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Les fantômes de la mémoire vous racontent la Shoah

Par Mbertrand @MIKL_Bertrand

 

Notre société contemporaine a peur. Face aux doutes et au manque de perspective sur l'avenir, elle se bloque sur un présent omniprésent, quand elle ne se retourne pas d'ailleurs vers un passé fantasmé.

Cette constatation est celle de l'historien François HARTOG dans son étude sur les régimes d'historicités (réédition : Le Seuil, 2012) visant à expliquer les rapports qu'ont entretenu les hommes avec le temps. Il en arrive à la conclusion que nos sociétés contemporaines sont engluées dans ce qu'il a appelé "le présentisme". 

Régimes d'historicité
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Cette thèse a trouvé une nouvelle application dans la sauvegarde des témoignages des survivants du génocide des Juifs d'Europe qui constitue l'une des entreprises mémorielles les plus révélatrices de ce phénomène.

Depuis plusieurs décennies, le régime nazi s'est en effet imposé en Occident comme l'incarnation absolue du Mal dont il serait indispensable d'entretenir le souvenir afin de se protéger d'un éventuel retour insidieux. L'édition et la réédition de témoignages, de documentaires, de films, l'entretien de sites et monuments accueillant de multiples commémorations, la création de projets mémoriels tels qu'Aladin ou la Shoah Foundation Institute for Visual History and Education de Steven Spielberg, les dizaines de concours organisés chaque année... contribuent continuellement à notre actuel régime d'historicité.

Afin de moderniser ce phénomène (à défaut de pouvoir l'actualiser), l’ITC (Institute for Creative Technologies) et la Shoah Foundation Institute ont mis au point un nouvel outil promis à un bel avenir : modéliser les survivants encore en vie sous la forme d’hologrammes interactifs.

Techniquement, ces témoins ont enregistrés des heures d'interview supposées répondre aux questions récurrentes des élèves et visiteurs des musées.


Si l'idée peut se défendre d'un point de vue pédagogique et muséographique, elle n'est pas sans poser question d'un point de vue historiographique.

Tout d'abord, cette entreprise témoigne d'une appréhension toujours plus grande face à la disparition progressive des survivants de cet évènement qui occupe une place centrale dans notre système mémoriel. A défaut de témoins, certains se demandent si nos sociétés seront suffisamment armées pour continuer à défendre la mémoire du génocide des Juifs d'Europe contre un éventuel regain d'attaques négationnistes.

Ensuite, la forme même de ce projet interroge sur les modalités mémorielles du souvenir de la déportation. Par l'enregistrement et la reconstitution virtuelle du corps et de la voix des survivants en 2013, ce n'est pas seulement la mémoire du génocide des Juifs que nous conservons, mais bien la mémoire du génocide des Juifs au moment de l'enregistrement. Par cette technique, le témoignage est en quelque sorte sanctuarisé alors que  de nombreuses études ont montré à quel point le processus de remémoration pouvait être sujet à de multiples variations.

Enfin, bien que l'objectif initial soit de conserver le témoignage dans sa forme la plus pure, l'usage d'hologrammes n'est pas neutre. Il implique la mise en scène d'un témoin âgé, à la voix fragile, que l'on ne peut pas interrompre, et qui semble issu d'un autre temps. Tout ceci contribue à entretenir une forme de respect et d'émotion inhérente à la mémoire.

Si les nouvelles technologies nous permettent donc désormais de conserver plus longtemps les traces du passé, il convient de pouvoir réfléchir et discuter de ces nouvelles potentialités au même titre que pour la biotechnologie. Les historiens ne peuvent a priori que se réjouir de la multiplication des sources qui leur permettront plus tard de mieux écrire l'histoire. Cela ne sera cependant possible qu'à condition qu'une réflexion soit menée sur la valeur de ces documents que nous produisons pour la postérité et qui répondent dans le cas présent davantage à des objectifs mémoriels qu'historiques.


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