[live report] eurockéennes

Publié le 08 août 2013 par Acrossthedays @AcrossTheDays

Nous devions aller aux Eurockéennes. Face aux imprévus imprévisibles que nous n’avons pas pu prévoir, nous avons improvisé. Nous voilà donc en train d’inviter une festivalière quasi-anonyme, qui n’avait pas l’habitude d’aller de scène en scène (en passant par l’espace presse) avec un badge plastifié autour du cou aux Eurockéennes à notre place. Nous avons fait confiance à Eva pour qu’elle nous fasse vivre le festival comme si on y était, et comme si vous y étiez. Nous avons eu raison, « voici son témoignage », comme on dit.

Je ne suis pas journaliste, ni blogueuse, ni rien de tout cela. Jusqu’à ce que Sinh m’appelle pour couvrir les Eurockéennes, je ne vous cache pas que j’avais plus en tête de venir pour boire des pintes avec mes copains que pour prendre des notes sur dix sets par jour. Ne soyez donc pas déçus si vous ne me voyez pas commenter tous les lives de ces quatre jours de festival. J’ai vu beaucoup de choses mais je prends volontairement le parti de ne vous parler que des concerts sur lesquels je pense avoir des choses à dire.

JEUDI : MERVEILLE, DÉCEPTION, INDIGESTION, EXCITATION

Je ne le savais pas encore, mais ce premier live des Eurockéennes se devait d’être l’un des plus remarquables. Défini comme un «ovni musical», le producteur lorrain Chapelier Fou nous offre – alors qu’il n’est que 22h – un set électro planant, mais qui fait bouger la tête et sourire. Seul sur scène, le musicien nous expose en toute simplicité ses multiples talents : les pizzicatis au violon sur Darling, Darling, Darling font frissonner le public de la petite scène Club Loggia. Un seul regret serait peut-être celui du parti pris du morceau par morceau : bien que ses interventions marrantes («Merci à M d’avoir fait ma première partie») nous donnent envie de lui faire des câlins, cela altère la capacité hypnotique de ses créations et ces interruptions systématiques nous sortent à chaque fois de l’univers magique dans lequel il réussit pourtant si bien à nous plonger.

Le dernier album de la bande à Diplo, Free the Universe sorti le 16 avril dernier, m’avait mis une grosse claque. Eclectique, Major Lazer distillait basses (Sweat) et love songs (Jessica) dans un mélange dansant et estival. Je m’attendais à une communion délirante, j’ai vu tout ce que je redoutais de voir. L’album était également borderline, contenant quelques énormes preuves de mauvais goût (Bubble Butt, Keep Cool) qui venaient nous rappeler que l’ambiance plateau de télé des années 90 n’était pas loin. Je n’ai vu que ça en live. Enchapinant les samples de 40 secondes (Make It Bun Dem de Skrillex & Damien Marley, pour ne citer que ça..), on assiste à une fête grotesque à laquelle nous ne sommes même pas conviés, le groupe semblant très bien s’amuser sans nous sur la playlist d’une mauvaise boîte de nuit de station balnéaire. Un odieux Harlem Shake me portera le coup fatal : je m’en vais triste, traversant une foule fascinée par un groupe qui appuie une fois par minute sur un bouton hurlant «MAJOR LAZER» en sautant dans tout les sens. Alors pourquoi ? Pourquoi, Diplo ? Moi qui était venu pour te rouler des pelles, je repars avec le goût amer de la déception. On m’avait pourtant répété que les fantasmes devaient rester dans le domaine onirique. Si c’était à refaire, j’irais me rouler en boule dans ma tente humide en priant pour que personne ne me parle de ce massacre, afin de pouvoir continuer à rêver.

Jay Kay aka Jamiroquai, ça me rappelle mes années au collège. Première des nombreuses madeleines de ce festival inter-générationnel, celle-ci fut immangeable. Jamiroquai porte des santiags, un chapeau, et galope dans tout les sens. Ce n’est même pas assez ridicule pour être drôle.

Jamiroquai © EyeLive

Il est 1h du matin, le choix est compliqué : La Femme ou Boys Noize ? Ce sera Boys Noize. Il serait paradoxal de dire que l’Allemand a illuminé la fin de cette soirée, sa musique tendant à nous obscurcir les méninges plutôt qu’à nous faire sourire. Mais il reste une valeur sûre de la scène électro européenne, c’est donc sûre de moi que je me rend vers l’esplanade Green Room. Donnant le ton, un énorme crâne nous fait face sur scène. Boys Noize irradie le festival de ses idées noires, remplissant parfaitement le job qu’on lui a confié : remettre un peu d’ordre dans les cerveaux abîmés d’un public qui a dû se battre entre Major Lazer et Jamiroquai depuis 2h. Je baisse les yeux, les mains dans les poches de mon sweat-shirt et observe l’effet crépitant entre mes neurones des sons que le DJ nous envoie en pleine tête. Des gens s’embrassent. Je rentre au camping par une interminable voie ferrée, je suis contente et confiante : des gens ici font de la musique, et bien de surcroît.

