Un épais rideau de pluie en barre l’accès.
Free jazz, du musicologue allemand Ekkehard Jost dans la collection Contrepoints aux éditions Outre Mesure, collection, signe avenant, où se trouve un ouvrage de Derek Bailey sur l’improvisation.
« Il est extrêmement rare que le lien de causalité entre le génie individuel et le progrès musical – lien devenu endémique au sein d’une histoire du jazz dévouée au culte de la personnalité –, rende justice au réseau d’interdépendances qui conduit à la création d’une nouvelle tendance stylistique. »
Il y a quelque chose d’assez fascinant dans ces émergences magnifiques liées à un lieu et un moment.
Souvenir du Tolstoï ou Dostoïevski de Georges Steiner : « Si nous faisons exception pour les Ames mortes de Gogol (1842) Oblomov de Gontcharov (1859) et la Veille de Tourgueniev (1859), la grande époque du roman russe s'étend de l'émancipation des serfs, en 1861, à la révolution de 1905. Pour la puissance de création et la persistance du génie, ces quarante-quatre années peuvent légitimement se comparer aux âges d'or de l'Athènes de Périclès et de l'Angleterre d'Elisabeth et de Jacques 1er. »
Quelque chose de ce qui soufflait là-bas alors a dû circuler du côté des cinéastes Polonais entre la fin des années 50 et le début des années 70 ou encore sur le Brésil prêt à réaliser le miracle de la Bossa-Nova.
Dans l’exact prolongement de la citation précédente :
« Il reste que certains musiciens illustrent mieux que d’autres tel ou tel bouleversement. »
Découpé en chapitres portant chacun sur un musicien – à l’exception d’un sur l’école de Chicago – le livre illustre la tension entre la description d’un phénomène musical qui est l’affaire d’une génération et ce que l’auteur voit dans ce phénomène : « La variabilité de ses principes de base est inhérente au free jazz. Mieux, chaque musicien ou groupe met en œuvre ses propres principes. […] Rudolf Stephan a évoqué à propos de la musique d’avant-garde en Europe, l’absorption du "musicalement universel" par le "musicalement particulier" »
Conséquence inattendu de cet aspect émancipateur, libérateur – free – : « L’un des traits frappants du jazz en Europe ces dernières décennies [le livre est écrit en 1974] fut de reproduire, avec plus ou moins de retard, les styles forgés par les musiciens américains. Dans l’ensemble, l’imitation a prévalu sur l’innovation. […] On peut aussi poser que le free jazz a libéré les musiciens européens non seulement des critères de la tradition du jazz, mais aussi de la tutelle du jazz américain dans son ensemble. »
Plutarque met en parallèle les vies de Lycurge et Noma (respectivement législateur spartiate et second roi de Rome) et apparaît dans le récit quelque manière de ce benchmarking dont on devrait la moderne systématisation à Xerox (mais il parait douteux que le marchand de photocopies soit le créateur de l’original).
Lycurge, « tel un médecin qui compare à des corps en bonne santé ceux qui sont malsains et malades […] voulait, dit-on, comparer à la vie simple et austère des Crétois le luxe et la mollesse des Ioniens, et observer la différence de leurs mœurs et de leurs constitutions. »
Poursuite de la métaphore médicale pour cette fois l’apologie du remède tabula rasa de cheval : « A son avis, des lois isolées n’auraient aucun effet et aucune utilité, si, comme pour un corps vicié, accablé de maladies de toutes sortes, il ne détruisait pas l’équilibre existant pour le transformer complètement à force de remèdes et de purges, et inaugurer un régime tout à fait nouveau. »
Lycurge est aussi loué pour avoir introduit un équilibre des pouvoirs en ceci qu’il place entre le roi et le peuple une assemblée d’Anciens. Les excès de l’un et de l’autre conduisant potentiellement à la tyrannie où la démocratie vues l’une et l’autre comme également porteuses de désordre d’excès soit, pour finir, de misère et de décadence.
Cette défiance vis-à-vis du peuple et de la démocratie a de quoi choquer le contemporain pour lequel le premier responsable de l’Etat n’est en quelque sorte, que l’exécutant de la population – en fait la simple majorité souvent fantasmée comme une totalité.
Il n’est pour autant certain que nous soyons débarrassés de l’idée de chef. La récurrence d’accusations sur le manque de cap, de vision, d’autorité, d’esprit de décision traduit peut-être quelque chose comme un manque de « la nature d’un chef et l’énergie qui entraîne les hommes ».
Une dernière pour la route en pensant aux dorures qui abritent les débats de nos assemblées d’élus : « Selon Lycurge, un édifice, loin d’aider aux délibérations, représente une gêne : ceux qui se réunissent risquent d’avoir des pensées frivoles et de se laisser distraire par de vaines préoccupations si, quand ils sont à l’assemblée, ils voient des statues, des inscriptions, des décors de théâtre, ou des plafonds décorés avec un luxe excessif. »
Spartiatement vôtre.