Lire des romans policiers est pour moi assez exceptionnel mais je ne boude pas le plaisir d’en découvrir un de temps à autre. Je viens de terminer « L’arc en ciel de verre » de James Lee Burke que je connaissais de nom pour avoir vu l’excellent film « dans la brume électrique » que Bertrand Tavernier a tiré d’un de ses livres. Découverte pleine de retentissements.
Nous sommes en Louisiane, dans le comté de New Ibéria. La nature assez particulière de cette région de bayous participe à rendre déliquescente l’atmosphère de ce livre, où les canaux , les brouillards, les marécages constituent la « peau » du paysage. Les multiples bras d’eau semblent emprisonner une végétation toujours entre effervescence et décomposition à l’image de la population de ce bout d’Amérique. C’est dans ce comté qu’ont été assassinées des jeunes filles à peine sorties de l’adolescence. Dave Robicheau, surnommé « Grand Homme » par ses proches, adjoint au shérif, mène l’enquête aidé par son ami, Clete Purcel, un « privé » ancien collègue qui selon les cas trouve dans l’alcool un stimulant exacerbant sa réactivité, pas toujours à propos, ou une consolation contre les misères de ce monde.
La recherche des meurtriers les amène à pister et affronter une bande de malfrats dont la noirceur d’âme est inversement proportionnelle aux idées généreuses qu’ils affichent. Au centre de tous ces suspects potentiels, la famille Abélard. Le doyen Timothy est la « synthèse » d’une lignée qui s’est illustrée et enrichie par l’exploitation des esclaves puis des populations démunies. Le rejeton Kermit, falot et néanmoins pervers, clôt cette descendance d’individus sans scrupules. Par malchance pour Dave, sa fille Alafair est amoureuse de cet être peu reluisant.
S’ensuivent quelques rebondissements, sans quoi un policier ne serait pas un policier, et un final plein de suspens.
On ne peut pas réduire ce livre à sa simple dimension polar car il est bien plus que cela : un vrai concentré d’une humanité qui oscille tantôt vers le bien, tantôt vers le mal selon le personnage sur lequel le regard de l’auteur se porte. Dave et Clete sont pétris de sentiments loyaux, de désir de vérité et d’une farouche volonté de faire valoir les droits de tous les opprimés. Ils ont face à eux un échantillon d’hommes tous plus abjects les uns que les autres pour qui la vie d’autrui ne compte pas.
Dave, qui évolue dans cet environnement depuis toujours, est sensible à cette nature généreuse faite de chênes verts, de fleurs d’oreilles d’éléphants, de micocouliers, d’herbe scie, de gommiers, de cyprès, de jacinthes flottantes, de plaqueminiers, de senteurs d’eau, de fleurs, de pluie, de ponts mobiles… Tout cela pourrait composer un décor luxuriant mais la main et les appétits de l’homme ont corrompu ce milieu dans lequel une population métissée se maintient difficilement, dominée par une petite oligarchie fortunée affiliée à des groupes mafieux. On peut voir dans cette nature une métaphore du monde tel qu’il est.
Ce livre est donc une plongée réussie dans un monde qui semble s’enfoncer dans les eaux boueuses du bayou, un monde « mélange particulier d’addiction, de prostitution et de vie normale d’ouvriers, devenu caractéristique de l’Amérique profonde » où le crime n’est qu’un moyen parmi d’autres pour parvenir à ses fins ; un monde que nos deux protagonistes affrontent avec courage et détermination.
C’est aussi une très belle ode à l’amitié, celle indéfectible, qui lie ces deux hommes qui s’épaulent et se protègent mutuellement. C’est l’aspect le plus touchant de ce livre qui par ailleurs dépeint plutôt la violence et la cruauté.
Le style de Bruce Lee Burke est plein d’images humoristiques, de descriptions de personnages bien frappées, de dialogues corrosifs et truculents : « Rien qu’ton ventre et ton cul, ça doit peser trois cents livres. Comment tu poursuis les gens, avec un poids pareil ? Tu dois faire des trous dans le trottoir. T’es Jurassic Park arrivé à New Iberia » (un « gosse » à Clete).
Une très bonne lecture et une envie de retrouver Dave et Clete sur d’autres « affaires ».
Annie du B.
