Alors comment expliquer son titre, Madame Lumumba ?
Le nom Lumumba nous renvoie plutôt aux années soixante, à l’une des principales figures de l’indépendance du Congo Belge, Patrice Lumumba, premier héros national, assassiné par des responsables de l’Etat du Katanga avec la complicité de la sûreté de L’Etat Belge, puissance coloniale du Congo, et des services secrets (CIA) des Etats – Unis
Comment Lam aurait – il pu donner en 1938 un titre faisant référence à l’actualité des années soixante ?
En réalité, le titre n’a pas été choisi à la création de l’œuvre mais bien plus tard, effectivement dans les années soixante et, semble – t-il, lors de conversations amicales à Chatillon chez le Docteur Thésée.
Mais comment cette gouache se retrouve – t- elle maintenant à la Martinique ?
Lorsque Wifredo Lam quitte l’Espagne en pleine guerre civile pour se rendre à Paris après la mort de sa femme et de leur enfant, tous deux atteints de tuberculose, la première personne qui s’intéresse à lui, c’est Pablo Picasso. Etre étrangers en France, avoir vécu en Espagne et leur engagement pour l’Espagne Républicaine les rapprochent. Picasso introduit Lam dans les milieux artistiques d’avant – garde, auprès de Breton, Tzara, Leiris, Eluard et aussi auprès de Pierre Loeb.
Lam décide alors d’explorer certaines pistes et techniques artistiques de Picasso. Certes le motif du masque africain appartient alors à la modernité parisienne mais en l’occurrence la priorité de Lam, c’est la revalorisation de l’esthétique africaine.
Lorsque Wifredo Lam quitte Paris pour Marseille afin de rentrer à Cuba, il confie tous ses tableaux à Picasso et lui demande de les mettre en dépôt chez le Docteur Thésée dans l’attente de son retour.
De retour en 1947, il récupère ses œuvres mais en offre deux à la famille Thésée
Madame Lumumba est l‘un d’entre eux.
Françoise Thésée, historienne, chercheur, auteur de plusieurs études sur l’histoire d’Outre – mer a fait don de ces deux œuvres de Wifredo Lam au Conseil Général le 23 juin 2003
Vous pouvez les voir à la Bibliothèque Schoelcher à Fort – de – France (Martinique), au Pavillon Bougenot.
Madame Lumumba appartient à ce que l’on considère comme la période cubiste de Wifredo Lam. Cette œuvre a été montrée à travers le monde à Paris, Madrid, Bruxelles en 1982-1983, à Avignon en 1989, au Musée Dapper à Paris en 2001-2002 et à Yokohama, Japon en 2002 – 2003. Elle a été également choisie comme couverture du catalogue du Musée Dapper, Lam Métis et du livre L’esclavage expliqué à ma fille de Christiane Taubira.
Les œuvres parisiennes de 1938 de Lam présentent une grande unité plastique. Les tableaux de cette période, à la composition très structurée, montrent le plus souvent une ou deux figures humaines plutôt hiératiques, très schématisées, au corps plat et géométrique, au nez long et anguleux, aux yeux en forme de fente, totalement chauves ou au contraire dotées de longue chevelure. Les épaules sont anguleuses et les bras rectilignes. Les éléments secondaires du corps sont gommés. La relation avec la statuaire africaine est évidente. Ni modelé ni effet de profondeur. L’accent est porté sur les rapports de plans et les aplats. Rigueur. Schématisation. Sobriété.
Mais même si les textes critiques de l’époque comme par exemple Picasso footnotes: his drawings, Lam’s painting Art News (New York, Nov. 18, 1939) et Varian Fry, Assignment Rescue (New York: Four Winds Press, 1968) parlent de Lam comme d’un « élève » ou d’un « protégé » de Picasso, il faut se garder de conclusions trop hâtives car en 1938, Les demoiselles d’Avignon (1907) ont été peintes depuis longtemps et Picasso est passé par toutes les phases du cubisme, par le surréalisme, par le retour au classicisme entre autres.
Lam, pour sa part, a déjà entamé le processus artistique qui le conduira de sa période dite cubiste aux illustrations de Fata Morgana et de Retorno al païs natal jusqu’à La Jungle et Annonciation.
A suivre sur www.aica-sc.net
Dominique Brebion