Titre original : Der Name der Rose
Note:
Origines : France/Italie/Allemagne
Réalisateur : Jean-Jacques Annaud
Distribution : Sean Connery, Christian Slater, Ron Perlman, F. Murray Abraham, Michael Lonsdale, Helmut Qualtinger, Valentina Vargas…
Genre : Thriller/Drame/Adaptation
Date de sortie : 17 décembre 1986
Le Pitch :
Alors qu’elle est choisie pour être le lieu d’un débat houleux entre divers ordres religieux concernant la pauvreté du Christ, et donc de l’Église, une abbaye isolée du nord de l’Italie est agitée par de mystérieux meurtres. Un moine franciscain, Guillaume de Baskerville et son disciple, Adso de Melk, mènent l’enquête…
La Critique :
Le thème des enquêtes dans un contexte historique, qu’elles soient contemporaines des faits ou non, est très répandu aujourd’hui, quelque soit le support. C’est en partie grâce au formidable travail d’érudition d’Umberto Eco, qui a fait de son roman ici adapté, une œuvre hybride aux multiples facettes, parfois inattendues. On suit donc les pas de deux personnages, l’un âgé et plein d’expérience et l’autre jeune et en quête de repères. Cela donne une dimension initiatique au récit qui ne se limite pas à cela. Il y a de nombreuses questions et pistes que l’on pourrait explorer dans ce livre : la quête du savoir, la remise en question des grandes institutions, la découverte de l’Autre… Le tout avec un certain humour par moments, montrant une forme de recul particulière, propre à Eco. Tout cela à travers des métaphores particulièrement travaillées et que le film a réussi à faire vivre. La figure de la bibliothèque, personnage à part entière, est particulièrement intéressante. Elle enferme les livres dans le labyrinthe qui lui sert d’entrailles. On est dans un lieu où le savoir est préservé, conservé par des moines copistes, mais dont la bibliothèque semble être un saint des saints inaccessible au système obscur et quasi ésotérique dans sa gestion et sa conception. Belle allégorie de l’obscurantisme de cette époque troublée qui rappellera la fameuse caverne de Platon aux plus philosophes. On trouve des tonnes de clins d’œil, de citations et autres références dans le film comme dans le roman, faisant de ces deux œuvres un vrai régal pour l’esprit.
Différents points de vue sont exprimés, aucun n’est forcément bon ou mauvais en soi, chacun ayant des raisons d’exister, le film est anti-manichéen et en ce sens, seule la figure de l’Inquisiteur Bernard Gui est totalement négative. Cela est plus tempéré encore dans le livre, où le personnage de Guillaume est plus contrasté car souvent animé par un certain orgueil du fait de sa culture impressionnante et habité par son passé trouble… Il n’en reste pas moins que l’on est fasciné par les personnages peuplant ce microcosme, par leur humanité, leurs forces, leurs faiblesses, leurs tourments. Cela permet de rendre le fond des œuvres plus complexes qu’une simple confrontation foi aveugle/raison.
Pour donner vie à tout ce petit monde, Annaud n’a pas souhaité pas faire appel à des acteurs connus, c’est pourquoi on croise un jeune Christian Slater, et d’autres inconnus au bataillon comme Helmut Qualtinger, qui livre une belle performance malgré sa maladie qui a eu raison de lui à l’issue de ce dernier rôle d’ex-hérétique. On trouve aussi un Ron « Clay » Perlman « freakesque » et particulièrement tourmenté (fidèle du réalisateur depuis La Guerre du Feu que l’on retrouvera plus tard à nouveau sous sa direction d’Annaud dans Stalingrad). C’est seulement à cause de son insistance que Sean Connery put endosser la bure dans le rôle central de Guillaume de Baskerville. Annaud fut finalement très satisfait de sa prestation aux auditions et l’a donc engagé. Il faut dire qu’il transpire un charisme unique et qu’il est impérial dans chaque minute où il apparaît. Michael Lonsdale fait très bien son travail dans le rôle de l’Abbé, un genre de personnage qui lui colla par la suite, à la peau. Quant à Valentina Vargas, elle est hypnotique et troublante dans le rôle titre de… la Rose, autre fort belle métaphore.
Le Nom de la Rose est pour beaucoup, une adaptation parmi les plus réussies sur grand écran. Le chef-d’œuvre d’Umberto Eco aurait difficilement pu rêver meilleur écrin cinématographique. Le roman original est particulièrement dense, riche et érudit, il s’agissait donc de rendre la chose accessible et intéressante dans le cadre d’un film. Jean-Jacques Annaud y est parvenu sans trop de difficultés, en grande partie en conservant l’ambiance particulière qui empreigne ce jeu de piste médiéval. Et il faut reconnaître, le français est fort dès lors qu’il faut installer un climat unique, sa filmographie en est un beau témoignage, chacun des films ayant sa propre atmosphère. Bien aidé par un James Horner qui, fidèle à sa réputation, livre une très belle bande-originale, qui est ce qu’on attend d’elle, à savoir un formidable outil d’immersion dans cet univers moyenâgeux et quasi-légendaire.
Pour aller jusqu’au bout, il faut installer un décor fidèle aux nombreuses descriptions qu’Eco a semé dans son livre, notamment en ce qui concerne la bibliothèque qui est au cœur du canevas posé par les assassinats de moines… Pour cela, Annaud s’est entouré de Dante Ferretti, qui porte merveilleusement son prénom. Créateur habile de décors, sa scénographie est toujours crédible historiquement tout en respirant la vie et en conservant un caractère éminemment organique, échappant ainsi au côté clinique de nombreuses reconstitutions. Le sens des détails est remarquable, à tel point que les livres crées pour l’occasion devaient être mis sous clé après les journées de tournage pour éviter les vols… Si l’on trouve de légers anachronismes comme la statue de la vierge, très Renaissance pour une sculpture médiévale, on ne saurait prendre le film en défaut pour son aspect visuel. La photographie tout en sombres contrastes permet une immersion totale dans cette quête de savoir et de vérité.
En bref, Jean-Jacques Annaud nous livre un fort beau film à la fois historique sur la forme et intemporel sur le fond, sans faute de goût. Chapeau bas et cocricooooooo !!!
@ Sacha Lopez