Sur l’autoroute du soleil, tu regardes défiler les autres voitures. On ne sert peut-être à rien d’autre
Cette vie qui a perdu son sens dès la première bretelle de l’autoroute que vous avez empruntée. Vous. Couple asymétrique. Il – l’autre partie de ce curieux duo – sourit déjà au volant. À te chanter monts et merveilles. Que le soleil arrive bientôt. Qu’il est presque là d’ailleurs. Et que tu jouiras. Toi – elle – laisses perler le long de ta joue une imperceptible larme. Qui te hurle dedans. Mais qu’est-ce que tu fous là ? Qui te pointe du doigt. Traînée ! Traînée ! Traînée ! Et déjà, elle te brûle, cette larme. Et enflamme ta joue salée. Sur l’autoroute du soleil, le soleil est absent, mais ta joue, elle, pleure déjà vermeil.
Longiligne, soporifique, qu’elle est. Cette autoroute du soleil. Qui ne mène à rien d’autre. Qu’à ce factice soleil. Ce soleil qui te promet tant. Douceur. Chaleur. Bonheur. Et tout ce tralala en leurre. Ce soleil qui ne fera jamais tout. Et n’épanchera jamais ta peine. Cette peine née d’une grisaille casse-pieds. D’une grisaille née en toi. Au creux de ce trou noir qu’aucun rayon de soleil n’atteindra jamais. Au creux de ce rien du tout de fondations sur lesquelles ta frêle existence tient encore debout. Jusqu’au prochain carrefour, peut-être. Cent vingt-cinq voitures vertes. Soixante-quinze jaunes. Quatre-vingt-six bleues. Trois cent soixante-six blanches. Et cinq cent cinquante-quatre grises. Même l’autoroute est grise.
Mais lui ne semble pas distinguer ce gris lancinant. Ce gris obsédant. Lui qui n’a jamais vu que le soleil dans sa vie. D’un soleil né en lui. Au creux de son enfance de conte de fées. De minet écervelé. Avec sa symétrie. Son glaçage parfait. Et ses non-sinuosités aussi. Lisse. Trop lisse, qu’il est le type à tes côtés. Et il aura beau plaider sa cause, du mieux qu’il le peut. Que l’habit ne fait pas le moine. Tout ça. Tout ça. Déjà, tu sais qu’ensemble vous n’irez pas plus loin. Que sur cette autoroute du soleil qui ne promet déjà plus rien.
Longiligne, soporifique, qu’elle est. Cette autoroute du soleil. Qui, déjà, ne te chante rien d’autre qu’un tsss tsss oppressant. Qu’un Ça va, bébé, va bébé ? irritant. Devant toi, tu fixes la ligne blanche. Et les reflets de l’insolent soleil te donnent déjà le vertige. Tu n’es pas là. N’es pas là. N’es pas là. À sillonner cette autoroute qui ne te dit plus rien. Plus rien. Plus rien. Cette autoroute longiligne. Soporifique. Aux côtés de ce mec dont les mots t’écœurent. T’écœurent. Tes cœurs. Déjà, tu tournes de l’œil. Le type à tes côtés s’inquiète soudain. Ça va pas, bébé ? Non, ça ne va pas. Tu as vomi dans sa précieuse caisse. Et déjà, tu sens ses yeux injectés de sang se poser sur toi. Le rouge recouvre définitivement la grisaille.
Mais lui ne semble pas distinguer cette nouvelle couleur qui bâche ta grisaille intérieure. Ce gris obsédant. Lui qui ne voit déjà plus rien que cette saleté, cette odeur putride qui souillent sa précieuse caisse. Lui qui presse sur l’accélérateur pour oublier. Oublier tout ça. Toi. Ton intérieur apparent. Mais sa conduite sportive retourne encore ton estomac. Hey, mec, non, ça va pas ! que tu hurles à ce type à tes côtés qui ne t’entend déjà plus. Ça va pas, vraiment pas… Et encore, il presse sur le champignon, comme pour taire ce cri qu’il ne saurait entendre. Griffant ta cuisse au passage. L’autoroute du soleil, désormais, est trop rouge.
Sur l’autoroute du soleil, tu regardes défiler les autres voitures. On ne sert peut-être à rien d’autre qu’à ça, courbé sur la place du mort d’une Twingo rouge. Spectateur d’un monde qui défile. Quelques gamins qui font des grimaces. Deux ou trois routiers qui se curent le nez. Des conducteurs absorbés par la dernière ligne droite. Et toi. Toi. Qui te demandes encore ce que tu fous là. Bercée par cette voiture de laquelle tu voudrais déjà sauter. Aux côtés de ce type qui n’est rien d’autre qu’un étranger. Sur l’autoroute du soleil, tu regardes ta vie défiler.
Cette vie qui a perdu son sens dès la première bretelle de l’autoroute que vous avez empruntée. Vous. Couple asymétrique. Il – l’autre partie de ce curieux duo – sourit déjà au volant. À te chanter monts et merveilles. Que le soleil arrive bientôt. Qu’il est presque là d’ailleurs. Et que tu jouiras. Toi – elle – laisses perler le long de ta joue une imperceptible larme. Qui te hurle dedans. Mais qu’est-ce que tu fous là ? Qui te pointe du doigt. Traînée ! Traînée ! Traînée ! Et déjà, elle te brûle, cette larme. Et enflamme ta joue salée. Sur l’autoroute du soleil, le soleil est absent, mais ta joue, elle, pleure déjà vermeil. Déjà, tu décroches ta ceinture. Tournes la tête vers ton colocataire d’un temps. Esquisses un rictus. Ouvres la portière. Et sautes. Ecorchant l’autoroute du soleil. Grise rouge grise. Rouge.
Notice biographique
C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.
Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis, au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/