Et le mois d’août est là. L’entreprise France est à présent fermée, les lumières éteintes et les machines bâchées : les employés sont en vacances, les patrons sont partis, et le panneau à l’entrée indique « Fermeture annuelle – Réouverture en fin de mois ». Le pays peut maintenant s’assoupir. Pour des raisons d’apparat, le patron se refuse à la totale vacance du pouvoir, au contraire de l’année passée (cela avait fait jaser), ce qui est, si on y réfléchit deux secondes, bien dommage puisque plus les ministres sont présents, plus les dégâts s’accumulent. Cette année donc, les ministres resteront joignables. Surtout Manuel Valls.
Eh oui : le petit Manuel n’a pas perdu le Nord ni de temps pour profiter de son « insolente » cote de popularité. Bien sûr, je ne parle pas de ses 5% récoltés lors d’une primaire socialiste mollassonne qui donna le ton de ce que serait, finalement, la présidence future, mais bien de son actuelle réputation dans la population française, au travers de ce que les médias en disent. Et la bonne humeur est en effet de rigueur pour lui puisque selon un sondage IFOP pour le JDD, 47 % des Français pensent que Manuel Valls ferait un « bon Premier ministre » … Ou en tout cas, meilleur que l’actuel, ce qui n’est pas dur : qu’il montre plus d’autorité ou de poigne qu’Ayrault semble assez facile à admettre tant le niveau a été fixé bas par l’actuel intermittent du spectacle à Matignon.
Et le voilà donc lancé dans le délicat exercice d’équilibriste entre d’un côté son ambition d’être appelé « aux plus hautes fonctions du pays », c’est-à-dire, en substance, remplacer Ayrault, son actuel patron, et de l’autre, l’obligatoire loyauté qui lui évitera les embuscades et les pièges tant du côté du président que du côté de toute la hiérarchie socialiste qui n’attend qu’un faux pas du ministre pour le laisser tomber, son ascension trop vigoureuse en agaçant plus d’un. Mais pour le moment, popularité oblige, il reste à l’abri d’un mouvement d’humeur politicien.
À bien y réfléchir, on se demande ce qui justifie cette notoriété positive pour le ministre de l’Intérieur.
Bien sûr, il aura su utiliser un bel organe, sa voix, pour montrer à quel point il savait faire preuve d’autorité. Rien de tel que déclarer, au su et au vu de tous ceux qui comptent (journalistes, surtout), que « La sécurité n’est ni de droite ni de gauche ». Cela flatte avantageusement son image lorsqu’il déclare, je cite :
« Nous vivons une crise de l’autorité. La voix des parents, de l’enseignant, du juge, du policier, de l’élu est trop souvent contestée. Il faut restaurer pleinement l’autorité. Les relations entre les forces de l’ordre et la population doivent être des relations de confiance. »
Eh oui, ma brav’dame, mon bon môssieu, il n’y a plus de saisons, les jeunes sont de plus en plus indisciplinés et les petits insolents répondent quand on s’adresse à eux, les filous ! Pour une population qui voudrait bien qu’on règle les problèmes de sentiment d’insécurité, et de préférence, autrement qu’en les passant sous silence, ces petites saillies ministérielles sentent bon la détermination et le petit mouvement de menton vers le haut. De ce point de vue, il semble bien que le peuple, et d’autant plus l’image qu’on peut avoir de lui par les médias, oublie très vite ses précédentes erreurs. Parce que concrètement, le Manuel laisse autant songeur que son illustre prédécesseur auquel il fait penser ; par exemple, concernant les émeutes de Trappes, il déclare fermement …
« Ceux qui continuent à prôner le port du voile intégral dans l’espace public défient les institutions. L’islam de France doit être plus fort. Aujourd’hui il y a trop d’espace pour ceux qui le contestent, mais contestent aussi la République. »
