Au moment où certains voient dans chaque chiffre économique un signe de reprise de la croissance, il m'a semblé utile de revenir en cette période estivale sur la notion de croissance potentielle, afin d'entrer un peu plus dans les détails.
Qu'est-ce que la croissance potentielle ?
Dans L’économie du XXe siècle (1961), l’économiste français François Perroux a proposé la définition suivante de la croissance : "augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes longues, chacune de ces périodes comprenant plusieurs cycles quasi décennaux, d’un indicateur de dimension, pour une nation, le produit global net en termes réels". L'indicateur retenu est en général le PIB en volume.
La croissance potentielle, quant à elle, peut être définie comme celle réalisant le niveau maximal de production sans accélération de l'inflation, compte tenu des capacités de production et de la main d'oeuvre disponibles.
Quels sont les facteurs qui influent sur la croissance potentielle ?
On peut citer principalement :
* les gains de productivité : ils correspondent à une augmentation de la productivité.
* l'innovation : on la mesure souvent par les dépenses de R&D et le nombre de brevets triadiques (brevets déposés à l'Office européen des brevets, à l'USPTO américain, et au Japan Patent Office).
* les prix de l'énergie et des matières premières
* l'investissement
* le niveau de formation de la population active : on peut par exemple l'appréhender par la part de la population active titulaire d'un diplôme de l'enseignement supérieur, par les dépenses d'éducation supérieure par étudiant,...
* la démographie : les interactions sont fortes entre les phénomènes démographiques et économiques. Par exemple, l'évolution de la pyramide des âges
a une influence sur le financement de la protection sociale, comme le montre la question de la dépendance (ou de la retraite).
* la productivité globale des facteurs de production : c'est le rapport entre le volume de la production et l'ensemble des facteurs de production utilisés. Dit autrement, c'est l'augmentation de la production qui ne peut pas s'expliquer par l'augmentation des deux facteurs de production (capital et travail). Elle reflète donc d'une part le progrès technique, technologique, et d'autre part l'amélioration de ce que les économistes appellent de manière bien malheureuse le capital humain (éducation, expérience des salariés).
Comment peut-on estimer la croissance potentielle de la France ?
Pour estimer la croissance potentielle on peut utiliser l'une des deux méthodes suivantes :
* méthode basée sur la productivité globale des facteurs
On part d'une fonction de production Cobb-Douglas du type :
Il s'agit donc d'étudier la tendance passée de la productivité globale des facteurs, la croissance future anticipée du stock de capital net et la croissance future
de la population active, pour en déduire grâce à cette formule la croissance potentielle de la France.
* méthode basée sur la productivité du travail
On part de l'identité suivante : Y = P.N où Y désigne le PIB, P la productivité par tête et N l'emploi.
Dès lors, à partir de la tendance de la productivité par tête et de la croissance future de la population active, on en déduit la croissance potentielle de la France.
Facteurs positifs et négatifs sur la croissance potentielle de la France
* facteurs ayant des conséquences négatives sur la croissance potentielle : stagnation de la productivité globale des facteurs, faiblesse des dépenses de R&D (recherche-développement), désindustrialisation, stagnation voire recul de l'investissement des entreprises, perte de capital humain suite au chômage élevé et de longue durée.
* facteurs ayant des conséquences positives sur la croissance potentielle : pour l'instant, je n'en vois aucun, d'autant que le dynamisme démographique de la France est probablement très largement compensé - malheureusement ! - par la hausse du taux de chômage structurel suite à la crise...
Les diverses estimations de la croissance potentielle
Le gouvernement français, c'est-à-dire des énarques de Bercy qui ne voient jamais le même film que nous, estime la croissance potentielle entre 1,5 et 1,6 % à la fin du mandat présidentiel. La Commission Européenne, quant à elle, table plutôt sur 1%, Natixis sur moins de 1 %, tandis que l'OCDE envisage en moyenne 1,8 % par an sur la période 2012-2017. Enfin, le FMI prévoit une croissance potentielle en France de 1,5 à 1,6 %.
Pour information, l'INSEE estime la croissance potentielle en fonction de plusieurs scénarios (croissance de la productivité et de la population active), puisque c'est la mode de scénariser notre avenir avec un scénario noir qui reste malgré tout bien clair au vu de la réalité; son scénario bas évalue la croissance potentielle à 1,2 % par an sur la période 2015-2025.
En définitive, il ne faudra pas compter avec une croissance forte dans les prochaines années. Certes on s'en doutait tout de même un peu déjà même si ceux qui nous gouvernent espèrent toujours revenir un jour aux Trente Glorieuses, comme en témoigne cette phrase issue de la communication du Conseil des ministres du 28 septembre 2012 (adoption du budget 2013, qualifié de budget de "combat" et de "conquête") : "le Gouvernement conduit un agenda de réforme ambitieux pour renouer avec une croissance plus forte, plus équilibrée et plus solidaire, respectueuse de notre modèle social et des équilibres environnementaux, en mobilisant toutes les énergies et tous les atouts"...
N.B : l'image de ce billet provient de cette émission de France culture.