Lecture proposée par les éditions JC Lattès - L’avis d’Emmanuel
Dan Brown et moiIl serait malhonnête de ma part de le cacher : encore tout jeune homme, débutant ma carrière littéraire (si j’ai dévoré durant mes tendres années, ce fut surtout des littératures de l’Imaginaire dont même l’amateur le plus forcené ne pourra guère défendre les qualités de plume -sauf exception dont nous parlons souvent ici, bien sûr-), j’avais lu le Da Vinci Code sans déplaisir et en avait même conservé un souvenir plutôt favorable. Certes, je n’étais alors (et je ne suis guère plus aujourd’hui) aucunement versé dans l’histoire de l’art et ne pouvais donc m’offusquer des multiples invraisemblances qui suscitent des envies d’autodafé chez ceux de mes amis qui sont du milieu.
Le nouvel opus du plus gros vendeur de l’histoire littéraire ayant heurté les étagères des librairies – les bacs de la Fnac – la bande passante d’Amazon – le no-mans-land des relais H avec moult fracas, j’ai soudain ressenti l’envie de retrouver le célèbre Professeur Langdon, et avec lui les plaisirs de mes lectures adulescentes, le temps de quelques pages. Il fut d’autant plus aisé de se laisser tenter que la recette éprouvée du gars Brown (1/3 intrigue policière, 1/3 histoire de l’art, 1/3 symbologie et ésotérisme) appliquée à la Divine Comédie, au malthusianisme et au terrorisme biologique ne me semblait pas pouvoir déboucher sur quelque chose d’absolument inintéressant.
Au pire des cas, la critique qui ferait suite à cette lecture (le post que vous êtes en train de lire) ferait de belles statistiques (c’est toujours le cas avec ce genre de livres).
De Florence à … ailleursLe problème toutefois pour l’amateur qui se targue de faire la critique d’Inferno, c’est qu’il n’est pas si facile d’en parler sans se mettre à spoiler dès la deuxième ligne. Difficile en effet de s’étendre sur le style, inutile d’essayer d’inscrire le livre dans un contexte plus large (autre que celui commercial évidemment), tout autant que de prétendre en dévoiler le sens caché.
Une bonne manière de faire serait peut-être de dresser la liste des mystères dans la résolution desquels le lecteur va accompagner le bon professeur. Qui a le bon goût de nous faire dans la première moitié du roman le coup de l’amnésie : guère innovant il est vrai, mais toujours aussi efficace. Car pourquoi l’est-il ? Premier mystère. A peine éveillé, voilà qu’on essaie de le tuer. Mais qui ? Et pourquoi ? Deux questions pour une unique mystère. Comme nous ne sommes qu’à la page 20, le professeur parvient bien évidemment à s’enfuir, aidé par la jeune et ô combien mystérieuse Sienna Brooks. Troisième. Qui n’a pas oublié d’emporter, avant de prendre ses jambes à son cou, un mystérieux petit caisson hermétique marqué risque biologique et dont le professeur se trouvait mystérieusement en possession lorsqu’il a été conduit à l’hôpital. Le mystère de ce caisson sera toutefois rapidement résolu, mais en révèlera rapidement un beaucoup plus grand : celui abrité par un petit objet d’ivoire sculpté transformé en picoprojecteur (je laisse planer le mystère sur ce que projette l'objet). Et de quatre et demi en moins de 50 pages. Auxquels il faut ajouter les interludes mystérieux rapportant les préoccupations d’un Président beaucoup plus mystérieux à bord d’un navire assez mystérieux. Cinquième.
La décence me recommande malheureusement de m’arrêter là. Qu’il me soit permis de vous dire cependant, pour lever un pan du mystère (ou y contribuer, à vous de juger) que la première moitié du roman n’est pas avare de nouveaux mystères qui s’enchaînent et s'imbriquent pour ne commencer à se dénouer vraiment (et ce, progressivement) que dans la deuxième.
Dan distille le tout avec une bonne maîtrise du suspens, que ne mettront pas en doute ceux qui l’ont déjà lu. Le tout faisant de son pavé un page turner des plus solides.
Je n’ai plus vingt ans…Malheureusement, le temps a passé depuis l’époque bénie (élan spontané de lyrisme. Je ne corrige pas) du Da Vinci. Et Dan et moi avons muri.
De mon côté, j’ai croisé la route de grands auteurs, découvert ce que c’était qu’un livre bien écrit, perdu la candeur et la voracité du jeune homme face à l’histoire bien ficelée mais écrite comme une rédaction de Brevet.
Dan lui, a appris qu’écrire iPhone et iPad dans son roman lui permettait de gagner encore un peu plus d’argent. Que les choses savantes c’était bien pour en mettre plein la vue, mais qu’il ne fallait pas qu’elles deviennent trop compliquées, pour ne pas décourager certains lecteurs potentiels dont le QI serait plus limité. Surtout, qu’il était bien plus pratique d’anticiper l’adaptation cinématographique du roman pour ne pas avoir à le retravailler en profondeur le jour venu (qui ne tardera d’ailleurs pas, sortie prévue en 2015). Inferno est donc écrit dans une langue très simple, sous forme de chapitres courts et faciles à lire, et tous les mots compliqués y sont expliqués en termes intelligibles par tous. Il comporte pour plusieurs millions de dollars de scènes d’action, triture le destin de l’humanité, est traversé par un inévitable amour impossible, et révèle des destinées extraordinaires. Et n’oublie pas les loufoqueries prosaïques et les scènes d’attendrissements livrées avec le pack violons / coucher de soleil.Ce que l’on pourra apprécier. Ou pas.Mais on ne peut pas vraiment en vouloir à Danny : on ne peut séduire 86 millions de lecteurs sans quelques sacrifices.
A lire ou pas ?Et bien je dirais oui, mais à condition de vous dépêcher. Car si vous apprécierez certainement les pérégrinations et déboires du plus célèbre professeur de symbologie que la terre ait porté jusqu’au cœur de l’enfer de Dante, allongé sur le brûlant sable aoûtien, il est à craindre que la fraîche grisaille citadine de septembre se prêtera moins à la dégustation de ce petit morceau de littérature pop que l’on prend plaisir à consommer avec une avidité un peu coupable, tel un double whooper trop gras, avant d’en jeter les reliefs dans la corbeille prévue à cet effet (pensez à recyler).
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