1875, à Montepuccio, un petit village du Sud de l’Italie, un homme revient, lentement, sur son âne, après quinze ans d’absence. Un bandit, qui a maintenant l’audace de revenir sur les lieux de ses méfaits. Il laisse derrière lui un enfant issu d’un viol : Rocco Scorta Mascalzone. Rocco devient un criminel si redouté que son père passe pour un enfant de choeur: il tue, il vole, il sème la peur et la violence autour de lui. Il étend son empire sur toute la région. Lorsqu’il revient s’installer dans une belle demeure à Montepuccio, tout le monde sait que sa richesse est le fruit de ses crimes. Il est leur punition, dit-il. L’opprobre incarnée. Mais depuis qu’il s’est marié et installé, même s’il n’inspire que terreur aux villageois, le calme est revenu à Montepuccio. A sa mort, il décide de tout léguer à l’église: sa femme et ses trois enfants vivront dans la pauvreté. Les Scorta sont donc livrés à eux-mêmes. Ils n’ont rien à attendre d’une population pour qui ils représentent les enfants du diable. Que faire alors? Partir pour New York, comme tous ceux qui n’ont plus de vie en Europe? Les Scorta vont se construire à la force du travail et de la persévérance, sur la terre brûlée de l’Italie.
Difficile de résumer sans le déflorer ce roman qui dépeint une saga familiale sur plusieurs générations, sans vraiment de ligne directrice à part montrer comment chacun trouve sa voie et survit pour chercher à s’accomplir dans cette lignée maudite. La vieille Carmela, qui a vu passer tous ces Scorta, commente, explique, fait revivre ses souvenirs. Le monde avance, le monde vit, mais rien ne semble pouvoir ébranler le petit village sous son soleil de plomb. Veiller à ce que chaque Scorta ait des funérailles de prince, monter de toute pièce un commerce à partir de rien, obtenir la main de la fille que l’on aime, rassembler toute sa famille autour d’un repas gargantuesque, apprendre à son neveu le métier de contrebandier, la voilà la vie des Scorta: est-ce la famille, l’argent, l’amour qui leur apportera le bonheur? Chacun a sa réponse, mais malgré les noms qui changent et le temps qui passent, tous restent des Scorta, avec ce qu’ils peuvent en retirer comme fardeau et comme fierté.
On tourne donc les pages mécaniquement, comme attiré par cette chaleur qui s’en dégage, comme si l’on était dans l’un de ces films mafieux ou dans l’une de ces sagas d’autrefois. Il y a quelque chose de Sergio Leone, quelque chose de Pagnol aussi, dans ces gens du Sud qui subissent et revendiquent l’attachement à une terre, à un sang, à soi-même. Ce roman crée une ambiance à la fois lente et brûlante, au-delà de la morale et de l’intrigue. On ne peut s’empêcher de s’attacher à ces enfants qui recréent une famille à partir de rien et qui la font perdurer encore et encore. Ce roman est puissant, riche, sans qu’on puisse vraiment expliquer pourquoi.
La note de Mélu:
Un très beau roman.
Un mot sur l’auteur: Laurent Gaudé (né en 1972) est un auteur français, lauréat du Prix Goncourt des lycéens en 2002 avec La Mort du roi Tsongor, et du Prix Goncourt en 2004 avec Le Soleil des Scorta. D’autres de ses oeuvres sur Ma Bouquinerie:
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