Les satellites d'observation de la Terre qui pourraient faire entrer cette discipline dans une nouvelle ère. D’ici une dizaine d’années, il sera possible de faire de la permanence depuis l’orbite géostationnaire avec des résolutions de un à cinq mètres. Thales Alenia Space travaille sur un concept de cette nature, que nous explique Frédéric Falzon, son directeur de recherche.
Véritable laboratoire d’innovation, le concept de satellite d’observation de la Terre en géostationnaire de Thales Alenia Space permet de développer des technologies qui seront utiles bien au-delà de ce concept. © Thales Alenia Space
Aujourd’hui, les satellites d’observation de la Terre en service répondent à des besoins en matière de sécurité, de protection de l’environnement et de gestion des risques, des catastrophes naturelles ou industrielles. Ils se cantonnent à l’orbite basse et offrent une résolution d’une cinquantaine de centimètres, voire mieux pour les plus secrets d’entre eux. À l’avenir, pour répondre aux attentes des gouvernements, des utilisateurs commerciaux et de la communauté scientifique qui souhaitent un suivi plus précis de l’environnement et doivent faire face à des besoins sécuritaires grandissants, l’idée est moins aux résolutions plus élevées qu’à des temps de revisite plus courts et... à de la permanence. Et le seul moyen d’en faire, c’est depuis l’orbitegéostationnaire, qui permet d’observer la même surface de la Terre en temps quasi réel.
Cependant, il existe peu de projets dans ce domaine. Aux États-Unis, Lockheed Martin en a un dans ses cartons. En Europe, Astrium a dévoilé le sien lors du Salon du Bourget de 2011, et Thales Alenia Space a présenté le sien cette année. Comme nous l’explique Frédéric Falzon, directeur recherche du pôle optique et science spatiale chez Thales Alenia Space, « si nous obtenons le budget nécessaire, c’est un instrument que nous pouvons réaliser vers 2023 ».
Résolution améliorée pour l’imagerie en orbite géostationnaire
Ce projet de Thales Alenia Space se nomme Hoasis, pour High Orbit optical Aperture Synthesis Instrument for Surveillance. Il est conçu pour faire de l’observation « depuis les orbites hautes comme le géosynchrone et le géostationnaire ». Il s’agit d’un instrument à synthèse d’ouverture optique doté non d’un seul miroir, mais de six, « fonctionnant sur le principe de l'interférométrie ». Cet instrument peut être décliné en plusieurs versions avec des performances différentes, « d’environ un mètre à environ cinq mètres de résolution ». Ce concept, « résultat d’une étude commandée par l’Agence spatiale européenne et d’études conceptuelles en interne », a été présenté au Salon du Bourget, à l’aide d’une maquette au 1/20.
Mis à l'échelle, lorsqu’il n’est pas déployé, ce satellite a un encombrement inférieur à 4,7 mètres et une longueur de 11 mètres (la taille du télescope spatial Hubble). L’instrument en lui-même mesure environ 8 m, et la plateforme « qui supporte les servitudes et les panneaux solaires », 3 m. Du côté de la masse, « on est inférieur à neuf tonnes », ce qui rend le satellite « compatible Ariane 5 ou Atlas V ». Dans le détail, l'instrument compte pour une tonne et demie, et la plateforme environ deux tonnes. Le reste représente le carburant nécessaire aux six années de la durée de vie du satellite. Point intéressant, le pointage précis de l’instrument ne va pas être assuré par la plateforme, mais l’instrument lui-même, qui va disposer de capteurs spécifiques. Cependant, la plateforme réglera elle-même sa position orbitale.
Séquence de déploiement du baffle et des miroirs du satellite Hoasis. © Thales Alenia Space
Ouverture optique multipupille
Pour comprendre le choix technologique d’un instrument à plusieurs pupilles, il faut savoir que pour obtenir une résolution de deux mètres au nadir depuis l’orbite géostationnaire, il faut un miroir monolithique d’environ 7 m de diamètre ! C’est évidemment inenvisageable en matière de construction et de mise en orbite. L’avantage d’un interféromètre imageur est de « ne pas lier la dimension des optiques à la résolution ». D’où l’idée de la synthèse d’ouverture optique multipupille de type Fizeau qui, dans sa forme actuelle, comprend « six segments de miroirs primaires déployables », chacune de ces portions mesurant deux mètres de diamètre, et « circonscrite à l’intérieur d’un cercle de sept mètres ».
