Magazine Politique

Aron, PGEN, introduction

Publié le 08 août 2013 par Egea

Jusqu'à présent, nous n'avions évoqué que les préfaces, écrites après l’œuvre, à l'occasion des rééditions (voir billets ici et ici). Aujourd'hui, nous entrons dans l’œuvre, même si c'est par le morceau particulier qu'est "l'introduction". Exercice obligé et en même temps délicat, puisqu'il s'agit justement de présenter l'ambition du travail, ses limites, sans que cela ne soit creux ni ne déflore le sujet. Surtout, l’introduction devient un passage de plus en plus obligé dans les textes contemporains : observez les textes du siècle dernier, vous verrez que bien souvent on se passe de la chose. Alors, cette introduction ?

Aron, PGEN, introduction

Eh! bien elle porte un titre, ce qui est en soi original : "Les niveaux conceptuels de la compréhension". Il faut oser ce titre, et n’importe quel débutant qui s'y risquerait se ferait aussitôt reprendre pour ce qui peut paraître de la boursouflure. Mais Aron n'est pas un débutant, et s'il est brillant intellectuellement, il ne paraît jamais suffisant. Un intellectuel, certes, mais son travail ne donne pas l'impression de morgue qui caractérise certains. Et Aron a quelques titres pour risquer un tel titre.

Pourquoi cette réflexion ? parce que les relations internationales n'ont pas encore, l'année où il écrit (1961), une théorie assise et partagée.Il y a encore des débats, notamment "entre une interprétation théorique et une interprétation empirique" (p 15). Il y a donc d'une part un "schématisme rationnel", d'autre part une "analyse sociologique" : deux méthodes permettant d'aborder l'ensemble des sciences sociales, mais particulièrement valides pour les RI.

Aron choisit : "en allant de la théorie formelle à la détermination des causes, puis à l'analyse d'une conjoncture singulière, j'espère illustrer une méthode, applicable à d'autres objets, montrer tout à la fois les limites de notre savoir et les conditions des choix historiques" (p. 16). On note là un passage obligé dans les introductions des travaux de thèse contemporain : quel est le paysage théorique de la discipline, et dans quelle perspective (sous quelle chapelle) vous placez vous ?

Il évoque ensuite les quatre niveaux de la conceptualisation :" théorie, sociologie, histoire, praxéologie", qu'il compte étudier successivement dans cette introduction.

A propos des RI, il constate tout d'abord qu'il n'y a pas de définition agréée de cette discipline. "Provisoirement, les RI sont les relations entre unités politiques" (p. 17). Certes, il n'y a pas de frontière nette, mais "aucune discipline scientifique ne comporte de frontières nettement tracées". Plus loin : "les relations interétatiques s'expriment dans et par des conduites spécifiques, celle des personnages que j'appellerai symboliques, le diplomate et le soldat" (p. 17). Car "les relations entre États comportent, par essence, l'alternative de la paix et de la guerre" (p 18). Or, il y a une différence essentielle entre politique intérieure et politique étrangère : "les États ne sont pas sortis, dans leurs relations mutuelles, de l'état de nature. Il n'y aurait plus de théorie des RI s'ils en étaient sortis" (p. 19). Et plus loin "l'enjeu des guerres est l'existence, la création ou l'élimination des États" (p. 20). Bref, son sujet consiste à étudier "les relations entre unités politiques dont chacune revendique le droit de se faire justice elle-même et d'être seule maîtresse de la décision de combattre ou de ne pas combattre" (p. 20).

Le deuxième temps (sociologie) évoque la pratique, c'est à dire la conduite de la politique étrangère, forcément aventureuse. "L'action se fonde sur des probabilités. Elle ne serait pas raisonnable si elle refusait le risque. Mais jamais on n'éliminera l'incertitude qui tient à l'imprévisibilité des réactions humaines" (p. 22). Tirons la conclusion, déjà remarquée souvent sur égéa : la stratégie est forcément bardée d'incertitude.

Dans un troisième temps, Aron revient à la conceptualisation des RI. "La conduite du diplomate stratège a pour sens spécifique d'être dominée par le risque de guerre" (p. 28). Dès lors, "la théorie des RI part de la pluralité des centres autonomes de décision, donc du risque de guerre, et de ce risque, elle déduit la nécessité du calcul et des moyens" (p. 28) : fichtre, voici une belle explication de la nécessité d'une stratégie ! Et plus loin : "la conduite diplomatico-stratégique n'a pas de fin évidente mais que le risque de guerre l'oblige à calculer les forces et les moyens" (p. 29) : voici une remarque bien pertinente, alors que certains pensent que le but est toujours "la victoire" ou "l’anéantissement" ou tout autre but : mais bien souvent, les buts de guerre ne sont pas définis, et les buts de l’État non plus. Aléatoire, opportuniste, tels sont les traits communs de bien des "politiques étatiques".

Il termine cette troisième partie par l'annonce succincte du plan de son livre.

Le lecteur que je suis est assez surpris : depuis le temps qu'on lui dépeignait Aron comme un "libéral" (à la fois au sens politique et économique), il voit dans ces écrits un réaliste bon teint (ce qui sous-entend, je m'en aperçois à la relecture, que ce libéralisme ne serait pas réaliste : on le voit, la chose est discutable et mérite d'être discutée un jour prochain). Cette prédominance donnée au fait de la guerre, et au fait étatique, constitue une heureuse surprise. Simultanément, on perçoit d'emblée la rigueur intellectuelle et la somme de science qui sous-tendent son travail... Enfin, le style est limpide, serré, sans aucune des fioritures ou des jargons si horripilants chez nos intellectuels contemporains.

O. Kempf


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Egea 3534 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines