C’est durant la dernière édition de Japan Expo que s’est tenue une des rares conférences sur le manga, pour essayer de faire le point sur les tenants et aboutissants du marché français. Cette convention inratable pour les éditeurs de manga est l’occasion d’avoir tous les directeurs éditoriaux sous la main, il faut donc profiter de cette opportunité pour les réunir et confronter les discours.
Cette conférence a été animée par Nicolas Penedo (l’un des deux rédacteurs en chef d’Animeland) et les invités sont Kim Bedenne, directrice éditoriale de Pika et Yves Schlirf, directeur éditorial de Kana. La conférence était initialement nommée Bilan Manga 2013 mais elle a finalement peu évoqué les ventes du premier semestre ni même les résultats des séries, se penchant plus sur les stratégies globales de Kana et Pika.
Pour ce compte-rendu je remercie Aurélie, une nouvelle rédactrice officiant également sur Journal du Japon, qui a suivi et retranscrit l’essentiel des propos de ces 45 minutes d’échange. Merci à elle et en avant pour le compte-rendu !
Lectorat : identifier le public-cible
La première chose sur laquelle les deux responsables des licences se justifient est la perte considérable de lecteurs. Ils sont conscients que ces derniers ont tendance à abandonner les mangas lorsqu’ils entrent dans la vie active. Il leur faut donc des lectures adaptées à leur âge et qui, en même temps, plairont aux novices en ce domaine. Cela se traduit par le choix du seinen plus que du shônen, notamment chez Pika, qui peut toucher à la fois le cœur de cible est le lectorat plus âgé.Mais il ne faut pas oublier l’autre coté du spectre manga et Pika complète son offre avec l’acquisition récente de la licence Disney, qui touche les enfants mais rassure et attire aussi les parents qui surveillent les lectures… Et qui ont parfois baigné dans ce type d’univers.
Dans la même idée, sur le choix des titres, il faut que ces derniers soient compris des fans de manga mais aussi des fans de BD et enfin, dans l’idéal, par ceux extérieurs à ces loisirs. Exemple : Space Brothers possède un graphisme dans un style plutôt européen, et se nourrit d’influences pas uniquement japonaises.
Avec des œuvres comme Les Vacances de Jésus et Bouddha et Les Gouttes de Dieu, une première ouverture aux non-fans de manga s’était déjà faite et le combat continue pour la responsable des licences, avec Space Brothers cité précédemment, mais aussi à travers les débuts de PIKA Graphics qui proposent des titres connus tel que Black Moon, Sublimes Créatures ou encore Infinite Kung-fu… Une stratégie proche de chez Kana qui avait misé sur I am a hero pour attirer les fans de zombies et gore.
Kana, justement, se considère comme « Naruto-dépendants« . Bien qu’ils admettent une usure de fond de la série, elle reste une source d’argent permettant de récolter ce qu’il faut afin d’éditer d’autres mangas moins connus. Ils cherchent donc de la nouveauté avec notamment Black Butler qui a trouvé son public ou plus récemment Gamaran qui a fait un bon début, mais comptent aussi sur le retour de Hunter x Hunter. Trois licences sur lesquelles l’éditeur fonde pas mal d’espoir.
Second semestre : quels titres et comment les défendre ?
Cette année, en plus de la valeur sûre que représente Fairy Tail, les éditions Pika misent sur un nouveau titre (auquel leur stand Japan Expo était entièrement dédié) : L’attaque des Titans. Pour Kana, en terme de nouveautés présentes ou à venir pour le second semestre, Hell’s Kitchen, sur le milieu de la cuisine et le déjà médiatique Assassination Classroom seront leurs deux chevaux de bataille, comme on a pu le voir, là aussi, à travers les animations proposées à la Japan Expo.
Mais le plus gros pari de Kana pour cette année 2013 est sans aucun doute le déploiement audio-visuel que constitue le lancement de la plateforme de visionnage Genzai. En effet la TV étant un boost pour les ventes, Kana souhaite se concentrer sur ce média, avec pour objectif de proposer les animes quelques jours après leur diffusion au Japon.
Une fois ces titres choisis il faut donc les défendre et les conventions sont des moments importants, puisque la rencontre avec le lectorat y est possible. C’est un privilège qui n’existe pas dans l’univers de la BD Belge, comme l’expose Yves Schlirf qui le connaît bien. De son côté, Pika concentre son travail autour de quelques dates clés qui sont le mois de mars, juillet, la période de rentrée septembre-octobre, ainsi que les fêtes de Noël qui sont l’occasion de sortir des artbooks en gardant en tête de viser un lectorat large et mixte.
Néanmoins le rythme des sorties représente un exercice d’équilibriste, y compris au Japon. Auparavant, il était possible d’attendre et de stocker une licence jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment de tomes pour pouvoir en sortir régulièrement, mais ce n’est plus possible. A contrario, les maisons d’édition nippones ne poussent pas les éditeurs à en sortir 6 par an quand le manga le marche pas.
Enfin, la prépublication, qui serait un bon outil pour obtenir des infos sur le public français et ses attentes, n’est pas envisageable actuellement. En effet, cela se faisait avant, notamment avec Pika, mais le déclin du secteur de la presse a conduit à son arrêt, d’autant plus que cela donnait l’impression de payer double.
En somme, le marché 2013 est fragilisé mais pas catastrophique. Un certain nombre de décisions sont prises par les éditeurs tout au long de l’année afin de ne pas se tromper sur les lectures à proposer puis pour d’adopter des stratégies différentes pour attirer le public, et répondre à leurs attentes.
Pour suivre l’actualité des deux éditeurs vous avez leurs sites web (Kana / Pika), leur page Facebook (Kana / Pika) et leur compte Twitter (Kana / Pika). Vous pouvez aussi retrouvez les deux éditeurs dans nos interviews ci-dessous…
Doki-Doki (mai 2012)
Glénat (mars 2009, décembre 2012)
IMHO (avril 2012)
Isan Manga (mars 2013)
Pika (avril 2013)
Kana (novembre 2012)
Kazé Manga (avril 2011 – janvier 2012)
Ki-oon (avril 2010 - avril 2011 – janvier 2012 – janvier 2013)
Kurokawa (juin 2012)
Ototo – Taifu (octobre 2012)
Soleil Manga (mai 2013)
Tonkam (avril 2011)