En particulier, cela permet de rendre envisageables des instruments qui ne pourraient pas être possibles avec des miroirs monolithiques. Pour cela, « on joue sur le diamètre des miroirs primaires, sur leur nombre et sur leur position ». En clair, pour obtenir une résolution de trois mètres, il faut un miroir d’environ quatre mètres. L’idée est de « synthétiser un miroir de quatre mètres avec des sous-miroirs qui vont faire un peu plus d’un mètre ». Autrement dit, « on joue sur le diamètre et le nombre de pupilles ». Ainsi, pour produire une résolution de cinq mètres, on utilisera six miroirs de moins d’un mètre, etc.
Nouvelle façon de voir la Terre
Avec ce télescope spatial, l’idée est d’observer la Terre dans des bandes panchromatiques, multispectrales, infrarouge moyen et infrarouge thermique avec une permanence très élevée, c’est-à-dire « rester sur la même zone indéfiniment avec un accès à l’information quasiment en temps réel avec un mode vidéo ». C’est évidemment une autre façon d’observer la Terre. À cela s’ajoute la possibilité de l’observer « pas forcément à l'aplomb », comme le font la plupart des satellites d’observation de la Terre en orbite basse, « mais de façon inclinée ». Dans certains cas, le fait de surveiller et d’observer des détails sous des angles différents peut s’avérer très utile. Le revers de la médaille est que « plus l’instrument se dépointe du nadir, et plus sa résolution décroît ».
Vue de la Terre à une distance de 36.000 kilomètres (orbite géostationnaire). Depuis cette altitude, Hoasis sera capable d'obtenir des images d’un à cinq mètres de résolution. © Esa
Avant de rendre ce concept opérationnel, « il y a beaucoup de travail à faire », bien que Thales Alenia Space travaille sur ce sujet depuis 2002, « ponctué d’études financées par des agences spatiales ». Thales Alenia Space a certes une expérience dans ce domaine en météorologie spatial, mais avec ce concept, l’industriel change d’échelle. Avec le programme Meteosat de troisième génération, les résolutions atteintes sont hectométriques, alors qu’avec Hoasis, il est question de mètres. Depuis cette date, des outils de dimensionnement, d’optimisation de la configuration pupillaire et de restauration des images ont été mis au point. Il faut savoir que c’est un instrument qui « ne peut pas fonctionner sans les mathématiques ». L’image doit être restaurée pour atteindre la qualité souhaitée. « On fait notamment de la déconvolution ». Thales Alenia Space a également« développé des méthodes d’analyse de surface d’onde », pour calculer les déformations et les déplacements des surfaces optiques dans l’instrument, ainsi que « pour, in fine, les corriger à l’aide d’un miroir déformable actif et avec des mécanismes de très haute précision ».
Des miroirs plus légers sur Hoasis
La dernière étude menée pour le compte de l’Esa « ne montre pas d’infaisabilité, quels que soient les éléments du satellite ». Des points durs et des difficultés technologiques ? « Oui, mais rien d’insurmontable ». Concernant la construction des miroirs, un des points durs identifiés, si Thales Alenia Space ne communique pas sur ses procédés de fabrication et les matériaux utilisés afin de rendre les miroirs plus légers, Frédéric Falzon précise que Thales vise « une masse proche de 20 kg au mètre carré », contre environ 60 à 70 kg au mètre carré actuellement. Un travail qui va« tirer les technologies vers le haut », pour du monopupille ou du multipupille.
Autre innovation, les panneaux solaires. Ils seront déployés à l’aide d’un mécanisme fondé sur la mise en œuvre de mètres ruban composites, « une technologie récente sur laquelle Thales Alenia Space a déposé un brevet ». Pour contribuer à la stabilité de l’environnement thermique du télescope et éviter que la lumière solaire le perturbe, le satellite sera équipé d’« un baffle déployable ».
La mise en configuration opérationnelle du télescope « ne va pas être une partie de plaisir ». Elle va demander plusieurs niveaux de contrôle très poussés. Compte tenu du nombre de systèmes nécessitant d’être déployés, « le moindre couac et c’est la mission en elle-même qui est perdue » ! Il faut savoir que les six miroirs primaires sont déployables et que leur position est contrôlée avec des mécanismes de repositionnement à « cinq ou six degrés de liberté, de manière à les aligner ». La fiabilité des mécanismes de déploiement est « l’une des deux conditions à la réussite de la mission ». La seconde étant l’alignement des miroirs les uns par rapport aux autres, qui devra être parfait. Un contrôle ultraprécis de la ligne de visée est nécessaire pour arriver à la précision voulue.