Boys Noize © EyeLive

VENDREDI : AMOUR, FATIGUE ET PEUR

Cette deuxième journée commence on ne peut plus mal : l’annonce de l’annulation du concert de Trash Talk (une sombre histoire d’avion loupé), alors que la possibilité de voir enfin le groupe de hardcore de Sacramento constituait une des raisons principales de ma présence, me met de très mauvaise humeur.

Heureusement, Fidlar est là. Ce jour que j’avais placé sous le signe de mes racines rock & roll me comble donc à moitié. Ils relèvent parfaitement la double pression que j’ai inconsciemment placé sur leurs épaules, à savoir satisfaire mon envie de pogos en un concert au lieu de deux. Fidlar, c’est des mecs avec une gueule de boys band californien qui réussissent à faire hurler tous les tatoués de Franche-Conté. Fidlar c’est un groupe qui croit bon de préciser qu’ils sont «a band who started in a garage»…sans blague. Fidlar c’est bien plus de testostérone que je ne pouvais en espérer. L’Amour avec Fidla(mou)r.

La nuit tombe quand, mon coeur saignant encore de ne pouvoir me faire mal devant Trash Talk, je m’en vais voir Woodkid. Peu convaincue par le personnage depuis longtemps, je n’en attends pas grand chose.
Les premières minutes du set me surprennent agréablement. Yoann Lemoine apparaît – après une longue et puissante introduction – telle une figure christique, tout de noir vêtu. Sa voix est impeccable, les lumières et la scénographie correspondent parfaitement à l’univers graphique de l’artiste. Malheureusement, ce charme est vite rompu, un «Ça va Belfort ? Je vais vous jouer une partie de mon album» nous rappelle bien vite (au cas où nous l’aurions oublié) qu’on est pas ici pour déconner, la promo, c’est la promo… Malgré quelques remarquables interprétations (The Golden Age notamment), je me prends à attendre les tubes, et visiblement je ne suis pas la seule (« Je crois que celle-ci vous la connaissez » avant Iron) J’attendais au moins de cette performance live une plongée totale dans un univers particulier, j’ai vu un artiste fatigué et un live en carton. Less is more, mec, va faire une sieste et reviens moi meilleur, je suis encore prête à me laisser convaincre.

Ce n’est pas la première fois que je suis confrontée à la violence froide de Gesaffelstein. Cependant, son live a évolué depuis la dernière fois que je l’ai vu. Poussant encore plus la métaphore, il est désormais installé sur ce qui ressemble à un orgue/une pierre tombale en marbre. Impeccable, il entre comme à son habitude sur scène en costard, cigarette à la bouche. Alors oui, cet homme nous envoie ses créations comme il le faut, et fait très certainement partie du renouveau de la musique électronique française, je n’en doute pas un instant, mais moi j’ai mal et j’ai froid. Le thème de l’église est bien choisi, mais alors qu’habituellement «Gesa» réussit à me mettre dans un état de transe comme les trois quarts de la foule présente, ici j’ai juste l’impression d’assister à une messe noire. Je m’en vais avant le sang et la paranoïa.

Gesaffelstein © EyeLive

SAMEDI : GUITARES, GUITARES, GUITARES RENCONTRENT LA POP

Je serais heureuse de pouvoir démarrer toutes mes journées avec un concert de Black Rebel Motorcycle Club. Si le public n’est pas particulièrement au rendez-vous, le groupe semble s’en moquer éperdument. Possédés, ils vivent leurs chansons et, aidés par le violent soleil de ce début d’après midi, embrasent le public présent. Je ne suis toujours pas capable de dire qui de l’insolation ou de la puissante clôture sur «Spread Your Love» m’a fait finir ce concert avec des frissons des orteils aux racines.

A peine remise de mes (re)belles émotions et le temps de m’hydrater, la tornade bordelaise JC Satan me prouve encore une fois son immense talent à peine éclos. A l’image de ses aînés qui l’ont précédé, ils incarnent leur musique d’une façon transcendante : ils me donnent envie de mordre mes voisins puis de les serrer très fort. Je me retiens, il est un peu tôt.

