Je sais la cassure du petit matin, l’aplomb brutal de midi, la sournoise inversion du soir
Je sais le vertigineux à-pic de la nuit et l’accablante horizontalité du jour
Je sais les hauts et les bas, les hauts d’où l’on retombe à coup sûr, les bas dont on ne se relève pas
Je sais que le chemin de la douleur n’a de stations qu’en nombre limité
Je sais le souffle haché, le souffle coupé, l’haleine fétide, les effluves d’air cru et les émanations du gaz de ville
Je sais les étreintes vides, la semence crachée par dépit sur la porcelaine
Je sais la face du mot qui vous sera renvoyée comme une gifle
Je sais que l’amitié et l’amour n’ont pas d’aubier
Je sais que les amarres rompues, le cou brisé, la semelle usée ont pour commun dénominateur la corde
Je sais que la détonation contient le même volume sonore que les battements de coeur qui bâtissent toute une vie
J’ai vécu pour savoir et je n’ai pas su vivre.
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Roger-Arnould Rivière (1930–1959) - Septembre 1959