Le choc libéral-frontiste de l'apprenti-candidat Fillon.

Publié le 02 août 2013 par Letombe

François Fillon débute. C'est un apprenti candidat à la Présidentielle. Il a lâché la direction du parti sarkozyste. Mais il se prépare pour les primaires de 2016.

Il aimerait être président. Il ne se coupe plus en y pensant quand il se rase.

Le voici donc qui esquisse un programme de gouvernement. Après cinq années passées à Matignon comme premier collaborateur de Nicolas Sarkozy, nous pouvions chercher avec minutie les originalités. Après tout, les Fillonistes tentent de bâtir une partie de leur identité politique sur les ruines de l'ancien monarque.

Il a tout mis en ligne sur le site de son mouvement, pardon, de son "courant", baptisé "Force Républicaine". Elles sont organisées en trois thèmes, "le redressement économique", "la République unie", et "l’Europe forte".


Assez curieusement, Fillon demande aux internautes de voter, chaque jour, pour l'une d'entre elles. Cela ressemble à ces sondages dont les sites d'information raffolent. Ainsi, les premiers "sondages", sans aucune valeur scientifique ni grande information (le nombre de votants n'est pas publié) donnent des scores faramineux: 88% pour la suppression de la durée légale du travail, 74% pour augmenter encore la TVA, 85% pour supprimer la représentation syndicale dans les entreprises de moins de 75 salariés.

La lecture de ces 35 propositions a quelque chose de terrifiant. Elle permet de comprendre le délabrement d'une droite qui n'est pas qu'en faillite financière.

Proposition #1: la suppression de la durée légale du travail
"Pour libérer la croissance, pour sauver notre industrie et enclencher une dynamique sur le pouvoir d’achat, je propose la suppression de la durée légale du travail, fixée à 35h, et la capacité donnée aux entreprises et aux salariés de négocier sur le terrain le temps de travail et son organisation."
En d'autres termes, François Fillon veut confier aux entreprises le soin de négocier le seuil à partir duquel les heures supplémentaires se calculent.

Proposition #2: augmenter encore la TVA pour baisser le coût du travail
Retraité, chômeurs, pauvres et autres précaires, accrochez vous ! La hausse de la TVA version Hollande - moins de 8 milliards par an - ne suffit pas. Fillon veut poursuivre. Vu l'ambition, on peut imaginer une hausse de l'ordre de 15 milliards: "Notre coût du travail est supérieur à la moyenne européenne. Le poids des charges vampirise les marges d’investissement de nos entreprises. Je propose une baisse du cout du travail de 6% financée par une hausse de la TVA."

Proposition #3: supprimer la représentation syndicale dans les entreprises de 50 à 75 salariés.
Car notre code du travail serait "l’un des plus étouffants des pays industrialisés". Fillon reprend l'argument habituel: ce code "dissuade les embauches" et "paralyse les entrepreneurs". Et puisque le passage de 49 à 50 salariés entraine "l’application de 34 législations et réglementations supplémentaires et son montant représente environ 4% de la masse salariale", Fillon a la formule brillante: "Je propose que les seuils réglementaires qui régissent la vie des PME soient relevés de 50%."

Proposition #4: investir là où c'est utile.
C'est l'une de ses propositions simplettes - investir où ça marche. On sourit. On se demande s'il ne s'agit pas d'une critique en creux des précédents investissements sarkofrançais. "Je propose de renforcer les investissements d’avenir en concentrant nos efforts sur les secteurs stratégiques qui feront les ruptures de demain : transports du futur, biotechnologies, robots, économies d’énergie, réseaux d’information à très haut débit…"

Proposition #5. Responsabilité plutôt que précaution...
Fillon est visiblement agacé que le gaz de schiste soit interdit d'exploration. "La peur du risque ne doit pas étouffer le progrès scientifique et industriel. Par précaution, nous avons, par exemple, interdit toute recherche concernant l’exploitation du gaz de schiste". Et il ajoute: "Je propose de changer le principe de précaution en principe de responsabilité."

Proposition #6. Davantage de libéralisme dans les universités et le code du travail.
L'ancien premier ministre enterre encore davantage son image passée de gaulliste social version séguiniste. Fillon 2017 ressemble à Chirac 1986. Il veut davantage une "plus grande liberté" pour les "acteurs du progrès" : il cite les universités, "qui doivent pouvoir être plus libre pour organiser leur fonctionnement, leurs recrutements et leurs enseignements", oubliant de faire le bilan de la précédente et inutile loi Sarkozy sur l'indépendance des facs; il pense surtout aux "partenaires sociaux" (partenaires ?) qui "doivent pouvoir, dans l’entreprise, négocier le temps et les modalités du travail": individualiser au niveau de chaque entreprise la régulation des conditions de travail est ce Grand Retour en arrière que les néo-lib espèrent de leur voeux: un renard libre de négocier avec des poules libres dans un poulailler libéré de toute protection nationale. L'image est belle.