Après Bordeaux, c’est au tour du groupe Vendéo-Nantais Von Pariahs de faire ses preuves. Faire ses preuves, que dis-je ? Assoir sa puissance et de montrer qu’ici, en France, il suffit d’une voix rauque originaire de Jersey, d’un chef d’orchestre/guitariste monstrueusement talentueux et de beaucoup de sueur pour pouvoir dignement s’inscrire dans la lignée du meilleur du rock & roll eighties. (D’ailleurs, voilà une question : pensez-vous que le talent d’un groupe se juge au nombre de litres de sueur présents sur scène ? Je pense que oui. Les Von Pariahs sont 6, CQFD). Je ne regretterai qu’une seule chose : il faisait chaud, très chaud cet après-midi à Belfort, alors Guillaume, pourquoi n’a-t-on pas eu l’honneur de voir ton téton piercé bouger au rythme ta batterie ?

Von Pariahs © EyeLive

Le concert d’Is Tropical est inclus dans «La plage à Pedro», la carte blanche laissée par le festival au DJ/producteur/patron de l’écurie Ed Banger Pedro Winter pendant toute une soirée sur la scène de La Plage.
Le dernier album de la bande des Anglais m’avait ravi, ces balades pop et ce clip sexy tombant à pic, comme un shoot estival en cette période difficile météorologiquement parlant (Si, si, rappelez vous.). Les 15 minutes de retard du groupe s’avéreront n’être que le premier des nombreux problèmes qu’a connu ce live laborieux. Je suis, dès le début, surprise par la formule résolument rock qu’ils ont choisi de prendre. Bien que cela n’ait rien de vraiment étonnant, je ne m’y attendais pas. Ils campent bien le rôle, au moins, et se targuent d’avoir appris un nouveau mot en français : «Gueule de bois.» Ah, voilà qui explique. Les problèmes techniques s’accumulent, ils finissent difficilement par jouer leur single Dancing Anymore, accompagné pour ce faire d’une très jolie girlfriend-chanteuse. Finalement que penser de la formule ni assez rock ni assez pop -et qui ne contente donc personne- et alcoolisée que le trio a choisi pour nous présenter son nouvel album ? Je n’en pense pas grand chose, juste un conseil les gars : une aspirine, un citrate de bétaïne et ça repart.

J’adore Jackson & His Computerband, ex-nouvelle étoile de l’électro française. Il me tardait, tout en appréhendant, de le voir en extérieur. Sachez que, lorsque que Sinh m’a confié – à la dernière minute – la tache d’écrire sur les Eurockéennes, il m’a dit « Surtout, écris au maximum pendant, tes impressions, ce qu’il te vient, sinon tu ne t’en souviendras plus.». A la page «Jackson» de mon carnet noir j’ai écrit «Feu d’artifice, aquatique et majestueux, espace, trou noir, explosion, nébuleux, barrière de corail, abysses». Je vous laisse avec ça ?

Jackson & His Computerband © Louise Massias

Grosse tête d’affiche des Eurockéennes, le live de Phoenix nous promet beaucoup de choses. Visiblement je ne suis pas la seule à l’attendre, le grande scène est blindée bien avant le début. Dès les premières minutes, le groupe y va fort. L’enchainement d’entrée Entertainement-Lasso-Lisztomania-Long Distance Call nous rappelle pourquoi on aime ce groupe, et pourquoi ce sont des bêtes de scène. Thomas Mars est survolté, il nous offre des interventions émues et des slams interminables, et emmène avec lui tout le public de la grande scène. Nous assistons donc à une fête géante, avec des paillettes, plein de lumières, des jolies images et un groupe qui semble sincèrement heureux d’être là. Assez rare pour être ovationné.

Asap… Asap… Afuck’nsap (C’est A$AP Rocky qui le dit, pas moi, je ne me permettrais pas.) Après quinze minutes d’attente au son de «classiques» (Niggas in Paris, Mercy…) le jeune rappeur débarque tout guilleret sur scène. Il annonce la couleur «I came to fuck someone’s girlfriend tonight, I came to get drunk and high.» Ambiance. Malheureusement, cette attitude désinvolte aurait pu être marrante si le show du rappeur avait été à la hauteur. Ce fut loin d’être le cas, Rocky passant plus de temps à demander au public de lui trouver de la drogue qu’à chanter. Quand on se souvient du son trop fort et mauvais, il n’y a plus rien à sauver.

DIMANCHE : APOTHÉOSE ENTRE FATIGUE ET JOIE

Sur le papier, j’aurais considéré cette dernière journée du festival comme une sorte d’apothéose, mais malheureusement je me rends compte que je suis surtout fatiguée, et, je dois l’avouer…un peu déçue. Je prends donc mon courage à deux mains, et attaque cette dernière journée en essayant de calmer mon esprit critique et de rester fidèle à ce que je suis supposée croire dur comme fer : il est tout aussi facile de dire du bien que du mal.

