Au hasard des transports en commun

Le temps étant au beau fixe, j'ai eu envie de vous parler d'art à ciel ouvert. Strasbourg est une ville intéressante du point de vue de la commande publique. Il faut savoir qu'au départ, la commande publique était limitée aux monuments commémoratifs. Or, depuis les années 1980, force est de constater que la commande publique a subi une réelle évolution, puisqu'elle s'ouvre à d'autres lieux et à d'autres formes d'art. Désormais elle s'adresse à toutes les formes d'expressions : l'accompagnement artistique du tramway de Strasbourg en est un bon exemple.

Auguste Rodin, Les Bourgeois de Calais, 1889 (Source: Wikipedia)

Dans cette idée de « musée hors les murs » ou « d'art à ciel ouvert », il est important de montrer à quel point les enjeux urbains doivent être pris en compte dans un projet artistique. L’histoire nous a montrée que l'évolution des techniques et le changement de mode de vie, expriment l'abandon progressif d'un art de l'espace urbain qui était inscrit dans une tradition commémorative. Les sculptures tombent de leur piédestal, comme le montre le monument des Bourgeois de Calais, réalisé par Auguste Rodin. Aujourd'hui l'artiste contemporain devient un témoin de son temps et c'est en ce sens qu'une œuvre d'art s'ouvre au monde extérieur et aux individus.

Barbara Kruger, Sans titre (l'empathie peut changer le monde), Strasbourg, Station de la Gare. Métal perforé, sérigraphie, 7,60x18,2m. 1994 Station souterraine gare centrale, strasbourg. Ligne A du tramway de strasbourg. CUS

En me rendant dans la station souterraine du tramway à la gare centrale, j'ai eu l'occasion de redécouvrir une œuvre que j'avais un tantinet oublié : celle de Barbara Kruger. Les yeux rivés vers les œuvres, de nombreuses questions me sont venu à l'esprit : ce « musée hors-les-murs » se fond-il dans le paysage ? A-t'il trouvé son public ? Quelle est la réception des publics quant à cet art à ciel ouvert ? Et qu'en est-il de la conservation de ces œuvres qui accompagnent notre quotidien ?

Barbara Kruger, Sans titre (l'empathie peut changer le monde), Strasbourg, Station de la Gare. Métal perforé, sérigraphie, 7,60x18,2m. 1994 Station souterraine gare centrale, strasbourg. Ligne A du tramway de strasbourg. CUS

Les œuvres d'art dans l'espace urbain ne sont pas censées se fondre et se confondre dans leur environnement. Pourtant j'ai remarqué qu'elles sont parfois effacées, englouties par la vitalité et par les mutations de l'espace urbain.

Johnathan Borofsky, Woman Walking to the sky, Strasbourg, acier, fibre de verre, peinture, 25m,1994. Acier, fibre de verre, peinture, mât oblique 25m, personnage 2m. Place des halles, station de l'Ancienne synagogue, stras. Ligne A du tram.

La gare centrale est un lieu de passage stratégique puisqu'elle est à la fois dans la ville et déjà en liaison avec l'ailleurs. Barbara Kruger est ainsi intervenue dans toute la station souterraine du tram avec les différents éléments architecturaux comme supports de ses textes et de ses images. Sur les poutres on retrouve des phrases telles que « ou as-tu la tête ? », et « où allez-vous ? », tandis que sur les marches des mots tels que « passif » ou « pauvreté » sont inscrits. Une affiche, au slogan plus qu'évocateur « l'empathie peut changer le monde », surplombe l'entrée du tunnel. Avec ces différentes accroches, Barbara Kruger s'adresse ouvertement à ceux qui passent, citadins pressés, promeneurs, touristes, usagers des transports en commun. Elle remet en cause les stéréotypes sociaux de domination et d'aliénation. Par l'expression d'une certaine violence, elle cherche à susciter une interrogation chez le passant, et pourquoi pas à engendrer des réactions au sujet de l'art. Toutefois les propositions plastiques de Barbara Kruger, et notamment ses panneaux, rappellent les enseignes publicitaires dans leurs caissons lumineux, oscillant ainsi entre visible et invisible. Il s'avère du coup, que ces propositions plastiques relèvent d'une certaine esthétique de la disparition. Les néophytes ne semblent pas prendre conscience qu'ils ont face à eux une œuvre d'art contemporaine, et non pas une simple décoration, ou une vulgaire enseigne à but lucratif. L'œuvre est oubliée, complètement effacée. Pourtant elle possède une présence réelle qui la différencie de ce qui l'entoure.

Alain Séchas, Le Chat des Rives de l'Aar (Parc Émile Stahl, Schiltigheim), 2000. Polyester, métal, 4,5 x 10 x 2,22m entrée de Schiltigheim, ligne B du tramway

Concernant la conservation, les institutions oublient que la commande publique est quasiment la seule occasion d'une rencontre entre le grand public et l'art contemporain. Les œuvres d'art public sont exposées aux intempéries, à l'usure du temps et au vandalisme. Elles connaissent une grande précarité et souffrent parfois d'un mauvais entretien.

Jean-Luc Vilmouth, Le Bar des Plantes (Place Saint pierre le vieux) 2006. Verre, acier inoxydable, béton , végétaux, 6 x 5,60 m; Place Saint-Pierre le vieux, Strasbourg.

Finalement on a souvent remarqué que cette rencontre avec l'œuvre au hasard, dans un lieu qui n'est d'ordinaire pas fait pour l'accueillir, suscite de vives réactions. Et si certaines œuvres furent contestées lors de leurs édifications, elles sont souvent considérées aujourd'hui comme réussies. Comme le montre le cas des deux plateaux de Buren au Louvre. Le succès d'une commande publique réside dans un savant mélange entre pertinence de la proposition artistique, attention aux sites et aux usagers. L'art public permet cet échange et ce dialogue entre l'espace urbain et l'art contemporain. Strasbourg est loin d'être la seule ville de France à avoir mis en place un accompagnement artistique du tramway, d'autres villes telles que Mulhouse et Orléans ont décidés de relever ce challenge et de proposer eux aussi une sorte de musée à ciel ouvert. Je n'ai malheureusement pas eu encore l'occasion de m'y rendre pour y jeter un œil. Et si je ne vous ai parlé que de Barbara Kruger, sachez que Strasbourg regorge de multiples œuvres de ce type, notamment sur la place des Halles avec Johnathan borofsky, le chat d'Alain Séchas sur les rives de l'Aar, le bar aux Plantes de Jean-Luc Vilmouth en centre ville ou encore l'allée des sculptures à l'esplanade. À vous maintenant de partir à la recherche de ces surprises artistiques qui viennent orner le paysage strasbourgeois. Ainsi vous aurez la recette d'une après-midi artistique réussie !

Anaïs.