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Juges ou linguistes ?

Publié le 07 août 2013 par Malesherbes

Je me garderai bien de critiquer un jugement de la plus haute instance judiciaire de note pays, la Cour de  cassation, dont les arrêts s’imposent à tous. J’essaie tout simplement ici de comprendre les arguments qui étayent la décision mentionnée dans mon billet précédent.

Je relève dans le jugement deux considérations justifiant le rejet de la plainte du MRAP :

- Un propos injurieux tel celui de Brice Hortefeux ne constituerait un délit que s’il avait été proféré.

- Le délit en cause ne figure pas dans la liste de ceux pour lesquels des associations tel le MRAP peuvent agir en justice. .

J’ai toujours estimé que la multiplication des arguments à l’appui d’une thèse avait pour conséquence de les affaiblir. En effet, si chacun d’entre eux démontre la validité du raisonnement énoncé, il n’est nul besoin d’en appeler d’autres en renfort. Le faire prouve que l’on est conscient de son caractère peu décisif. Le jugement en cause ici illustre à mon sens ce que je viens d’exposer : si le délit n’est pas constitué, il ne me semble pas nécessaire d’examiner si le MRAP est habilité à agir en justice. Inversement, si le MRAP ne peut porter plainte pour ce type de délit, il est inutile de rechercher si ce délit est constitué.

Maître Antoine Chéron analyse ainsi le jugement : « le propos injurieux ne constitue un délit d’injure que s’il a été « proféré ». […] l’essentiel réside dans la modalité de son expression, c’est-à-dire en l’espèce dans sa profération ou non. La profération sera ensuite un indicateur de la volonté ou non de rendre le propos public. Il convenait donc dans un premier temps de donner une définition exacte du verbe proférer : le fait de « tenir à voix haute » le propos injurieux de manière à ce qu’il soit audible par le public. »

Le sens des mots d’une langue est façonné par ses locuteurs et consigné par les linguistes. Je ne pense pas qu’il puisse être fixé par des juges. Affirmer que l’injure n’est un délit que si elle est proférée et définir ce verbe comme le fait de parler à voix haute pour être entendu d’un public ne me semble guère rigoureux. Si proférer peut signifier dire des paroles violentes, menaçantes, menteuses, on l’utilise également dans le sens d’articuler à voix haute. On peut ainsi proférer un nom, une phrase; une plainte, une prière. Les exemples de ce dernier emploi abondent. Pour n’en citer qu’un, dans En route, Huysmans écrivait à propos du Notre Père : « N'y déclare-t-on pas, en effet, à Dieu, qu'on pardonne les offenses de son prochain? Or, combien parmi ceux qui profèrent ces mots pardonnent aux autres? ».

C'est l'injure qui donne au verbe proférer une valeur particulière et non l'inverse.


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