Bon, après les minauderies cucul la praline de Frédéric
Martinez (je vous en parle demain), il fallait que je retourne à la source, que
je replonge dans cette littérature américaine cradingue que j’aime tant. En
dernière page, parmi une tripotée de remerciements, on peut lire ceci :
« Merci à Donald Ray Pollock pour son amitié, son soutien et ses
conseils. » Sûr que Frank Bill doit beaucoup à Pollock. Même ambiance de
fin du monde dans l’Amérique des paumés, au sud de l’Indiana. Mêmes trouduc
alcooliques et violents, accros aux méthamphétamines et vivant dans des mobiles
homes entourés de carcasses de bagnoles. Tous voleurs et escrocs à temps partiels,
ivrognes à temps plein. Ils ont les cheveux sales, le « regard vide, comme
dépouillé de toute étincelle de vie par un dieu qui ne [sait] dispenser que la
souffrance. » Ici, on trouve « des couples où les hommes à l’haleine
chargée de bière ne savent caresser leur femme qu’à coup de poing, leur offrant
généreusement ecchymoses violettes, boursouflures rouge vif et os
fracturés. » Ici, ce n’est qu’ « hommes et femmes d’un certain
âge aux mains devenues calleuses à force de trimer pour survivre, et qui aspirent
au carnage. »
Dix sept nouvelles en tout où l’on découvre des chasseurs de
ratons laveur, des organisateurs de combats de chiens, des dealeurs à la petite
semaine, des junkies prêts à tout pour se payer leur dose, des femmes aux mœurs
foutrement dépravées. C’est l’Amérique profonde des rednecks où l’on n’hésite
pas à enfermer dans un sac un nourrisson né dans l’adultère pour le balancer à
la rivière comme un chaton dont on veut se débarrasser et où les rancœurs
séculaires entre voisins se terminent dans un bain de sang. Certains
personnages se retrouvent d’une nouvelle à l’autre et donnent un semblant de fil
conducteur à l’ensemble. Il faut dire que ce monde est tout petit et aux mains
de quelques clans. Autre point commun entre ces textes, ils se terminent
systématiquement mal, l’espoir n’ayant aucune raison d’être ici-bas.
Âme sensible s’abstenir, un recueil aussi brutal vous secouera forcément. L’écriture est sèche comme un coup de trique, très visuelle. Frank
Bill va à l’essentiel, il ne s’embarrasse pas de superflu et ne donne pas dans
le gratuitement vulgaire. Chienne de vies s’est vu décerner le titre de
meilleur polar de l’année par le magazine Lire du mois d’avril. Je ne vois pas
bien en quoi c’est un polar mais on s’en fout un peu. Sachez juste que ça
dépote sévère et qu’on en sort pas indemne. Autant dire que j’ai adoré.
Chiennes de vies : chroniques du sud de l’Indianna de
Frank Bill. Gallimard, 2013. 248 pages. 21 euros.