de vue arithmétique, on jugera donc que la récente décision gouvernementale pèse pour moins de 10% des sommes collectées (8,7% très précisément). Hurler à la mort du logement social, crier au « casse du siècle » ou on ne sait quel hold-up avec pareil ratio prête à sourire. Le rapport susnommé précise: « L'ensemble de ces besoins annuels pour le logement et la politique de la ville peut être estimé à 19-20 Mds€, dont au moins 3 Mds € de plus que la production actuelle de prêts pour parvenir à la construction de 150 000 logements sociaux par an envisagée par le gouvernement. » (page 11). Vous avez bien lu: le logement social réclame aujourd'hui environ 20 milliards d'euros.

Hollande et le Livret A: Hold-up sur la vérité

3. Mais il y a mieux, que l'article, à l'image de nombre de critiques, se garde bien d'évoquer: les fonds collectés par le Livret A sont déjà utilisés pour bien autre chose que le financement du logement social. Quelques jours après la rencontre élyséenne, le Parisien, dans son édition magazine du week-end, publiait un intéressant graphique où l'on comprenait que moins de 20% des encours du Livret A étaient utilisés à cette fin (Cf. graphique).

Dans son rapport de septembre 2012, Pierre Duquesne rappelait déjà que les « dépots disponibles au fonds d’épargne sont prioritairement utilisés pour faire des prêts », soit 133 milliards d'euros d’encours fin 2011. Le logement social et la politique de la ville accaparaient 118 milliards d'euros de cette enveloppe. Mais les dépôts non utilisés sous forme de crédits sont en fait placés dans un portefeuille d’actifs financiers, représentant 101 milliards d'euros fin 2011. Ce dernier « est placé majoritairement en produits de taux pour 90 Mds€ (dont près de deux tiers en titres d’État et le reste en divers placements, dont des obligations d’entreprises à hauteur de 6 Mds€). Environ 10 Mds € sont placés dans un portefeuille d’actions. Enfin, les OPCVM et les actifs non cotés (capital-investissement, immobilier, infrastructure) représentent un peu moins d’1 Md€. » (Source: Rapport sur la réforme de l’épargne réglementée , Pierre Duquesne, 19 septembre 2012 page 25).

4. Loin d'être un placement en déshérence et fragilisé, le Livret A reste le placement chéri des ménages: 185 milliards d'euros d'encours fin 2009; 195 milliards fin 2010; 217 milliards fin 2011; 250 milliards fin 2012. En fait, depuis que la collecte a été autorisée aux banques – cassant ainsi un monopole de la CDC (via la Poste et les Caisses d'Epargne), les encours n'ont cessé d'augmenter fortement (contre une hausse moyenne d'environ 0,7% par an entre 1980 et 2007).

5. Le lecteur imprudent ou mal informé comprendra que les 30 milliards d'euros ont été « donnés » aux banques. C'est tout le sens premier du mot « cadeau ». Or c'est faux. Les fonds du Livret A appartiennent à leurs détenteurs, des particuliers ou des associations.

6. On notera aussi, fait rarement rappelé dans cette polémique de petite semaine, que le plafond de ce placement a été augmenté de 15.300 euros à 19.125 euros au 1er octobre 2012, puis à 22.950 euros au 1er janvier dernier. En d'autres termes, l'actuel gouvernement a élargi les capacités d'épargne populaire pour ce placement atypique et protégé créé il y a bientôt 200 ans. C'était l'une des promesses de campagne du candidat Hollande. Ce relèvement a fait progresser l'encours du Livret A de quelque 31 milliards. D'après la Banque de France cependant, « les ressources bancaires en provenance de la clientèle ont diminué de 11 milliards » en 2012 (avant le second relèvement du plafond).