En pleine communion avec mon moi adolescent devant The Black Angels, l’idée me prend de faire mon aigrie en disant que le rythme, c’est ça, et qu’il existe depuis bien plus longtemps que les boîtes à rythme. Peu après, Hyphen Hyphen représente selon moi l’exemple parfait d’un groupe français talentueux et acharné. 10% de talent, 90 % de travail. Partant déjà avec énormément d’avantages (Une bassiste. Quoi de plus sexy dans un groupe qu’une bassiste ? Rien.), ils déploient une énergie affolante pour emmener tout le public de la Club Loggia avec eux. Et ça marche. La fin chorégraphiée presque robotique de la dernière chanson me donne l’impression d’être un papa à un gala, qui lève les bras et applaudit très fort, parce que sa fille, c’est objectivement la plus belle.

Hyphen Hyphen © EyeLive

Ah, si vous saviez comme je me sens mal de dire du mal de Tame Impala… Malheureusement, les Australiens ne sont pas un groupe d’extérieur. Alors que leurs deux concerts parisiens de l’année restent mémorables, j’ai trouvé leur prestation aux Eurockéennes édulcorée. Le visuel psychédélique et captivant qui, en salle, devient partie intégrante de la performance ne sert ici tout simplement à rien, les écrans géants auraient été plus utiles à nous montrer de près l’adorable tête de Kevin Parker. Le leader du groupe australien semble content d’être là quoique – comme à son habitude – un peu intimidé. Il esquisse même quelques mots en français, rien d’étonnant à cela quand on sait qu’il a habité à Paris pendant la composition de leur second album Lonerism (dont la cover est une photo du jardin du Luxembourg.). Le groupe enchaîne gentiment les bonnes interprétations (Elephant) et les moins bonnes (Feels Like Only Go Backwards), mais je boude devant ces montées souvent aseptisées et ce groupe trop petit pour cette grande scène ou justement trop grand pour cet horaire trop tôt. «Merci beaucoup, this is the best show we played this tour» Ah bon ?

Il est 22h, la nuit commence à tomber sur la presqu’île, quand les talentueux frères Lawrence de Disclosure entrent en piste. Multi-instrumentistes et très à l’aise au milieu de leurs nombreuses machines, ils nous livrent tout ce qu’ils savent (bien) faire sur un plateau d’argent : de la pop musique traitée dans une formule house. Les Britanniques, parviennent, bien qu’ils soient programmés sur cette infernale scène Club Loggia (elle est trop petite et le son y est mauvais), à emmener le public avec eux, on lève les bras, on danse, et on brûle.

Blur est attendu : en exclusivité française au festival, le groupe mythique a pour tâche de clore en beauté cette 25ème édition. Ayant déjà foulé la terre de la presqu’île 18 ans auparavant, le groupe est à l’aise, très à l’aise, trop à l’aise. Le public (inter-générationnel) est au rendez-vous, la grande scène est blindée, le show millimétré, et tout le monde connaît les paroles. J’avais peur d’assister à quelque chose d’un peu poussiéreux, d’aller voir Blur car Blur est là et qu’il ne «faut pas louper ça». Ce n’est pas le cas, je chante aussi, mais malheureusement en me demandant combien de fois Damon Albarn s’est regardé dans le miroir avant de venir. Public mon beau public, dis moi qui est le meilleur.

Blur © Stéphanie Durbic

En conclusion, que dire de ce festival ? Je retiendrais évidement le site magnifique site protégé du Malsaucy qui l’accueille. Le festival est situé sur une presqu’île, et bien que nous ne puissions pas vraiment en profiter, les sponsors ont pu faire faire des tours de yachts aux artistes, et moi j’ai pu faire du pédalo avec Disclosure – interview à venir. Malheureusement et à cause de (compréhensibles) raisons de sécurité, sa richesse est peu accessible aux festivaliers, les plages étant condamnées pendant toute la durée du festival. Un habitué m’a confié des étoiles dans les yeux «Avant, le camping était sur la plage, on pouvait se baigner quand on voulait !». Ce devait être une belle époque, en effet.
Avec une programmation théoriquement béton mais qui me laisse au final sur beaucoup de déceptions, je pense que les Eurockéennes sont une de ces grandes machines à brasser des talents, mais qui sont surtout bien trop grosses pour garantir une bonne ambiance aux festivaliers.
Le mot de la fin prendra la forme d’un mea culpa, car je me rends présentement compte qu’il est beaucoup plus facile de dire du mal que du bien.

Fidlar © Ave Eva