Fiches Détaillées
- Joseph Carey Merrick, l'Homme-Eléphant
- [Bio] Denis Van P
- [Editeur] Sandawe
Partager
Dans l’album Joseph Carey Merrick, vous avez voulu retracer la vie de celui qu’on connaît mieux sous le surnom d’Elephant Man. Comment cette idée vous est-elle venue ?
Denis Van P : Je souhaitais travailler sur un projet de one-shot, car j’avais commencé de mettre au point une série, mais l’idée de passer des années sur un "même" sujet me rebutait un peu... Je me suis alors demandé sur quel sujet je pouvais bien me pencher... Et le souvenir de la biographie de Merrick, lue à l’âge de 12-13 ans, m’est revenu immédiatement en mémoire. J’avais dû être fortement impressionné par la description de la vie de ce pauvre garçon, cette existence à la fois si triste et si exceptionnelle, une sorte de conte....
Comment un jeune garçon de 12 ou 13 ans peut-il réagir à cette histoire ? Ce n’est pas un peu traumatisant ?
Denis Van P : Je dirais plutôt "marquant" que traumatisant, même si je reconnais que Merrick peut traumatiser... :-)
C’est le cas avec le film de Lynch, car son traitement visuel, proche de celui d’Eraserhead, accentue la laideur et le côté glauque du monde dans lequel Joseph Merrick évolue. La biographie, comme les articles parus à son sujet, révèlent plus la tristesse de sa vie et les injustices dont il a été victime. C’est surtout à cela, je crois, qu’un enfant de cet âge est sensible : à l’injustice.
De quand date ce projet ?
Denis Van P : J’en ai jeté les premières bases dans le courant de l’année 2005, par l’écriture du synopsis... Une première mouture de 55 planches fut achevée en juillet 2006. Reléguée aux oubliettes, je l’en ai ressortie fin 2010 pour proposer le projet à Patrick Pinchart, des Editions Sandawe.
Quand on évoque Elephant Man, on pense évidemment au film réalisé par David Lynch en 1980. De quelle manière pensez-vous vous être démarqué de son travail ?
Denis Van P : Je ne me suis pas forcément dit qu’il fallait se démarquer de l’oeuvre de Lynch, mais je sentais bien sûr qu’il était inutile et vain de suivre les traces de ce superbe film et en calquer le contenu et la progression. Ceci étant dit, dès que je me suis remis à lire la biographie de Joseph Merrick, des articles ou comptes-rendus le concernant, j’ai naturellement pris mes distances par rapport au film puisque c’est son enfance, esquissée progressivement devant mes yeux, qui suscitait mon intérêt et m’évoquait des images vives et fortes. Son enfance, selon moi, n’a jamais été évoquée, artistiquement parlant. Et elle me semblait presque plus intéressante à traiter que sa vie d’adulte.
Ce film vous a-t-il servi ?
Denis Van P : Pas du tout. Car lorsque j’ai pris la décision d’adapter en BD l’existence de Joseph, je me suis volontairement interdit de revoir le film, pour ne pas subir la moindre influence. Je ne l’ai revu qu’il y a quelques jours, en fait... :-)
Avez-vous utilisé d’autres sources de documentation ? Lesquelles et de quelle manière ?
Denis Van P : La biographie fut ma première source d’inspiration. Je l’ai relue en 2005, quand j’ai commencé à écrire le scénario. Cette lecture a suscité des images de "scènes" quotidiennes, anecdotiques, que j’ai "extrapolées" et utilisées ensuite. J’ai imaginé sur cette base des séquences précises d’injustice, de rejet.
J’ai lu plusieurs articles sur internet, me suis documenté sur la vie au quotidien à l’époque victorienne, j’ai collecté un grand nombre de photographies d’alors. J’ai aussi utilisé quelques films comme référence, mais surtout pour les couleurs et la lumière, car leur exactitude est parfois approximative, au plan vestimentaire et même architectural :-)
D’autres bandes dessinées comme "Venus noire" (Abdellatif Kechiche et Renaud Pennelle) ou "Wadlow" (Christophe Bec et Nicolas Sure) se sont également intéressées à la vie souvent tragique de ces individus qu’on a exhibé comme des bêtes de foire. S’agit-il de l’apparition d’une mode ?
Denis Van P : Je ne connais que le film (puissant) d’Abdellatif Kechiche, pas la BD. J’ignorais également l’existence de la BD consacrée à Wadlow. Il est probablement hâtif de parler d’une mode, même si la Bande Dessinée (comme le cinéma, dont le médium est très proche) aime surfer sur les modes, par crainte du risque financier et par manque de courage. Mais il n’y a pas encore de quoi parler de "mouvement", à mon sens... :-)
Ce qui suscite notre intérêt pour l’existence de ces personnes différentes, c’est l’aspect exceptionnel de leur destin. Nous sommes contents d’avoir échappé à un sort similaire, et c’est aussi nos propres réactions par rapport à la différence, leur ambiguïté, que nous pouvons "étudier"...
Vous avez présenté votre projet aux édinautes de la communauté Sandawe, et ils sont exactement 277 à avoir accepté de miser de l’argent sur votre album. Comment avez-vous vécu cette période d’incertitude, avant que le budget soit entièrement bouclé ?
Denis Van P : De manière globale, assez sereinement. Il y a probablement eu quelques éclairs de découragement, mais jamais de stress… Les édinautes m’ont bien suivis depuis le début de l’aventure, et de toute manière, je faisais ce que je pouvais pour aider le financement… Au-delà, quand on n’a pas le contrôle sur les choses, autant les appréhender avec calme et sagesse :-) Les encouragements des édinautes, bienveillants et constructifs, aident également beaucoup... Cela compense l’inconfort que peut générer l’incertitude quant au bouclage du budget.