L’été, traditionnellement, c’est la saison des mariages. Depuis l’âge de 15 ans, je suis chef de chœur dans mon village d’origine. Et, durant des étés entiers, ma chorale a été mobilisée pour animer des mariages, pour éviter que les jeunes mariés se retrouvent avec une mamie esseulée à l’orgue en guise de fond musical. C’est vrai que mon chœur est un peu funky, à base de guitares folk, percus et accordéon (oui, rigolez, mais le résultat est assez chouette). Bref, j’ai dû animer une soixantaine de mariages religieux dans ma vie.
Ce qui habille vraiment une cérémonie de mariage religieux dans la tradition catholique, outre Qu’il est formidable d’aimer, Tenir une lampe allumée et Toi qui aimes ceux qui s’aiment (trois cantiques dont je ne veux pas entendre parler dans l’éventualité où je me marie un jour), c’est la marche nuptiale. Je crois que ça existe dans toutes les traditions d’union religieuse, mais dans la tradition chrétienne, c’est vraiment l’accomplissement du rêve de princesse de toutes les petites filles. Donc il faut la musique grandiloquente pour faire, au choix, baver ses copines encore célibataires ou faire chier sa belle-mère.
Il existe ainsi plusieurs sortes de marches nuptiales
Les traditionnelles
Les marches nuptiales issues de la musique classique marquent l’aspect pompeux que peut revêtir l’union de deux êtres. En gros, ces morceaux semblent signifier : nous sommes heureux et nous allons vous cracher notre bonheur à la gueule, avec une débauche d’effets spéciaux (grande et respectable église, investissement dans la robe, les petits fours, les cartons d’invitation…). Il faut dire qu’un mariage avec une marche nuptiale autre qu’à l’orgue ou avec un lecteur CD est synonyme de haut-rang social. Donc autant en foutre plein la gueule, hein.
Felix Mendelssohn, Marche nuptiale
Composé en 1843 pour l’illustration sonore d’une mise en scène du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare – d’ailleurs, l’œuvre dont il est tirée est Songe d’une nuit d’été, opus 61 –, le morceau devient très vite un must-have du mariage socialite. En effet, il est utilisé dès 1858 pour la mariage de la princesse Vicky d’Angleterre, première fille de la reine Victoria, avec le prince Frédéric de Prusse. Sa popularité actuelle vient de son utilisation dans une version ciné de la pièce shakespearienne en 1935. Et au début où j’assistais à des mariages, c’était LE truc à savoir jouer pour les organistes.
Richard Wagner, Chœur des fiancailles
Ce morceau ouvre le 3e acte de l’opéra Lohengrin, composé en 1850. Dans le contexte, le chœur intervient après le mariage de Lohengrin avec Elsa, au moment où ils entrent dans la chambre nuptiale. C’est devenu la marche nuptiale de base pour l’entrée des mariés dans l’église dans les pays anglo-saxons – peut-être à cause du titre. C’est surtout le thème utilisé pour illustrer les mariages dans toutes les séries américaines, d’où sa popularité actuelle.
Johannes Sebastian Bach, Jesus bleibet meine Freude
Morceau popularisé en français par Jésus, que ma joie deumeure, il est le dixième et dernier air de la cantate Herz und Mund und Tat und Leben (Le cœur et la bouche et l’action et la vie), présenté en juillet 1723 à Leipzig pour la fête de la Visitation de la Vierge. Moins théâtral que les deux œuvres précitées – du fait de la retenue toute classique de Bach qui tranche avec la flamboyance romantique de Mendelssohn et Wagner –, cet air s’accorde davantage avec des mariages plus chics et moins pompeux que les mariages où prédominent les deux marches nuptiales précédentes.
