Editions Calmann-Lévy, 2005
Prix RTL Lire 2005
Gérard Mordillat, romancier et documentariste, renoue ici avec la tradition française du roman social, engagé et du feuilleton. Allant à contre-courant de la dominante nombriliste de la littérature française contemporaine, il signe une fresque de 650 pages racontant une fermeture d'usine de fibres plastiques dans l'Est de la France.
Tout se passe de nos jours; une inondation mobilise tous les ouvriers pour sauver l'usine. Grâce à leurs efforts, les machines sont réutilisables mais deux ans plus tard, les dirigeants annoncent que l'usine, rachetée par un groupe allemand, n'est plus rentable. Il faut donc licencier...Ce sont les plus vieux et les plus jeunes qui trinquent malgré la lutte des ouvriers.
Un an plus tard, malgré les licenciements, on annonce que l'usine ferme définitivement...La lutte commence...
Cette fiction documentaire aux allures d'épopée nous fait vivre de l'intérieur toute la vie d'une village, d'une région bouleversés par les mutations économiques. Mordillat recrée véritablement un monde dans une fresque d'une cinquantaine de personnages aussi différents les uns que les autres par leurs caractères ou leurs fonctions : maire du village, responsables syndicauts, commerçants, préfet, ministres, journalistes, les découragés (les morts) et ceux qui ont choisi la lutte (les vivants)....et bien plus encore le PEUPLE. Car au delà de la politique, des divergences syndicales, c'est bien l'homme, le peuple qui a la parole dans ce livre.
Mordillat évite tout effet de style. Presque aucune description, les dialogues prédominent ainsi que l'action pour donner vraiment l'impression d'une parole populaire directe. Tout est très rythmé, rapide, sans fioritures, nous avons l'impression d'être dans un feuilleton de Dumas ou dans un reportage filmé.
La dimension documentaire est très présente ! Mordillat décortique les différentes étapes des fermetures d'entreprise : plan social, rachat par un firme étrangère, délocalisation.
Mais il n'oublie jamais la dimension romanesque d'une telle histoire : il entremêle le collectif et l'individuel en focalisant les répercussions de la crise sur un jeune couple d'ouvriers, Rudi et Dallas. Ce couple incarne les vivants qui lutteront jusqu'au bout. Mais autour de ce couple gravitent les morts (Lorquin, un vieil ouvrier qui ne comprend plus le monde dans lequel il vit), les collèges mais aussi la direction (Le personnage du directeur, Format, est un personnage tout en nuances, tragique).Chaque partie du roman (3 grandes) est centrée sur un des trois personnages principaux : Rudi, Lorquin, Dallas.
Modillat évite tout manichéisme en liant justement l'intime et le social : chaque personnage subit une crise intime. La crise sociale devient crise psychologique : problèmes de couples, réflexion sur les rêves d'une vie....Les intrigues amoureuses sont très présentes évitant au roman de devenir un récit à thèse.
Car c'est bien la vraie vie qui domine dans cette fresque. Ca remue, ça mugit, ça frémit. La dernière partie est de ce point de vue magistrale, prend des allures de Germinal du XXIe siècle. L'action prédomine, la révolte du peuple prend des allures de thriller...
Mais je n'en dit pas plus. Mordillat renoue avec la grande tradition du roman populaire, simple et vivant. Saluons l'exploit.