L’ARC EN CIEL DE VERRE de James Lee Burke
Lire des romans policiers est pour moi assez exceptionnel mais je ne boude pas le plaisir d’en découvrir un de temps à autre. Je viens de terminer « L’arc en ciel de verre » de James Lee Burke que je connaissais de nom pour avoir vu l’excellent film « dans la brume électrique » que Bertrand Tavernier a tiré d’un de ses livres. Découverte pleine de retentissements.
Nous sommes en Louisiane, dans le comté de New Ibéria. La nature assez particulière de cette région de bayous participe à rendre déliquescente l’atmosphère de ce livre, où les canaux , les brouillards, les marécages constituent la « peau » du paysage. Les multiples bras d’eau semblent emprisonner une végétation toujours entre effervescence et décomposition à l’image de la population de ce bout d’Amérique. C’est dans ce comté qu’ont été assassinées des jeunes filles à peine sorties de l’adolescence. Dave Robicheau, surnommé « Grand Homme » par ses proches, adjoint au shérif, mène l’enquête aidé par son ami, Clete Purcel, un « privé » ancien collègue qui selon les cas trouve dans l’alcool un stimulant exacerbant sa réactivité, pas toujours à propos, ou une consolation contre les misères de ce monde.
La recherche des meurtriers les amène à pister et affronter une bande de malfrats dont la noirceur d’âme est inversement proportionnelle aux idées généreuses qu’ils affichent. Au centre de tous ces suspects potentiels, la famille Abélard. Le doyen Timothy est la « synthèse » d’une lignée qui s’est illustrée et enrichie par l’exploitation des esclaves puis des populations démunies. Le rejeton Kermit, falot et néanmoins pervers, clôt cette descendance d’individus sans scrupules. Par malchance pour Dave, sa fille Alafair est amoureuse de cet être peu reluisant.
S’ensuivent quelques rebondissements, sans quoi un policier ne serait pas un policier, et un final plein de suspens.
On ne peut pas réduire ce livre à sa simple dimension polar car il est bien plus que cela : un vrai concentré d’une humanité qui oscille tantôt vers le bien, tantôt vers le mal selon le personnage sur lequel le regard de l’auteur se porte. Dave et Clete sont pétris de sentiments loyaux, de désir de vérité et d’une farouche volonté de faire valoir les droits de tous les opprimés. Ils ont face à eux un échantillon d’hommes tous plus abjects les uns que les autres pour qui la vie d’autrui ne compte pas.
Dave, qui évolue dans cet environnement depuis toujours, est sensible à cette nature généreuse faite de chênes verts, de fleurs d’oreilles d’éléphants, de micocouliers, d’herbe scie, de gommiers, de cyprès, de jacinthes flottantes, de plaqueminiers, de senteurs d’eau, de fleurs, de pluie, de ponts mobiles… Tout cela pourrait composer un décor luxuriant mais la main et les appétits de l’homme ont corrompu ce lieu dans lequel une population métissée se maintient difficilement, dominée par une petite oligarchie fortunée, affiliée à des groupes mafieux. On peut voir dans cette nature une métaphore du monde tel qu’il est.
Ce livre est donc une plongée réussie dans un monde qui semble s’enfoncer dans les eaux boueuses du bayou, un monde « mélange particulier d’addiction, de prostitution et de vie normale d’ouvriers, devenu caractéristique de l’Amérique profonde » où le crime n’est qu’un moyen parmi d’autres pour parvenir à ses fins ; un monde que nos deux protagonistes affrontent avec courage et détermination.
C’est aussi une très belle ode à l’amitié, celle indéfectible, qui lie ces deux hommes qui s’épaulent et se protègent mutuellement. C’est l’aspect le plus touchant de ce livre qui par ailleurs dépeint plutôt la violence et la cruauté.
Le style de Bruce Lee Burke est plein d’images humoristiques, de descriptions de personnages bien frappées, de dialogues corrosifs et truculents : « Rien qu’ton ventre et ton cul, ça doit peser trois cents livres. Comment tu poursuis les gens, avec un poids pareil ? Tu dois faire des trous dans le trottoir. T’es Jurassic Park arrivé à New Iberia » (un « gosse » à Clete)
Une très bonne lecture et une envie de retrouver Dave et Clete sur d’autres « affaires ».
Annie du B