Les nouvelles
Comme j’ai vu passer une transition entre la lecture de saint Paul aux Corinthiens (Si je n’ai pas d’amour, je ne suis rien de plus qu’un métal qui résonne ou qu’une cymbale bruyante.) et du Cantique des Cantiques (Mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui) lors des cérémonies religieuses, au début des années 2000, il y eut une transition dans les marches nuptiales. Etant donné qu’on se marie davantage pour faire plaisir à mémé que pour le folklore, on souhaite une messe qui nous ressemble. Et donc une chanson qui symbolisera au monde entier l’amour qui unit les deux êtres. Florilège des chansons les plus jouées en marche nuptiale :
Lisa Gerrard, Now we are free
Titre phare de la bande originale de Gladiator (2000), composée par Hans Zimmer, et portée par l’immense voix de la chanteuse de Dead can Dance, cette chanson est un choix privilégié pour les marches nuptiales des nouveaux couples que je marie. Si le choix est judicieux, de part l’aspect à la fois méditatif et très inspiré de la mélodie, je dois avouer que je ne serais pas contre un peu de changement dans la tracklist. J’aime beaucoup Lisa Gerrard, mais je n’aimerais pas non plus la maudire éternellement du fait d’avoir trop entendu cette chanson.
Era, Ameno
Autre chanson de prédilection des couples qui n’ont pas d’inspiration lorsqu’il s’agit d’entrer cérémonieusement dans une église, cette chanson entre inspiration mystique et médiévale plante un décorum tout à fait intéressant. Là aussi, je me suis lassée d’entendre Era, alors que, finalement, j’avais trouvé très judicieuse la bande originale que le groupe avait faite avec pour les Visiteurs :
Foreigner, I Want to Know What Love is
Sorti en 1984, ce slow a entamé beaucoup de cérémonies religieuses que j’ai animées au début des années 2000, notamment poussée par la reprise de Tina Arena en 1998 :
Mais, personnellement, je préfère la version originale. En gros, cette chanson symbolise exactement l’idée que je me fais d’une marche nuptiale new look, à savoir une chanson qui parle au couple et qui prouve la légitimité des serments qui seront échangés.
Palme de l’originalité
Lully, Le Bourgeois Gentilhomme – Marche pour la cérémonie des Turcs
Pourquoi la palme de l’originalité ? Parce que, mis à part une adaptation pour grandes orgues au mariage d’un pote médiéviste en 2007, je n’ai jamais entendu ce morceau en tant que marche nuptiale. Et c’est justement ce détournement que j’ai aussi apprécié dans ce mariage. Au départ, je me suis dit : Putain, il est gonflé d’avoir choisi du Lully pour rentrer dans l’église ! Et puis, connaissant le couple de potes qui se mariait depuis la faculté, je me suis dit que c’était une belle tentative de personnalisation de leur cérémonie. Donc bravo.
Si ça ne tenait qu’à moi
Ruyichi Sakamoto, Merry Christmas, Mr Lawrence
Je suis obsédée par la version originale du morceau depuis quasiment ma naissance, étant donné que Furyo, dont le morceau est le thème principal de la bande originale, est sorti en 1983 :
Un morceau très Jean-Michel-Jarrien qui n’a pas manqué d’inspirer ma maman en temps voulu.
Et puis j’ai découvert cette version unplugged datant de 1996, et je me suis dit de suite que ce serait le morceau parfait pour imposer le respect de l’assemblée devant l’engagement que je prends avec l’éventuel élu de mon cœur – oui, parce que comme je suis très religieuse, le mariage est pour moi un sacrement de Dieu, je précise.
Turlough O’Carolan, Sidh Beag agus Sidh Mor
J’ai découvert ce morceau par une harpiste, Violaine Mayor, il y a une dizaine d’années. Il a été composé par un des derniers grands harpistes professionnels irlandais (1670-1738). Comme beaucoup de morceaux de harpes, celui-ci a été adapté à la guitare (comme vous pouvez le voir ici). Si j’avais à rappeler pour ma cérémonie de mariage la culture celtique de la terre où je suis née, ce serait avec ce morceau qui, lui aussi, impose la paix et le respect.
L’évolution des cérémonies de mariages n’a pas échappé à la grande marieuse que je suis. Si l’on se marie moins, parce qu’on s’emmerde moins à vouloir vivre toute une vie avec la même personne, cela reste quand même un engagement très fort. Raison de plus pour bien choisir la bande-son du plus beau jour de sa vie.