On n'a pas de pétrole mais on aurait des tableaux.. Est-ce là l'axe d'une nouvelle politique culturelle des Musées nationaux ?
Le hasard du calendrier a voulu que je lise les dernières lignes du livre de Didier Rykner, Le spleen d'Apollon, quand est paru dans Le Monde un article dénonçant les dérives mercantiles du Louvre : "L'art est-il une marchandise comme les autres et le Louvre, un négociant de premier plan ?" L'article signé par Nathaniel Herzberg (lire ci-dessous), évoque l'exposition prévue en septembre à Vérone (Italie) de 130 chefs d'oeuvre du Louvre, organisée par un opérateur privé contre une somme de 4 millions d'euros...
C'est justement de telles dérives que dénonce également Didier Rykner, fondateur de La Tribune de l'Art dans son ouvrage, publié en avril,Le spleen d'Apollon, Musées, fric et mondialisation.
L'auteur y décrit les intentions qui poussent le Louvre (Ainsi que le Centre Pompidou) à multiplier les locations d'oeuvres et les créations de succursales à Atlanta (USA), et bientôt à Lens (Le Louvre 2) et à Abou Dhabi (Emirats arabes unis).
Selon l'auteur une politique culturelle et scientifique semble céder le pas à une nouvelle pratique commerciale, à l'instar de celle pratiquée par le Guggenheim de New York qui multiplie ses implantations sur tous les continents.
Cette nouvelle politique met en avant "le rayonnement culturel de la France". Argument auquel je suis spontanément assez sensible.
Ses détracteurs, que je viens de lire avec attention et qui m'ont à ce jour plutôt convaincu, en contestent plusieurs fondements. J'en ai retenu trois principaux :
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Ces envois démultipliés de nos oeuvres concernent en premier lieu des chefs d’œuvre d'une grande fragilité qui s'accommodent mal de déménagements à répétition et de changements de climat incessant...
L'illusion des richesses cachées dans les "réserves »
Les réserves du Louvre (Dans les quelles le Musée d'Orsay a largement puisé) ne sont pas telles qu'elles puissent alimenter trois autres musées supplémentaires dans le monde... Donc des chefs-d’oeuvre devront quitter les murs du Louvre pour plusieurs années. Ce ne sera plus si simple, alors, de "vendre Le Louvre » à ceux qui viennent de très loin pour visiter ce musée unique au monde. En janvier dernier, Christine Albanel était fière d'annoncer que les musées nationaux avaient accueillis 24 millions de visiteurs l'an dernier, Le Louvre s'arrogant la part du lion avec 8,3 millions de visiteurs... Venir au Louvre au risque de ne plus y voir la Joconde ? Voilà qui va encore nous fâcher avec les Chinois...
L'exemple du Guggenhiem n'est pas à proprement parler un bel exemple pour ce qu'e j'en connais. J'ai visité comme beaucoup d'autres, celui de Bilbao au Pays basque espagnol. J'y ai admiré l'architecture certes, mais n'y ai point trouvé de "collection" digne de ce nom.
Peut-on vendre son âme ?
Enfin, cette nouvelle politique culturelle bouleverse considérablement nos traditions de conservation des collections de nos musées. Non pas que je sois réfractaire à tout changement. Nos conservateurs et nos administrateurs de musées, du moins ceux qui sont engagés dans de telles expériences, sont-ils prêts à tout louer à condition que le locataire y mette le prix ? Avant l'instauration de ces nouvelles pratiques, les échanges entre musées étrangers se produisaient sur des bases scientifiques (ils existent encore) qui donnaient lieu à la publication d'ouvrages et de catalogues qui enrichissaient la connaissance générale des oeuvres et des artistes. Désormais, il semble que ce soit l'argent qui commande et les lois du spectacle, car l’argent investi pour l’événement » doit se traduire dans une billetterie. Ces collections, comme le dit si justement Didier Rykner, sont une part de "notre âme", et je vous ferai grâce de mon petit couplet sur nos chefs d’œuvre d'art sacré... Peut-on réellement monnayer son âme ? Ulysse semble avoir cédé aux charmes de Circé, sur les rivages d'Abou Dhabi (qui a déjà versé 150 millions d'euros pour le projet).
Certes il s'agit d'un texte à charge; mais chaque accusation est étayée de citations sourcées et d'exemples vérifiés. Ce qui le rend si redoutable et si inquiétant.
Je ne peux pas penser, après lecture de cet ouvrage, que le ministère de la Culture et les responsables de nos grands musées nationaux gardent encore longtemps le silence. J'ai hâte, parce que je crains le pire, de connaître leurs réponses sur les dangers que leurs initiatives semblent faire peser sur notre trésor national. Riche et si fragile...
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"Goya, Botticelli, Véronèse, Rembrandt, Rubens, Van Dyck, Vélasquez, Greco, Raphaël ou encore Ingres, La Tour, Poussin : le musée français n’a pas lésiné sur les grands noms. Pour l’occasion, (Le Louvre) a même accepté de laisser partir des chefs-d’oeuvre qui n’avaient jamais quitté ses murs. Tout juste La Belle Ferronnière, de Léonard de Vinci, avait-elle été autorisée à quitter une fois la grande galerie. Mais c’était pour une exposition temporaire à l’intérieur même du musée. Quant au Portrait de jeune homme, de Botticelli, les registres de l’après-guerre ne gardent aucune trace d’un quelconque déplacement.
Les raisons d’une telle première ? "L’argent", tranchent les détracteurs de l’opération, à commencer par le site La Tribune de l’art, qui a révélé l’opération, mais aussi une partie des conservateurs du musée. Avec 4 millions d’euros, les Italiens ont offert une somme largement supérieure aux usages pour la fourniture complète d’une exposition, prestation qui n’atteint que rarement les 2 millions. Au Louvre, on ne cache pas l’intérêt financier de l’accord. Mais Vincent Pomarède, directeur du département des peintures et co-commissaire de l’exposition, l’assure : "L’intérêt est avant tout scientifique, c’est ce qui a guidé nos choix."
Lire l'intégralité de l'article sur Controverse au Louvre autour de la "location" de 130 chefs-d'oeuvre surLe Monde.fr (24 avril 2008)