Jean-Jacques Schul, Télex n°1, Paris, Gallimard, 1976, republié à l'identique en 2013, 175 p.
"Tout ce qui suit doit se lire sur le fond d'un film qui se déroule : disons qu'au lieu que ce soit la nuit ou un mur ou le ciel, c'est un film" (p. 17). Le lecteur visite les chambres d'un hôtel. Dans chaque chambre se trouvent des personnages sortis d'un film, d'un magazine, de l'actualité d'une époque ; ils sont affublés de photos, de messages publicitaires, et surtout sont accompagnés d'accessoires, de bouts d'histoire, de visions du monde par les médias. Montage, juxtapoition de messages disparates, produisant du sens, des fragments d'une narration sans histoire.
Drôle de livre qui fait voir les médias de notre quotidien, dans un autre quotidien : personnage collectif fait de bouts de décors, d'objets, d'images d'un célèbre coureur cycliste, d'une actrice des années 1920 (Louise Brooks) et de Twiggy (actrice des années 1960), de Lénine, du pape... Les décors et les objets se mêlent, des unes de journaux, Elle, France-Soir, Vogue, des vêtements (Shiaparelli), des dépêches d'agence, des maquillages, des musiques, Rita Hayworth, Rudolf Valentino, Isabel Peron. Tout cela forme un mélange étrange, tissu de marques, de références, de cours de bourse, de gestes people : plans de cinéma, bouts de bande-son radio, citations ("Tout son corps est une citation. Mais de quoi ?" p. 72), des mots de la révolution culturelle maoïste, des mots de romans, de films, de Mozart, de Proust." Affleurement d'un langage sourdant de tout cela (p. 59)".
"Seule me plaît mainenant une écriture anonyme, fragmentée et fragile : une affiche murale commencée par l'un, continuée par un autre, indéfiniment et que le vent ou la pluie peut effacer... voici venu le temps des discours sans auteur, des mouvements de masses, des gestes ébauchés et que le temps emporte, des mots parasités par les mots des autres... (p. 104). Voilà le livre.
Actions, gestes, phrases sur "fonds d'images" imaginées, rêvées, revues... ce livre ne se résume pas, ne se raconte pas, il faut y circuler et s'y perdre, errer comme dans une ville, une nuit, des décors. Et s'y perdre encore. Les médias sont au coeur du livre qui dit les médias, des restes des médias... et cite Lénine, comme une clé possible : "Lorsque le cadavre de l'ancienne société meurt, on ne cloue pas les neuf vis de son tombeau, mais il continue à se décomposer parmi nous" (p. 133).
Très intéressant. A lire, en lâchant prise...