7. La rémunération du Livret A est basse, elle a même été récemment abaissée à 1,25%. Ceux qui crient au scandale devraient aussi rappeler que le Livret A est un compte d'épargne à taux réglementé. Elle est basse parce qu'elle correspond à un placement sans risque, sans contrainte de détention (les fonds sont retirés ou placés sans aucune condition sauf un minimum de 10 euros) et défiscalisé, c'est-à-dire nets d'impôts et de cotisations sociales: les fonds placés sont garantis à 100% par l’état.

« En ce qui concerne la rémunération du livret, elle est en principe déterminée automatiquement chaque semestre depuis le 1er août 2004, selon un mode de calcul fixé par le règlement n° 2003-03 du 24 juillet 2003 du Comité de la réglementation bancaire et financière. » ministère des finances

8. La question de la profitabilité des banques n'est pas non plus le sujet: si l'ampleur du profit des banques françaises est une chose qui s'adresse politiquement à deux niveaux: en observant leurs pratiques tarifaires à l'encontre de leurs clients, notamment modestes; en évaluant leur contribution fiscale aux comptes de l'Etat (via l'impôt sur les sociétés, la traque des paradis fiscaux, etc).

9. La crise boursière n'a eu qu'une conséquence contre les banques que d'aucuns à gauche devraient trouver heureuse: les banques occidentales se sont vues imposées de plus grands ratios de couverture de leurs placements (« Bâle III »). La conséquence est double. Primo, il leur faut davantage collecter des fonds pour assurer le même niveau de crédit. Secundo, toutes choses égales par ailleurs, ce même crédit est plus cher.

« Le secteur fait valoir que la différence entre ses dépôts et ses crédits, de l’ordre de 350- 400 Mds €, devra être comblée d’une manière ou d’une autre, éventuellement par une réduction des crédits octroyés aux entreprises, singulièrement les PME . » (rapport de Pierre Duquesne, 19/09/2012, page 9)

Bref, avec ce transfert, le gouvernement a cherché à procurer de l'argent pas cher car sans risque pour le financement de l'économie.

10. Les parties prenantes du logement, et notamment social, ont quand même raison de protester. C'est de bonne guerre ! Cet argent transféré ne sera plus disponible pour financer le logement social, c'est un fait. Mais accuser le gouvernement de diminuer le dit financement à cause de cette simple mesure est approximatif et mensonger. Répétons: 80% des sommes collectées par le Livret A ne sont déjà pas utilisées pour le logement social. Pourquoi penser que les 30 milliards d'euros ainsi transférés ne seront pas plutôt prélevés sur le portefeuille financier, par exemple ?

Et où il faut être vigilant...
Si certains ont des envies de vigilance, qu'ils les exercent sur trois autres terrains:

Primo, il faudra surveiller l'évolution du crédit, et notamment de son coût. Que les banques prêtent plus cher qu'elles n'empruntent n'est pas vraiment la question, contrairement à ce que laisse entrevoir certaines critiques. Le Livret A est rémunéré bas car il est sans risque et défiscalisé; pas grand chose à voir avec le crédit aux entreprises.

Secundo, le crédit supplémentaire rendu possible sera-t-il bien utilisé pour le financement des PME ? Quels sont les outils de contrôles ? Comment le contrôle s'exercera-t-il ? Le climat de suspicion généralisé du moment rend cette surveillance et sa précision aussi importante que la précédente.

Tertio, on regrettera que le doublement du plafond de versement dans le Livret A – qui a finalement profité à ceux des ménages qui avaient déjà atteint le plafond précédent – n'ait pas été interdit aux mineurs. Comme l'écrivait ce Pierre Duquesne auteur du rapport de septembre, « chacun peut comprendre qu'un enfant mineur n'a pas vocation à détenir 30 600 € à revenu défiscalisé. » (page 19). Rappelons que l'an dernier, pour les seuls ménages, l'encours moyen par livret était d’environ 3 300 € pour leslivrets A .
A suivre...

Bien sûr.

Merci à Chroniques (politiques)

L'article d'origine de l'Humanité n'est pas accessible sur le site du journal à l'heure où nous bouclons ces lignes.


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