Pléthore d’outils, gadgets et autres technologies font apparition actuellement, promettant de cerner les émotions de vos interlocuteurs, ou même les vôtres !
Cela passe par des casques, applications et logiciels informatiques, ou encore tout récemment une chemise intégrant des capteurs détectant les émotions du porteur, offrant la possibilité de les partager sur les réseaux sociaux.
L’enjeu de la compréhension des émotions des autres, et celui de leur transmission semblent être au cœur des préoccupations actuelles. L’être humain n’est-il pas capable par lui-même et sans outil technologique, de comprendre ce que l’autre ressent, et communiquer ses états émotionnels sans outil intermédiaire ?
Justement, une équipe de chercheurs s’est intéressée au phénomène de la transmission des émotions à autrui. Ce phénomène est appelé contagion émotionnelle. Il s’agit de la tendance automatique à mimer et à synchroniser ses expressions faciales, vocalisations, postures et mouvements avec ceux d’une autre personne, et par conséquent à converger émotionnellement. La notion d’automaticité de ce phénomène fut centrale dans cette recherche, puisque les auteurs ont postulé que cette contagion émotionnelle serait totalement indépendante de la volonté ou non de l’émetteur de communiquer son émotion, et de la volonté du récepteur de s’ouvrir à une telle influence.
Pour tester leur hypothèse, les chercheurs ont étudié la transmission d’informations émotionnelles à travers une chaîne triadique de comportements: le comportement d’une personne A était observé par une personne B, dont le comportement était lui-même observé par une personne C.
Les émotions cibles choisies par l’équipe furent la joie et la peur, en raison de la pertinence des comportements non-verbaux associés, et de leur valeur de survie.
Dans le phénomène de contagion émotionnelle, des processus moteurs et affectifs sont impliqués. L’équipe a donc choisi de mesurer :
- l’activité électrique de deux muscles peauciers : le zygomatique majeur (notamment impliqué dans la joie) et le corrugateur du sourcil (notamment impliqué dans la peur) ;
- la conductance de la peau, témoin de l’éveil physiologique associé à un épisode émotionnel.
Un protocole rigoureux a été mis en place, afin de garantir la justesse de la dénomination des émotions en question :
Les vidéos représentant les stimuli de l’expérience étaient de trois types : vidéo de joie ou vidéo de peur (un acteur en train de jouer une émotion par le biais d’expressions corporelles, faciales et vocales) et vidéo non-sociale.
Ces vidéos on été préalablement soumises à un groupe de juges pour vérifier que les vidéos étaient correctement catégorisées.
Selon les résultats de nombreuses études, l’intensité des expressions faciales émotionnelles est augmentée lorsque les personnes se savent regardées. Sachant cela, l’équipe de chercheur a décidé de ne pas informer les participants B, qu’ils étaient observés (par les participants C), lorsqu’ils visionnaient les vidéos (suite à l’approbation des comités d’éthique de recherche compétents).
Voir la figure explicative ci-dessous :
Les chercheurs ont donc testé:
- si les indices faciaux de la joie étaient transmis de A à C, via B. Cela était testé à l’aide des mesures électriques de l’activité du muscle zygomatique majeur ;
- si les indices faciaux de la peur étaient transmis de A à C, via B. Cela était testé à l’aide des mesures électriques de l’activité du muscle corrugateur du sourcil ;
- si le processus de transmission impliquait aussi une variation de la conductance de la peau.
Les résultats ont permis de mettre en évidence :
- une correspondance de l’activité musculaire des sujets C au contenu émotionnel observé par B, aussi bien pour la joie que pour la peur ;
- une augmentation de l’éveil physiologique de C, quand B regardait un contenu à connotation émotionnelle quelqu’un soit la nature (joie ou peur).
Enfin, pour déterminer la nature et la fiabilité de l’information transmise de B à C, des personnes étant totalement naïves des hypothèses des expérimentateurs ont été sollicitées pour distinguer les indices faciaux émotionnels des B et les catégoriser comme indices de joie, de peur, ou de neutralité (dans le cas des vidéos à contenu non-social). Il en est ressorti que pour la peur et l’état neutre, les juges attribuaient les expressions affichées par B à la bonne catégorie. En revanche, pour les signaux de joie, ceux-ci ne les catégorisaient que dans 50% des cas, soit un niveau égal au hasard. Les auteurs ont donc conclu sur ce point, que la transmission de l’émotion de joie d’une personne à une autre pourrait être indépendante de sa reconnaissance explicite.
Pour résumer, la transmission d’un état émotionnel comme la joie ou la peur peut se faire de manière indirecte, sans que nous n’ayons été en contact avec la personne à l’origine de l’émotion. Sans que les émetteurs n’aient la volonté de le transmettre, ni que les récepteurs n’aient l’intention d’y être attentif et de s’en imprégner et ce, sans qu’ils aient besoin d’identifier consciemment de quel type d’émotion il s’agit.
Les auteurs ont conclu cette étude en mettant en valeur la fonction adaptative des expressions de l’émotion. En effet, l’activité faciale des individus représente un comportement coopératif évolué, qui consiste à signaler spontanément et inconsciemment des informations utiles pour la survie, devant induire les émotions et les comportements appropriés chez leurs congénères : comportements de fuite ou de combat dans les situations menaçantes, et comportements bénéfiques au renforcement des liens sociaux dans les situations qui leur sont favorables.
Ainsi, la transmission des émotions relève de mécanismes et de capacités développées il y a bien longtemps au cours du développement humain, pour répondre à un enjeu essentiel : la survie de l’individu et de son groupe. Quand bien même nous pouvons ne pas être d’accord sur la catégorisation d’une expression émotionnelle, notre cerveau quant à lui en a extrait les informations essentielles afin de mettre en œuvre les comportements adaptés. Les mécanismes responsables de ce phénomène de contagion émotionnelle sont à l’œuvre de manière automatique, spontanée et donc inconsciente, rendus potentiels pour chacun d’entre nous par les des circuits neurologiques : ceux des neurones miroirs…
Publié par Gladys Raffin
Référence :
- Dezecache G, Conty L, Chadwick M, Philip L, Soussignan R, et al. (2013) Evidence for Unintentional ;
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