Le PS Suisse ne propose rien de mieux que de mettre les médias sous perfusion financière étatique. Comment croire une seconde que sous un tel régime les journalistes garderaient la moindre indépendance sur des sujets traitant de l’État ?
Par Stéphane Montabert depuis Renens, Suisse.
Ils ne veulent pas une nouvelle Pravda, assurent-ils, mais font tout pour l'obtenir... Revenons sur la politique des médias proposée par les socialistes cette semaine, qui a tout d'une tentative de prise de contrôle.
Le projet socialiste "pour un système médiatique compatible avec la démocratie" s'articule autour de plusieurs points :
- Subvention à la presse et au journalisme.
- Introduction d'une taxe publicitaire, une taxe sur le trafic des données pour les services Internet ainsi que les fonds provenant de la répartition du produit de la redevance.
- Aides réservées aux médias qui remplissent certaines exigences en termes de "conditions structurelles de la production journalistique".
- Renforcement de la SSR au travers d'une redevance indépendante.
- Dans la formation continue des journalistes, l'accent devrait être mis sur le renforcement de prestations publiques compatibles avec la démocratie.
- Développement ciblé de la compétence médiatique de la population.
Pour l'originalité, on repassera. La moitié du programme revient à présenter de nouvelles taxes et de nouveaux canaux de redistribution. Pour les socialistes, il n'existe pas de problème dont on ne puisse venir à bout avec davantage d'argent, mais n'allez pas appeler cela du matérialisme !
L'approche avancée ne fait pas que des heureux y compris au sein des professions visées :
Dans le milieu des éditeurs, la réaction est vive. "Ces dix dernières années, les journaux ont déjà perdu le tiers de leurs recettes publicitaires", rappelle Daniel Hammer, secrétaire général de Médias suisses, l'association des médias privés romands. "Si on taxe la publicité, cela ne fera qu'accélérer cette érosion et ce seront d'autres médias, par exemple en ligne, qui en profiteront."
[Au sujet de la taxe sur le trafic des données de services internet] là aussi, Daniel Hammer est sceptique. "Le siège de facebook ou Google étant à l'étranger, cela pose un problème de territorialité du droit." Le représentant des médias privés y voit aussi une menace pour les éditeurs. "Environ 25% de l'audience d'un journal provient des moteurs de recherche sur internet. Il ne faudrait pas que les journaux suisses disparaissent de l'offre de Google, comme cela s'est produit en Belgique."
Les frontières, éternelles ennemies de l'Internationale.... Mais bon, on pardonnera volontiers ces approximations dans la planification, probablement dues à un excès d'enthousiasme. Les socialistes n'agissent-ils pas au nom du Bien Commun™ ?
Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner les aspects réglementaires du programme. Le point 3 fait ainsi émerger un magnifique serpent de mer conceptuel, les "conditions structurelles de la production journalistique". Jouez avec vos amis : que chacun écrive le sens qu'il donne à ces termes sur un bout de papier et si deux d'entre eux parviennent à une définition concordante, tournée de champagne !
Le point 5 demande quant à lui au titre de la "formation continue" (garantissant un passage régulier devant le commissaire politique dûment appointé) un "renforcement de prestations publiques compatibles avec la démocratie." Là encore je vous laisse deviner le sens profond de ces mots, mais peu importe en fin de compte, car ces notions n'ont aucun rapport avec le pluralisme. Il y a douze ans, un sondage effectué à la veille des élections fédérales de 2001 annonçait déjà la couleur : 60% des journalistes interrogés se déclaraient à gauche et seulement 28% au centre ou à droite. On imagine que les socialistes, très inquiets de ce manque de neutralité des médias, ont à cœur de combattre ce déséquilibre pour faire plus de place aux opinions journalistiques de droite... C'est l'évidence même...
Le dernier point visant au "développement ciblé de la compétence médiatique de la population" fleure bon l'endoctrinement dès l'école obligatoire.
Quelle mouche a donc piqué nos amis socialistes ? Pas que le dirigisme ou le clientélisme soient des nouveautés pour eux – c'est un peu leur ADN – mais il est rare qu'ils s'y livrent d'une façon aussi limpide. La tentative est d'autant plus étonnante que la presse penche déjà largement à gauche, bien que la situation en Suisse alémanique ne soit pas aussi consternante qu'en Suisse romande.
Sans doute s'agit-il moins de prendre le contrôle d'une presse largement acquise à leur cause que de sauver ce qu'il en reste. La presse suisse ne va pas bien ; les publications ont tendance à se concentrer, réaction typique d'une industrie s'attelant à la forme plutôt qu'au fond. Mais pour résoudre la cause première – la désaffection des lecteurs pour le contenu sorti des rédactions – les socialistes n'apportent aucune réponse.
Les socialistes voient d'un mauvais œil la présence de grands groupes de presse, craignant que ces conglomérats médiatiques manquent de discernement dans le traitement de certains sujets. Cette inquiétude n'a pas lieu d'être : les consommateurs se chargent eux-mêmes de faire émerger de nouveaux acteurs plus en accord avec leurs demandes. Une publication virant au publi-reportage perpétuel peut exister, elle ne pèsera pas lourd dans la formation des opinions. L'émergence de médias indépendants de qualité – Les Observateurs en Suisse, ou Contrepoints pour la sphère francophone – prouve que la relève est en marche sur des supports en constante évolution.
Mais qu'on soit d'accord ou pas avec l'analyse du PSS, un problème de fond subsiste. À les entendre, les socialistes n'ont que la démocratie et l'information "correcte" du public à la bouche. Selon eux, les liens financiers détruiraient cette indépendance. Or, ils ne proposent rien de mieux que de mettre les médias sous perfusion financière étatique. Comment croire une seconde que sous un tel régime les journalistes garderaient la moindre indépendance sur des sujets traitant de l’État ?
On connaît le culte que les socialistes vouent à l’État, mais force est de constater qu'il corrompt tout autant que n'importe quel autre acteur économique.
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