Proposition #7. Le retour du paquet fiscal.
Fillon n'a pas digéré que le paquet fiscal de l'été 2007 ait été finalement supprimé par Nicolas Sarkozy lui-même, à deux mesures près (la défiscalisation des heures sup' et les niches TEPA pour l'ISF). Le voici fustiger cette fiscalité française "lourde et dissuasive" qui "favorise la rente plutôt que l’investissement, la fuite des talents plutôt que l’enrichissement national". Pour "stimuler l’investissement", Fillon "propose la suppression de l’ISF et le renforcement des mécanismes fiscaux permettant d’investir dans nos entreprises." Comme si le produit de l'ISF (3 milliards d'euros par an) ne servait à rien...

Proposition #8: la suppression des indemnités chômage ?
Accordons lui le bénéfice du doute. François Fillon s'est-il transformé en Margareth Thatcher ?
"Nous connaissons un chômage de masse qui se caractérise par une longue durée d’inactivité des demandeurs d’emplois". Le constat est factuel. "Chaque chômeur devrait pouvoir se voir offrir une formation qualifiante pour rebondir". Qu'attend Fillon pour applaudir les formations d'urgence réclamés par Hollande pour 100.000 chômeurs d'ici 2014 ? L'ancien premier ministre enfonce un clou sacrément libéral: "Je propose de réformer la formation professionnelle en remplaçant l’indemnisation du chômage par l’indemnisation de la formation. Ce droit à la formation serait encadré par deux contraintes : la dégressivité des allocations chômage pour inciter à la reprise d’activité et l’obligation d’accepter un emploi correspondant à la formation suivi."

Proposition #9: la suppression du CDI
A gauche, certains ont vu à tort dans la loi de "flexibilité de l'emploi" votée au printemps la suppression du CDI. Il n'en est rien. Mais Fillon veut y remédier: "Je propose la création d’un nouveau contrat de travail alliant flexibilité et sécurité qui évite les effets de rupture entre CDD et CDI."

Proposition #10: la suppression d'un poste de fonctionnaire en retraite sur deux
"Nous sommes l’un des Etats comptant le plus de fonctionnaires au regard de sa population. Ça n’est ni un gage d’efficacité pour les usagers, ni un gage de motivation pour les agents publics." Et d'ajouter : "le nombre de nos fonctionnaires doit revenir à ce qu’il était dans les années 90", quand la population française comptait une dizaine de millions d'habitants de moins... "Je propose de reprendre le principe de ne recruter qu’un fonctionnaire sur deux qui partent à la retraite. "

Proposition #11: simplifier les corps de la fonction publique
"Je propose sa simplification en passant de 300 corps à 20 ou 30 grandes catégories afin de favoriser les évolutions de carrière et la rémunération au mérite." L'histoire ne dit pas pourquoi la chose ne fut même pas évoquée du temps des 10 années de gouvernance de droite. La trouille ?


Propositions #12 et #13: la rigueur dans les collectivités locales
"Je propose que la révision générale des politiques publiques soit étendue aux collectivités locales et que la fusion des départements et des régions, des communes et des communautés de commune soit enclenchée." On se souvient que Nicolas Sarkozy avait eu la trouille de procéder à cette dernière fusion. On sait aussi que l'opposition à la réforme transcende les clivages.


Proposition #14: transformer les chefs d'établissement en chefs d'entreprise ...
Quelle idée ! Sans explication ni évaluation, sans concertation ni pratique, Fillon assène sa vérité: les chefs d'établissements des collèges et lycées auraient "besoin de souplesse pour fédérer leurs équipes autour d’un projet pédagogique commun." L'ode à la souplesse est un cache-misère maladroit et récurrent. "Je propose de renforcer le rôle et l’autonomie des chefs d’établissements du secondaire qui doivent devenir des gestionnaires de leurs personnels enseignants, administratifs, contractuels."

Proposition #15: l'impasse pour les décrocheurs
"Chaque année, 150.000 jeunes quittent le système éducatif sans diplôme et qualification concrète. Il faut agir en amont." Fillon en tire-t-il une quelconque conclusion sur les moyens, le système éducatif ? Non. Il veut juste un test de plus et des classes à part: "Je propose un test d’évaluation à l’entrée en 6e et la création de classes de soutien au collège pour les élèves ne maitrisant pas le socle commun de connaissances."

Proposition #16: professionnaliser l'enseignement ... au collège.
"A niveau du collège, je propose que la diversité des talents et des appétences soit assurée par le renforcement de l’apprentissage et des formations qualifiantes." Pour un peu, il regretterait que l'enseignement soit obligatoire jusqu'à l'âge de 16 ans.

