Pamplelune

Publié le 28 avril 2008 par Véronique Bessard

Dans la collection des Acqua Allegoria de Guerlain demandez le plus sulfureux, le plus controversé, le plus juteux : Pamplelune. Pour qui a l’oreille fine, cette merveille, reproduit très exactement le son carillonnant, délicieusement mélodieux de glaçons, qu’une main bronzée ferait négligemment tourner dans un verre de … jus de pamplemousse. Mais, attention ! Pas n’importe quel pamplemousse : LE pamplemousse.

Le parfumeur Mathilde Laurent marie ici des notes dangereusement équivoques avec un toupet et une maîtrise extraordinaire. Le pamplemousse et le bourgeon de cassis en tête, le patchouli en fond, qui sans la médiation de la bergamote du citron et surtout de la vanille se comporteraient tous très mal. Pamplelune est un parfum double, un peu à la manière de ces images où, par une sorte de pirouette du cerveau, on distingue soit une jolie jeune femme, soit une mégère.


Ce parfum est capable de prendre des visages radicalement opposés, tous deux choquants ; l’un par sa beauté et l’autre par sa laideur. Heureusement, pour moi, Pamplelune a toujours été la plus gracieuse et la plus riante des jeunes filles et jamais je ne l’ai associé à la transpiration aigre ou au pipi de chat. Notre histoire commença un dimanche, où, en visite chez des amis, je m’étais distraitement parfumée avec un échantillon de ce parfum qui traînait dans un tiroir de la salle de bain. Je l’avais trouvé agréable, sans plus, et parfaitement adéquat pour cette journée qui s’annonçait ensoleillée. Dans l’escalier, en route pour le petit déjeuner, j’ai croisé mon hôtesse et c’est alors que j’ai découvert l’effet Pamplelune. : « Hmmmmm tu sens bon, qu’est ce que c’est ? ».
Dit comme cela, ce n’est pas très spectaculaire, mais cette petite phrase j’allais l’entendre tout au long de la journée, puis des mois et des années qui suivirent. Ce parfum est de très loin, celui qui m’a valu le plus de compliments. A mon grand agacement, mon amie décida de l’acheter. C’est là qu’elle découvrît l’autre visage de Pamplelune. Sur sa peau le pamplemousse juteux et le cassis fruité se métamorphosèrent en bombes sulfuriques, aigres et méchantes. Ainsi, dans mon cercle d’amis, je restais la seule détentrice de ce parfum. L’été suivant, l’effet Pamplelune se répandit sur la côte des orangers en Espagne, ou grâce à lui je fus la star des vacances. D’ailleurs, l’année d’après tout le monde le portait.
Aujourd’hui, quand je sens Pamplelune, pleins de souvenirs drôles et tendres me viennent à l’esprit ; les longues soirées d’été dans l’odeur des bougies à la citronnelle, la vie facile, les vacances, les promenades au crépuscule le long de la falaise, les petites poules du jardin (dont l’une s’appelait Chanel et l’autre Cartier, de vraies poules de luxe…) qu’il fallait chasser le soir pour les remettre dans leur cage, ce qui donnait lieu à de belles envolées de plumes. La mer, aussi, qui la nuit répondait à nos cœurs inquiets avec une régularité tranquille et apaisante. L’amour simple et réciproque… Pour toutes ces raisons, je ne peux plus porter Pamplelune.