… ce qui se traduit par « Des gens font des choses interdites et contestent la République. Je ne suis pas content. » ; on avouera qu’une fois sortie de sa gangue de novlangue politicienne, l’appel à une action, quoi qu’elle puisse être, est ici si diaphane qu’on n’en voit pas le début d’une. Impression de gros brassage d’air chaud d’ailleurs confirmée par la suite lorsqu’il déclare :
« Après les oppositions permanentes entre les Français, après les amalgames ou encore après l’affrontement entre la police et la justice, il faut tout reprendre. »
Reprendre où ? Comment ? Pourquoi ? Avec qui ? Dans quel contexte ? Questions palpitantes que nos folliculaires se seront empressés de ne pas poser, sachant probablement que les réponses seraient aussi vides que le reste. À l’évidence, de la même façon que ces mêmes médias construisirent en Sarkozy un volontaire déterminé, alors qu’il ne fut qu’une girouette ébouriffante de moulinets oratoires impuissants et creux, de la même façon que les médias firent et défirent l’opinion du peuple vis-à-vis du précédent président, tout indique qu’ils nous rejouent la même partition usée pour le petit Manuel : lentement mais sûrement, ils nous brossent avec l’actuel ministre de l’Intérieur le portrait d’un homme à poigne, d’un type qui, s’il sait manier un peu mieux la discussion et le consensus qu’un Sarkozy décidément trop rentre dedans, n’en demeure pas moins audacieux et décidé. En gros, avec Valls, ça va swinguer.
Et voilà donc que les articles s’enchaînent pour nous présenter un Manuel de combat qui « enclenche la seconde » — ce qui est d’autant plus facile qu’il suffit de laisser remonter à la surface l’une ou l’autre crapulerie, ignominie banale ou déroute sociale habituelle dans ce pays pour qu’immédiatement le ministre puisse se mettre en scène. Mieux encore, on aura tôt fait, toujours dans les mêmes médias, de rapporter les propos critiques (forcément et férocement critiques) de l’opposition, de préférence portés par n’importe quelle gourdasse fade, pour le présenter, par contraste, comme une solution crédible aux problèmes de sécurité et d’autorité français. Pour une NKM dont seule la campagne parisienne justifie encore qu’on puisse vaguement parler d’elle, surtout dans ces mois d’été, pas de doute :
« Le problème, c’est que Manuel Valls, il parle beaucoup, beaucoup. »
Oui, c’est exact, il fait finalement la même chose qu’elle : parler, parler beaucoup. Et comme les journaux se font un devoir de nous rapporter les petits couinements, les gros borborygmes et les vagissements inutiles de ces politiciens, la politique française n’est plus qu’une étable bruyante remplie de ces mugissements bêtes d’animaux de foire au vocabulaire de plus en plus étroit. NKM, ministre sous Sarkozy, parfait inutile d’un quinquennat perdu, reproche le manque d’action de Valls, ministre remuant d’un président incompétent, perdu et mollasson dont la plus belle occupation semble être de regarder les trains (de la SNCF et de l’économie) dérailler en broutant l’herbe verte d’un château élyséen sagement assoupi.
Pire : lorsqu’il s’exprime sur autre chose que les petits tracas sécuritaires français, c’est pour sortir les mêmes appels à vengeance judiciaire contre les impétrants qui pensent mal, qui utilisent leur liberté d’expression pour être trop libres, et pour ajouter au bruit ambiant ses propres rodomontades de pandore de location.
Finalement, Valls est un socialiste comme les autres : il en a les mêmes réflexions, les mêmes tics. Il a la même foi chevillée au corps que l’action politique, essentiellement celle de ses muscles buccaux, pourra résoudre des problèmes qui ont tout à voir avec cette foi si mal placée. Il a les mêmes penchants pour le vide bruyant, l’inaction énergique finement médiatisée, qu’un précédent essai dont les résultats, parfaitement nuls, donnent déjà une excellente estimation de ce que vaut l’actuel ministre de l’intérieur : rien.