Chagall nait en 1887 en Russie et meurt presque centenaire. Son œuvre est indéfectible de l’histoire, qu’elle reflète bien, autant que son histoire personnelle. Imprégné de sa terre natale, sa peinture s’inspire de la tradition juive, en dépeignant la vie du village (le shtetl, qui désigne un village dans les pays de l’Est), ses habitants, ses coutumes, et son folklore. Il mêle à ces éléments, son vocabulaire pictural propre, peuplé de symboles issus de son vécu. Se disant « rêveur conscient » ses toiles oscillent entre les compositions épurées et la profusion des éléments, entre des couleurs lumineuses ou apaisées, contrastant avec la noirceur ou la violence de certaines autres, entre les sujets de guerre et de paix.
Chagall a traversé les deux guerres mondiales, la première en Russie suivie de la Révolution Russe de 1917 et ses diktats esthétiques, la seconde durant son exil aux Etats-Unis, il a vécu l’entre-deux-guerres en France pendant laquelle il s’adonne à un très long travail d’illustration de la Bible et durant ces années il suit ses intuitions oniriques, avant de vivre la période d’après guerre, et un nouvel apaisement dans le Sud de la France.
Difficile à classer, refusant l’étiquette surréaliste, il apporte sa vision personnelle aux événements, livrant par son œuvre un message autant historique, unique, et universel.
La Russie en temps de guerre
L’exposition commence en 1914, lorsqu’il est âgé de 27 ans. Il a effectué un séjour de 3 ans à Paris qui le marque beaucoup et qui influence son œuvre. Lorsqu’il revient en Russie en 1914, il s’y retrouve coincé en raison de la première guerre mondiale. Il rejoint néanmoins sa future femme, Bella, qu’il épouse en 1915. Elle est sa source de bonheur et d’inspiration.
« La peinture m’était aussi indispensable que la nourriture elle me paraissait comme une fenêtre a travers laquelle je m envolerais vers un autre monde. »
Pendant cette période, en Russie, Chagall peint avec un plus grand réalisme, beaucoup de scènes du quotidien, comme dans les toiles Bella et Ida à la fenêtre ou Vue de la fenêtre à Zaolchie.
Il représente beaucoup de juifs errants, de rabbins, et traduit par ces peintures sont attachement particulier à cette ville dont il parle en ces termes « Ce n’est que ma ville, la mienne, que j’ai retrouvée. J’y reviens avec émotion ». Ainsi, il installe dans ces années, certains des motifs qu’il replacera par la suite au cours de son œuvre : le musicien des mariages juif, les personnages flottants survolant les villes par exemple. Dans le tableau Au dessus de Vitebsk, il montre que le personnage du juif errant, n’a sa place nulle part, et qu’il se trouve selon le proverbe yiddish « au dessus des maisons ».
Les couleurs utilisées accentuent la tonalité mélancolique, qui correspond au sentiment qu’il éprouve après son séjour à Paris.
Dans le tableau le vieillard et le chevreau, il introduit l’animal pour représenter la vision familière qu’il pouvait avoir dans le shtetl, mais aussi pour symboliser le peuple juif car c’est un animal souvent sacrifié.
Il quitte la Russie après la révolution et il en sort déçu par l’imposition de diktats esthétiques. Il s’installe à Berlin puis à Paris en 1923. Il est reconnu et exposé. Il collabore à cette époque avec Ambroise Vollard, et il illustre des livres comme Les Ames mortes de Gogol, les Fables de La Fontaine, et surtout la Bible. Cette expérience marquante l’inscrit dans la série des illustrateurs historiques. Il effectue à ce moment un voyage en Palestine en 1931 qui le bouleverse. Il dira « En Orient, j’ai trouvé la Bible et une part de moi-même. » Ce travail l’obsèdera toute sa vie, il choisit d’ailleurs de représenter des scènes de vie des patriarches et des prophètes.
Dans le tableau Abraham prêt à immoler son fils Isaac, on voit l’ange qui arrête son geste. Cela correspond à l’époque où les œuvres de Chagall sont brûlées sur les autodafés et le projet de gravures ne verra le jour que dans les années 1950, après la mort de Vollard. Dans la toile, Songe d’une nuit d’été, le sujet est directement emprunté à Shakespeare et représente Bottom et Titania, la reine des fées. Mais les personnages sont étranges, il représente le tisserand avec une tête de bouc (au lieu d’une tête d’âne), animal sacrificiel dans la Bible et s’y identifie. Le couple incarne lui et Bella. Il affirme en 1947, lors d’une conférence de presse, « il n’y a pas de contes de fées dans mes peintures ».
La série de tableaux présentés dans cette section témoignent de l’importance du rêve chez Chagall. C’est un moyen pour lui de brosser avec détails sa subjectivité, de développer un monde, fort de ses symboles, où cohabitent l’Histoire et son vécu.
Avec la montée du nazisme, les temps deviennent menaçants. Ses toiles reflètent des motifs noirs, et il choisit la forme allégorique pour représenter la Shoah. Depuis le début de son œuvre, il a peint le Christ, dans le tableau Exode, il l’associe surtout à la figure de l’humanité. En peignant l’épisode de l’Ancien Testament, au cours duquel Moïse mène le peuple hors d’Egypte vers la terre promise, il relègue Moïse en bas à droite, et se concentre sur la foule apeurée. La raison de sa crainte devient la guerre, l’incendie figure les événements. Dans le coin haut gauche, le naufrage fait référence à celui de l’Exodus en 1947. On note qu’il juxtapose les scènes sans se soucier des proportions.
Dans le triptyque, Résistance, résurrection, libération, en 1937, il installe ses symboles et les faits historiques, en faisant un usage de la couleur intéressant. Dans les deux premiers tableaux, où le propos est fort, l’alliance de rouge et de jaune soutient la violence, dans le dernier qui représente la paix, les couleurs dominantes sont inversées (le jaune prend le pas sur le rouge) et installe la sérénité en s’appuyant sur ses propres symboles : le violoniste, le couple aimant notamment.
En 1944, pourtant Chagall est confronté à une autre épreuve, celle de la mort de Bella. Sa production est puissante.
Cette période de deuil est douloureuse, Bella hante ses toiles, suivie par bon nombre de symboles. Ses toiles sont comme un journal, il se confie à la peinture. Ainsi dans la Nuit Verte, le Cheval Rouge, ou A ma femme il dépeint son état d’esprit.
On discerne ainsi dans le Cheval Rouge, l’animal qui se découpe sur le noir du ciel. Un traineau s’envole, le rideau rouge de l’Arche Sainte avec le rouleau de la Torah, les lions avec les tables de la Loi, qui figurent un moment où le destin hésite. Chagall apparait sous les traits de Janus, avec un double profil, représentant la vie passée et sa vie à venir.
Dans A ma femme, la structure tripartite est évidente. On reconnait Bella, allongée, posant à droite de la toile, comme le faisaient les modèles classiques. A sa gauche, des mariés, et avant eux encore à gauche, un ange. Dans les symboles, l’horloge ailée représente la fuite du temps. En arrière plan on reconnait Vitebsk, où ils se sont rencontrés et mariés. Ce tableau présage de la mort de sa femme, il le termine juste avant sa disparition.
Dans le Paysage Bleu, on mesure la poésie de son art. Le poisson d’argent se métamorphose en croissant de lune, les amoureux sont réduits à l’essentiel, et ne sont plus que des têtes flottantes, avec une expression paisible. Leur félicité est symbolisée par le bouquet, et un oiseau chante leur bonheur.
Cette exposition présentée au Musée du Luxembourg, est désormais terminée.