Proposition #17: annualiser le temps de travail enseignant
"Je propose une annualisation de leur temps de travail et l’extension de leur présence dans l'établissement en dehors des cours afin d’assurer des missions de soutien scolaire, d’appui à leurs collègues, de maintien de l’autorité." Comme par miracle, ces missions supplémentaires "doivent permettre une revalorisation des salaires."

Proposition #18: le retour à l'uniforme
Cela coûte un peu, ça fait un peu vieillot, juste ce qu'il faut; ça plairait dans les familles à Rallyes, et ça se verra très vite. Cacher l'aggravation des disparités sociales derrière un uniforme est un autre cache-misère néo-lib conservateur: "Les distinctions sociales ou d’origines doivent s’effacer au profit d’un esprit d’unité. Je propose d’instaurer une tenue uniforme des élèves dont les modalités doivent être définies au niveau de chaque établissement."

Proposition #19: exiger du travail gratuit contre le RSA
C'était la dernière lubie de cette "droite sociale" qui fustigeait "l'assistanat". Contre les 450 euros mensuels du RSA socle, Fillon propose que "l’obligation soit faite pour les bénéficiaires du RSA de participer à un travail d’intérêt général, à hauteur de 7H par semaine."

Proposition #20: contre la fraude sociale
depuis que Sarkozy a quitté le pouvoir, on a appris que le non-recours aux prestations sociales représentait davantage d'argent que l'estimation de la fraude aux allocations. Mais Fillon n'en a cure. Sa seule proposition est de reprendre l'étendard sarkozyste. "Je propose la suspension des prestations sociales pendant un an, hors urgence médicale, après toute fraude aux allocations."

Proposition #21: supprimer les soins gratuits pour les plus pauvres
Dangereuse pour la santé publique, injuste socialement, la mesure est une vieille idée. "Parce que la solidarité et un droit et non un dû sans contreparties, je propose qu’une participation financière minimale soit exigée pour l’accès à la CMU et à l’AME."

Proposition #22: allonger la durée de cotisation et retarder le départ à la retraite à 65 ans
Sur les retraites, Fillon s'abstient d'inventaire. On croyait que Sarkozy avait "sauvé" notre système. En fait, il lui a simplement évité un "crash financier". "Je propose d’augmenter la durée d’activité en jouant à la fois sur une hausse de l’âge légal de départ en retraite qui doit progressivement atteindre 65 ans et une augmentation de la durée de cotisation."

Proposition #23: favoriser la retraite par capitalisation
Fillon a-t-il retenu quelque chose des conséquences du Krach boursier sur les retraites américaines ? Non. Il reprend une idée des libéraux de l'UMP emmenés par Hervé Novelli, qu'il ose qualifier de "sécurisation": "Pour sécuriser le système par répartition, le développement d’un troisième étage de retraite par capitalisation est nécessaire. Je propose la mise en place, au niveau des branches professionnelles et des entreprises, de plans collectifs d’épargne longue et de retraite."

Propositions #24 et #25: étendre les peines planchers
Puisqu'elles sont inefficaces, ... étendons-les ! Qui peut nier que l'insécurité la plus violente n'a qu'augmenté depuis 2002 ? "Une peine doit être prononcée pour chaque délit et chaque peine doit être exécutée. Je propose que le principe des peines planchers soit étendu, comme nous l’avions fait pour les récidivistes et pour les délits aggravés avec violence." Autre variante, limiter les possibilités de libération conditionnelle: "je propose l’interdiction de toute libération conditionnelle tant que le détenu n’en a pas effectué les deux tiers". Tout l'enjeu, pour Fillon comme pour d'autres à l'UMP est de tenter de ré-instrumentaliser la sécurité comme objet de débat politique.


Proposition #26: après le débat sur l'identité nationale, voici celui sur la laïcité dans l'entreprise.
"La crise économique fait ressurgir des tensions et des replis identitaires qui mettent en péril notre pacte républicain." Vous connaissez l'argument, il sent bon Patrick Buisson, Brice Hortefeux et Nicolas Sarkozy réunis.Fillon voudrait être généreux: "C’est la laïcité encore qui permet à la religion musulmane de s’installer dans la République, et non contre elle." Mais comme il faut surfer sur l'affaire Babylou, voici la proposition ad hoc: "Je propose que le débat sur l'application du principe de laïcité dans l'entreprise soit ouvert et que le législateur prenne ses responsabilités."

Proposition #27: des quotas d'immigrés votés au Parlement
On reste coi devant l'inanité de l'idée: nos parlementaires devraient donc voter, d'après Fillon, le nombre d'immigrés à accueillir chaque année. Fillon, au passage, reprend l'argument frontiste: "Aujourd’hui, les conditions économiques et sociales commandent de réduire au minimum le flux de l’immigration". Finies les règles de régularisation, si dures soient-elles. Nous aurons l'arbitraire du quota parlementaire: " Je propose que soit voté chaque année, par le Parlement, le nombre de migrants que nous pouvons accueillir sur notre territoire, les compétences dont nous avons besoin et les régions du monde vers lesquelles nous souhaitons nous tourner."

Proposition #28: supprimer le droit du sol
Autre vieille lubie frontiste: un enfant né de parents étrangers mais en France ne saurait être aussi facilement Français qu'un enfant né en France de parents français. "Pour moi, la citoyenneté est l’expression d’une adhésion à la Nation." Cette antienne, bizarrement, n'est jamais exigée de nombre de racailles gauloises nées sur le sol national. Mais Fillon s'entête, comme un apprenti frontiste: "Je propose de mettre fin à l’automaticité de l’acquisition de la nationalité pour les enfants nés en France de parents étrangers. Il faut que la naturalisation procède d’une manifestation de volonté, pour que chacun comprenne qu’elle comporte des droits et des devoirs."

Proposition #29: supprimer les prestations sociales aux immigrés récents
La mesure est inique - pourquoi exiger d'un immigré légal qu'il cotise sans bénéficier de la Sécu ? Qu'il soit logique au moins: pas de prestations ? Pas de cotisations ! Fillon ose s'abriter derrière des principes: "Notre République pourra se montrer d’autant plus généreuse qu’elle sera ferme sur ses principes." Son idée est aussi dangereuse en termes de santé publique. Elle est aussi directement inspirée du programme de Marine Le Pen: "Parce que chacun doit faire ses preuves, je propose de réserver l’accès aux prestations sociales aux migrants légaux présents depuis plusieurs années sur notre territoire."

Proposition #30 : un noyau dur franco-allemand
Cela ne mange pas de pain, il n'y a pas de fond précis derrière l'idée. Fillon réclame juste ce qui existe déjà, l'argument fiscal en plus: "Au cœur de l'Europe, je propose la création d’un noyau dur autour de la France et de l'Allemagne qui doivent faire converger leurs économies et leurs fiscalités."

Proposition #31: pour un gouvernement économique de la zone euro
Ils sont tous d'accord, ou presque. Sarkozy, Merkel, Hollande, Mélenchon, et voici Fillon. Il faudrait que la zone de cette monnaie commune gouverne plus collectivement. C'est dit, mais venant d'un ancien premier ministre de la France, on comprend que cela n'engage à pas grand chose. "Il n’est plus tenable que les pays de l’euro soient unis par une politique monétaire commune et désunie dans leurs stratégies économiques." Et d'ajouter: "Je propose que la zone euro soit dotée d’un véritable gouvernement économique dirigé par les chefs d'Etat et de gouvernement." Fillon précise ce qu'il attend: ce gouvernement "devra également fixer un agenda précis pour harmoniser, dans la zone euro, les règles fiscales et le droit du travail."

Proposition #32: fusionner les postes de présidents de la commission et du Conseil européen.
L'Europe se gouverne à 28. On laissera Fillon expliquer comment il s'y prendra mais la mesure fait sens: "je propose la fusion du Président de la Commission européenne et du Président du Conseil, et la mise en place d’un haut responsable des finances ayant pouvoir d’assurer un contrôle sur les pratiques des Etats concernés."

Proposition #33: de la réciprocité européenne, voeux pieux ?
"L’Union européenne doit être une place Forte qui sache mieux défendre ses intérêts et protéger ses frontières." On applaudit. Alors Fillon a l'idée magique: "Je propose l’instauration de règles strictes de réciprocité dans les échanges internationaux, notamment les marchés publics."

Proposition #34: créer une TVA européenne
On se pince, mais c'est écrit. Fillon réclame un peu de protectionnisme européen via ... une augmentation de la TVA: "Je propose d’étendre le modèle de nos investissements d’avenir au niveau européen, notamment en le finançant par une TVA aux frontières de l’Union."

Proposition #35: bienvenue à Poutine !
Pourquoi cette lubie ? Fillon termine sa courte longue liste de propositions par une ode à un rapprochement avec la Russie de Poutine... "Nous devons établir un partenariat stratégique avec les grands voisins de l’Europe, notamment la Russie." Les enjeux ne sont pas explicités, il y a du gaz là-bas. Qu'importe les Femens, les Tchétchènes ou les Pussy Riots ! "La Russie n’a pas vocation à entrer dans l’Union, mais je propose de travailler à structurer un partenariat politique et économique entre l’Europe et la Russie pour peser face au continent asiatique."

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